Cherarba n'a ni entrée ni sortie. La localité, s'il en est, s'apparente à une multitude de lotissements où l'esthétique urbanistique est quasiment absente. Collée aux Eucalyptus, le chef-lieu de la commune, celle qu'on appelait autrefois Chraâ bane et qu'on peut traduire par « justice est faite », vient, à peine, de sortir la tête du... feu. Le terrorisme a régné en maître absolu pendant près d'une décennie. Combien sont-ils ces hommes, ces femmes, ces vieillards et ces enfants assassinés par la bête immonde du GIA qui écumait la région ? Les habitants éludent la question. Cela leur rappelle de mauvais souvenirs. Des traces indélébiles sont encore perceptibles, surtout chez les adolescents. « Que fait ce petit garçon parmi vous ? », avons-nous osé à l'adresse d'un groupe de jeunes réfugiés dans une baraque de fortune à l'entrée du lotissement Rue Neuve. « Il vend des pommes de terre ; voyez-vous ce casier ? C'est à lui », réplique Mohamed, 26 ans, chômeur « permanent » mais qui réussit de temps en temps à décrocher une « journée » chez les bâtisseurs privés. Le petit vendeur de pommes de terre, malgré une silhouette menue, est âgé de 16 ans. Cela fait longtemps qu'il a quitté l'école. Lui-même ne s'en souvient presque plus. D'autres ados, de 15, 14 ou 13 ans, ne fréquentent pas, eux aussi, l'école. « Les maîtres ne savent pas enseigner », dit Mourad dont la mine est trahie par un sourire moqueur. Il sait que son motif ne tient pas debout. « C'est une dérobade, mais il y a une part de vérité même si l'enseignant demeure un acteur respectable de l'enseignement », rectifie Khaled. Khaled, la trentaine, est chômeur, « comme tout le monde ». Parvenu jusqu'en 9e année fondamentale, il est considéré comme l'intellectuel attitré du lotissement à cause des nombreux sujets qui lui tiennent à cœur et qu'il commente aux ouled el houma qui l'écoutent dans un silence religieux. Ses thèmes préférés : les nouvelles technologies, l'espace, l'énergie électrique. Même l'actualité internationale ne lui échappe pas. Si les gosses n'ont pas réussi dans leur scolarité, explique-t-il, c'est parce qu'ils ont grandi dans la peur. « Tâchez, s'il vous plaît, de ne pas leur évoquer les années noires. C'est cette période-là qui est la cause de leur échec scolaire », nous dit-il, avant de proposer de passer à un autre sujet, « plus intéressant », comme la pauvreté, l'état des routes ou l'absence du gaz naturel. « Ah ! le gaz naturel ! », s'écrie en chœur le groupe de jeunes. Comme si leur ami Khaled a mis le doigt là où il faut. La mairie est mise à l'index. « Le tracé du réseau a suivi celui de la route principale. Là où se trouvent les cités. Les quartiers de l'intérieur, selon les autorités locales, ne sont pas concernés. Nous devons donc prendre notre mal en patience : aller toujours chercher la bouteille de butane chez le commerçant du coin », soupirent-ils. Ziaten l'inaccessible La voirie est également au centre des débats. Goudronnée par le passé, elle n'est plus qu'une piste à peine « asphaltée » où les nids-de-poule géants ne se comptent pas. La détérioration est due au défilé ininterrompu des camions semi-remorques, des porte-conteneurs, qui passent la nuit dans les garages du quartier. « Le lotissement est en passe de devenir une annexe du port d'Alger », ironise Samir en signalant les nombreuses chutes de conteneurs enregistrées dans le coin. « Ils sont mal attachés. C'est pour cela qu'ils quittent la benne, surtout lorsque le conducteur, sans diminuer de sa vitesse, amorce un virage. » Cela étant, le jeune homme nous prie de le suivre. Direction Ziaten, un quartier voisin. Chemin faisant, il nous invite à faire une halte devant la baraque de ammi Salah, située à l'orée de Hayy Eddalia. Une chaumière de fortune, faite de tôles de zinc et de bric et de broc. « N'oubliez pas de parler de ce malheureux père de famille. Il attend toujours d'être relogé. L'APC est au courant de son cas », plaide-t-il. A Ziaten, l'état de la voirie est catastrophique. Les flaques d'eau de pluie mettent des jours pour sécher. Lorsqu'il pleut, il faudrait être à bord d'un 4X4 pour y pénétrer. A pied, ce qui est souvent le cas pour les riverains, entrer ou sortir de Ziaten relève d'une expédition périlleuse. Les bottes sont indispensables. Les gens se disent fatigués. Ils ne tiennent pas à « ressasser » leurs doléances, « alors que tout le monde sait ». Néanmoins, ils interpellent « en deux mots », le P/APC sur la situation lamentable de la voirie. « Nous prions encore une fois le P/APC de penser à nous », nous dit un père de famille avant de se faufiler dans une ruelle boueuse pour rentrer chez lui. Cherarba n'est pas Ziaten. Ses habitants, éparpillés à Fazeli, Rmadnia, Zouaoui ou El Amir, sont tous égaux devant les... problèmes. Les mêmes préoccupations sont évoquées partout. Parfois différemment, comme ces trois fellahs qui exploitent 9 ha à El Amir. Noureddine, Ahcène et Fateh sous-louent une parcelle de chez une EAC. Rencontrés dans l'exploitation, ils constatent en silence la « perte » d'un carré de laitue. « C'est le gel qui en est responsable. Mais nous comptons nous rattraper avec la betterave que nous cultivons à côté », rassure Ahcène, ingénieur électronicien de 38 ans, mais qui n'a jamais exercé, dit-il. Noureddine, 44 ans, est natif de Meftah. Les terres ancestrales, à vocation agricole, ont toutes été vendues par les héritiers. La terre qu'il exploite à El Amir finira elle aussi par disparaître. Comme partout dans la riche Mitidja, il y aura du béton à perte de vue.