Moteur de la construction de l'Union européenne avec l'Allemagne, la France risque d'en devenir le fossoyeur. C'est le grand paradoxe qui risque d'être révélé au soir du 29 mai lorsque les Français se seront prononcés sur le traité européen soumis à référendum. Les sondages se suivent et disent inexorablement la même chose : le non risque de l'emporter lors de cette consultation qui donne aux Français la tentation de sanctionner la politique d'un gouvernement de droite qui n'a pas su traduire la teneur du message adressé l'année dernière aux élections régionales. Les électeurs avaient plébiscité la gauche mais leur verdict n'a été suivi que d'un léger lifting de l'équipe du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin dont la popularité a continué de s'éroder. La tentation semble forte de lui régler son compte même si la consultation du 29 mai ne concerne pas la politique intérieure de la France. C'est sur cet argument que jouent les partisans du “oui” dont la direction du Parti socialiste jugée “libérale” par de nombreux séditieux en délicatesse avec le premier secrétaire François Hollande. Même Jacques Chirac est descendu dans l'arène à travers un vrai show médiatique pour appeler ses concitoyens au discernement. Son ministre des Affaires étrangères Michel Barnier a appelé à sa rescousse son homologue allemand Joshka Fisher venu plaider la cause du oui en Bretagne, dans la France profonde. “L'Europe, c'est la paix”, a-t il argumenté à la suite de l'ancien président François Mitterrand qui disait que “le nationalisme, c'est la guerre”. La Constitution permet notamment à l'Europe d'avoir un ministre des Affaires étrangères qui lui permettra de s'exprimer d'une seule voix et non d'une façon dissonante comme ce fut le cas lors de l'invasion de l'Irak. Si le “non” l'emporte en France, la Grande-Bretagne, déjà fort réticente, envisage de ne pas consulter ses citoyens pour un référendum prévu en 2006. C'est ce qu'a laissé entendre le Premier Ministre Tony Blair. Une manière de dire que sans la France point d'Europe. Pour le ministre espagnol des Affaires étrangères, une victoire du “non” en France serait “assez dramatique” et constituerait un “coup très dur porté à l'esprit européen”. En Slovénie, on évoque un “désastre” et en Pologne une remise en cause du sens du référendum envisagé dans le pays. À plus d'un mois de la consultation, la pression est donc forte sur les électeurs français dont la décision est rendue plus ardue par la complexité d'un texte volumineux et pas forcément intelligible pour le commun des citoyens. Mais déjà, leur mauvaise humeur ne manque pas de faire de dégâts. Aussi bien dans les rangs de l'opposition avec un Parti socialiste fort divisé. Et au sein de la majorité où le ministre de l'Intérieur Dominique de Villepin a désigné la porte de sortie au Premier ministre. Une invitation traduite par une explication houleuse entre les deux hommes, de Villepin étant suspecté d'avoir été remonté par le président de la République qui, lui, refuse d'envisager une démission comme cela lui est demandé. Pour celui qui se présente comme l'héritier du gaullisme, ses adversaires lui demandent d'imiter le général qui avait démissionné en 1967 après l'échec du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Une alternative fermement refusée par le président qui envisage de poursuivre sa campagne afin de ne pas avoir à y être confronté. Pour l'heure, sa prestation face à 80 jeunes n'a pas provoqué le déclic attendu. Le renversement des tendances. “Jacques Chirac n'est pas l'homme qui peut faire accepter la Constitution européenne aux Français”, accuse un quotidien allemand. Un autre affirme que “l'échec de la Constitution européenne est devenu plus plausible” après la prestation de Chirac. Y. K.