Le docteur Timizar, psychiatre au niveau de l'hôpital Frantz Fanon de Béjaïa, concède qu'il y a lieu de parler de particularité régionale s'agissant des taux de suicides, même s'il faille se garder d'en tirer des conclusions en raccourci. « Des disparités sont observées dans plusieurs pays du monde qui sont pris en charge comme autant d'éléments de débats et d'étude. La région bretonne en France par exemple est connue pour son taux élevé de suicides par rapport aux autres contrées de l'Hexagone ». Notre interlocuteur parle d'une profusion de paramètres historiques et socioculturels pour esquisser une explication au phénomène. « Disons que le caractère psychorigide tend à dominer en Kabylie... On encaisse moins en fait, comme peut le résumer d'ailleurs le fameux Anarez Ouala Nekhnu (plutôt casser que plier), si usité, comme vous le savez, dans la région. Cela n'est ni une qualité ni un défaut, seulement des éléments que nous livre l'analyse des faits. » Le psychiatre est d'avis, que l'on a un peu trop tendance à vouloir mettre en avant, de manière systématique, des fléaux comme le chômage, surtout le chômage, en tête de liste des motifs décisifs dans les trajectoires suicidaires. La focalisation sur les difficultés d'insertion dans la société et les contraintes lourdes générées par la perte d'un emploi cacherait, en effet des éléments d'analyse liés à l'acculturation accélérée et que l'on a souvent tendance à omettre lorsqu'il s'agit d'appréhender le phénomène. Il s'est, en effet, trouvé des gens qui avaient cumulé toutes les apparences du bien-être social et qui pourtant ont fini par mettre fin à leurs jours, le raptus suicidaire intervenant de manière subreptice. L'ambivalence, ou le déchirement vécu par les jeunes, notamment entre ce qu'ils consomment comme images le soir via les chaînes étrangères, et une réalité quotidienne faites de tabous et surtout de privations, est un autre exemple des mécanismes insidieux du processus suicidaire, illustre encore le psychiatre. L'autopsie psychologique, ou l'analyse du profil psychologique de certains suicidés, révèle, selon notre interlocuteur, que bien des sujets sont indemnes de ce qui est communément pris pour des signes de pathologie psychique. Notre interlocuteur maintient cependant que le recours au suicide est toujours sous-tendu par une rupture de l'équilibre psychique. Enfin, le psychiatre estime qu'en l'absence d'outils d'analyses statistiques fiables couvrant l'ensemble du territoire national, les spécialistes continueront à ébaucher des pistes d'études qui manqueront immanquablement de précision.