Spectaculaire retournement de l'opinion espagnole qui fait payer très cher à Aznar un engagement en Irak, indirectement responsable des massacres de Madrid. Mercredi encore, donné large vainqueur du scrutin législatif de dimanche, le Parti populaire (PP, droite au pouvoir) du chef de gouvernement sortant, José Maria Aznar, aura payé cash les horribles massacres de jeudi dans les attentats commis contre quatre gares de la banlieue de Madrid. Ainsi, le retournement de l'opinion, qui, en fait, faisait porter la responsabilité de la tragédie madrilène au gouvernement sortant, a été spectaculaire remettant en selle un Parti socialiste ouvrier (Psoe, gauche) qui n'y croyait plus à quelques heures du scrutin. Le message a bien été reçu et l'heureux vainqueur, le chef du Psoe, José Luis Rodriguez Zapatero ne s'y trompa pas qui, dans sa toute première déclaration, annonça qu'il allait rappeler les 1300 soldats engagés en Irak, dès l'officialisation de son investiture comme président du Conseil. José Luis Rodriguez Zapatero a ainsi affirmé à la radio Cadena Ser «Les troupes espagnoles déployées en Irak vont rentrer à la maison» soulignant: «La guerre d'Irak a été un désastre, l'occupation est un désastre». Dans la foulée, le vainqueur des législatives espagnoles appelle le président américain, George W.Bush, et le Premier ministre britannique, Tony Blair, à faire «leur autocritique» indiquant «On ne peut pas bombarder un peuple (...). Ils devront réfléchir et faire leur autocritique pour que cela ne se reproduise plus. On ne peut pas faire des choses comme cela». La presse madrilène abondait hier dans ses commentaires sur le fait que l'intrusion du terrorisme islamiste - si la piste Al-Qaîda se confirme - a bouleversé la donne électorale initiale. Ainsi, selon El Mundo, (libéral), «La véracité croissante de la piste Al-Qaîda a fait resurgir avec force les critiques contre la grave erreur d'Aznar d'avoir assumé un rôle inédit dans la crise irakienne aux côtés de Washington». Cela contre l'avis de l'immense majorité des Espagnols dont, rappelle-t-on, plusieurs millions ont manifesté contre la guerre lors du sommet tripartie des Açores (Bush-Blair-Aznar) quelques jours avant la frappe américaine contre Bagdad le 20 mars 2003. Aznar, que les milliers de manifestants à Madrid, à Barcelone, à Valence et dans d'autres villes d'Espagne ont vilipendé et accusé de «mensonges», a essuyé les dégâts d'une politique unilatérale qui n'a pas tenu compte des appréhensions du peuple. La politique pro-américaine sans nuance de José Maria Aznar aura été suicidaire pour son parti le PP qui détenait, à la veille du scrutin, la majorité absolue aux Cortes avant les législatives et que tous les sondages donnaient, mercredi encore, vainqueur sans problème des élections. L'académicien espagnol Juan Luis Cebrian explique, dans une tribune dans le quotidien El Pais, que «le retournement électoral réside dans l'inévitable sensation de manipulation et tromperie de la part du gouvernement». De fait, José Maria Aznar, qui a redonné ces dernières années au parti populaire (conservateur) sa place dans l'échiquier politique espagnol a été, également, l'artisan de sa chute par son manque de clairvoyance politique, la dureté de son style, affirment d'aucuns, et par la pratique du pouvoir en solitaire. De fait, les retombées inattendues des attentats de Madrid sur l'électorat espagnol a quelque peu éclipsé hier les investigations autour de la piste Al-Qaîda, dorénavant prise au sérieux par les analystes et commentateurs. D'ailleurs, le futur chef du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, a, dès hier, recentré le débat sur la lutte contre le terrorisme indiquant «Ma priorité absolue sera de combattre toute forme de terrorisme, et dès demain lundi (hier), je chercherai l'unité des forces politiques. Unis, nous vaincrons la terreur» ajoutant «Les Espagnols ont voulu un gouvernement de changement (...), Je m'engage à faire un changement tranquille, à gouverner pour tous». Pour ce qui est des pistes Al-Qaîda et ETA, l'enquête suit son cours, et hier aucune information nouvelle n'était disponible, alors que la police madrilène travaille en collaboration avec d'autres services de sécurité européens pour tenter de remonter vers les commanditaires des attentats de Madrid. L'Europe, et d'une manière générale l'Occident, qui ont pris conscience de la nuisance du terrorisme un peu tard, admettent aussi que son éradication ne saurait se réduire à la seule force, comme le pensent les néo-conservateurs de Washington. Ainsi, selon le président du Conseil européen, Romano Prodi, «Il est clair que le conflit avec le terrorisme ne se résout pas par la force. (...)» indiquant par ailleurs «Le bilan (de la lutte antiterroriste) est négatif. Il l'est en Irak et il l'est hors d'Irak: Istanbul, Moscou, Madrid. Le terrorisme qui devait être arrêté par cette guerre (contre l'Irak) est infiniment plus puissant aujourd'hui qu'il y a un an» estime encore M.Prodi. En réalité, l'empire américain a fait tout faux en croyant pouvoir résoudre tout seul les problèmes de la société humaine, se passant même de l'organisation internationale des Nations unies, que Washington avait délibérément marginalisée.