Les observateurs n'avaient pas tort d'affirmer que l'arrivée du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero au pouvoir, en Espagne, allait induire une révolution dans les relations franco-espagnoles. Fondée sur la rivalité sous l'ère José Aznar, la politique de rapprochement tous azimuts prônée par le gouvernement de M. Zapatero en direction de Paris arrive déjà à faire oublier que l'Espagne a été, ces dernières années, l'un des plus fidèles alliés européens des Etats-Unis après la Grande-Bretagne. Mais, selon toute vraisemblance, ce n'était pas là le but essentiel recherché par Madrid. En ordonnant, immédiatement après son élection, le retrait des militaires espagnols du territoire irakien et en chargeant son ministre des Affaires étrangères de convaincre son homologue français d'élaborer « une stratégie conjointe à l'égard de l'Afrique du Nord », l'enfant terrible du PSOE prend plus que ses distances vis-à-vis de Washington. Il devient un pilier précieux de l'opposition anti-Bush construite par la France, l'Allemagne et la Russie, à la veille de la seconde campagne d'Irak. Le successeur de José Maria Aznar se taille aussi le costume d'un partisan farouche d'une Europe émancipée de l'influence américaine. Un comportement qui a dû provoquer de nombreux froncements de sourcils à Washington. La preuve : l'affirmation par Madrid de son européanisme a déjà un impact concret sur le bras de fer opposant le camp anti-Bush à l'Administration américaine dans les discussions concernant la gestion des grands dossiers internationaux (Irak et Palestine). Les retombées de l'impressionnante volte-face espagnole devraient aussi se faire ressentir sur l'échiquier maghrébin. L'alignement du gouvernement de M. Zapatero sur la politique maghrébine de la France, y compris concernant la question du Sahara-Occidental, plaide pour le moment en faveur de cette lecture. Côté algérien : à l'exception de leur position sur le Sahara-Occidental, jugée promarocaine, qui a déjà commencé à susciter des réactions d'indignation de la partie sahraouie, Alger ne devrait pas souffrir du changement sensible de la politique extérieure de l'Espagne. Comme la France, l'Espagne se montre aujourd'hui favorable à l'émergence d'un monde multipolaire qui lui sied. Pour les sujets qui fâchent, comme le Sahara-Occidental, il faut s'attendre à ce que les autorités algériennes refusent de sortir du cadre légal de l'ONU. La visite, en cours à Alger, de Michel Barnier et celle attendue de M. Zapatero permettront d'apprécier plus clairement les nouvelles ambitions du nouveau « couple terrible de l'UE » avec lequel l'Algérie entretient d'intenses échanges commerciaux. Du statut, donc, « d'adversaire économique dont il faut réduire la présence dans la région » (dixit un diplomate espagnol de passage à Alger avant l'élection de Zapatero), la France devient pour Madrid un partenaire stratégique. Situation qui tombe à point nommé pour Paris qui déploie de gros moyens, soutenus par une campagne de charme de son Président et de ses ministres en direction des pays de l'UMA pour protéger son précarré maghrébin de l'influence américaine. Officiellement, les Français ne reconnaissent pas l'existence d'une rivalité entre eux et les Etats-Unis sur l'Algérie. Un pays actuellement choyé par Washington. Paris préfère parler d'une répartition des rôles. Cependant, la sérénité affichée par le Quai d'Orsay est contredite par le terrain. Car si le terme « rivalité » ne convient peut-être pas le mieux pour qualifier les présences américaine et française au Maghreb, il y a lieu de se rendre à l'évidence que la politique maghrébine des Etats-Unis n'est pas amicale à l'égard de la France. En témoigne l'ignorance dans laquelle les Américains et les Britanniques ont laissé la France dans le cas des discussions menées avec la Libye concernant l'abandon de son programme nucléaire. Les exemples sont encore nombreux et ne portent pas uniquement sur des aspects militaires ou sécuritaires. Les enjeux économiques et énergétiques prennent une grande place dans cette « rivalité » depuis que l'Algérie a retrouvé sa santé financière. Depuis l'accession de Zapatero au pouvoir, la France semble avoir trouvé une réponse à ces problèmes. Le rapprochement avec Madrid permet à Paris de sécuriser la route européenne du gaz en provenance de l'Algérie. L'Espagne étant avec l'Italie les deux interfaces entre l'Europe et l'Algérie dans la commercialisation du gaz algérien. Il en sera de même d'ailleurs pour l'énergie électrique. Alger sera également le principal point de passage du pétrole nigérian qu'il est prévu de faire transiter par le Sahel. Une région investie depuis une année par des experts militaires américains, venus officiellement déloger le GSPC, et qui commence sérieusement à susciter l'intérêt de Paris.