Les jeunes veulent du changement, ils vont voter Obama ; les femmes jugent Pallin trop misogyne, elles vont voter contre elle. Quant aux Noirs, ils vont voter pour la couleur et la revanche historique, tout comme les vieux et les moins vieux, angoissés pour leur retraite érodée par la crise financière, vont voter pour plus de régulation, donc démocrate. Etats-Unis : De notre envoyé spécial C'est ainsi que résume en gros la compétition en cours, un intello qui lit d'un air absent le Washington Post, et qui comme tous les intellos va aussi voter pour une Amérique post-raciale et un Obama du nouveau siècle. Mais Washington n'est pas l'Amérique. Ici dans la capitale fédérale des USA, placée arbitrairement à ce point du fleuve Potomac qui sépare la Virginie et le Sud sécessionniste du Maryland et le Nord fédéraliste, les rues sont vides, car Washington est une ville de bureaux et à cette heure de la mi-journée, tout le monde travaille. Enfin presque. Entre la 14e rue et U Street, zone mixte à la limite des quartiers difficiles de l'Est, frontière quasi-hermétique entre riches blancs et pauvres noirs, un bar restaurant très tendance, le Bus Boys and Poets, littéralement « les débarrasseurs de tables et poètes », est plein de monde. Va-et-vient incessants jusqu'au soir, où une foule joyeuse de Noirs (dé)(re)classés, d'artistes multicolores et de Blancs Bobo et B.C.B.G. s'y regroupent pour suivre en direct le débat télévisé sur CNN entre Obama et Mac Cain. Ecran géant, musique métissée, cocktails « Blue Lulu Barack Hussein Obama » à 6 $ et une jeune serveuse américaine du Tenessee qui oui, connaît l'Algérie – ce qui est rarissime aux USA – et même la chanson Ya rayah de Dahmani Taha, ce qui explique peut-être qu'on revient toujours ici. Ce restaurant fait aussi librairie, séances de poésie et lectures diverses, et au fond de la salle, des jeunes et moins jeunes sont assis à même le sol à lire des livres aux titres tendancieux comme La tyrannie du pétrole, Anarchie, Let America be America again ou le célèbre La fin de l'Amérique de l'activiste Naomi Wolf, où elle dénonce la dérive fasciste des USA. De l'autre côté de la salle, à chaque phrase bien envoyée de Obama, ce sont des applaudissements et des cris de joie, ponctués de huées et de sifflets contre Mc Cain. On n'est pas censés le savoir, mais le Bus Boys and Poets appartient à un Irakien installé à Washington depuis longtemps et rien ne sert d'expliquer qu'ici tout le monde va voter démocrate, pour le changement. Mais l'Irak n'est pas l'Amérique. Plus au nord et vers l'ouest, dans les quartiers chics et administratifs, c'est la Maison-Blanche. La zone est surprotégée, « mais seulement depuis le 11 septembre », s'excuse un guide pour touristes. Des espions dans les arbres, des caméras discrètes et des rues fermées par la police, c'est l'Amérique du syndrome sécuritaire. Pourtant, devant la bâtisse blanche, un groupe de militants proteste contre la guerre, arborant une pancarte où Bush est dessiné en Ben Laden, avec barbe et turban. « Oui, Bush est le terroriste », confirme un néo-hippie très serein. Mais c'est bientôt fini, puisqu'il ne peut briguer de troisième mandat ? « Les présidents vont et viennent, ce n'est pas le plus important », explique un cadre de la banque mondiale, dont le siège est aussi à Washington. En effet, les bâtisseurs ne se sont pas trompés, à quelques blocs de la Maison-Blanche, construite en pierre, c'est le Congrès, en marbre, éternel. Dans le fief de Bush 43 L'Amérique n'est pas un système présidentiel, ce sont les sénateurs et les représentants qui votent les lois, font et défont les budgets et impriment la politique. En attendant, la cote de popularité de Bush est passée à 22%, du jamais vu chez les présidents depuis Nixon et le scandale du Water Gate. Même dans le camp républicain, on ressent tout le mal qu'il a fait au parti et par ricochet à John Mc Cain qui tente désespérément dans sa campagne de se distancier de Bush. « Mais à chaque chose malheur est bon », explique un démocrate récemment converti : « Obama n'a pu exister que parce que Bush existe. » C'est son contraire exact, dans l'Amérique des contrastes. Le Texas n'est pas l'Amérique, mais c'est la patrie des Bush. D'abord Bush 41, le père, comme on l'appelle ici, en tant que 41e président des Etats-Unis, et bien sûr Bush 43, le fils, par qui tous les problèmes sont arrivés. Mais le Texas vote républicain et même Bush 43 est encore populaire ici. A Austin, pourtant capitale de l'Etat, on est plus ouvert et on ne cache pas son admiration pour Obama : « Faut que ça change », explique un militant démocrate de la première heure. « Je n'ai pas envie de me sentir responsable d'un chaos mondial ». Mais Austin n'est pas le Texas. Au nord de la ville, à Williamson, petit comté conservateur en plein cœur de l'Etat, c'est l'Amérique sudiste, profonde. Au siège du parti républicain de cette ville de 250 000 habitants, des femmes âgées et blanches confectionnent des drapeaux à l'effigie de Mc Cain et d'autres candidats. Car l'Amérique est une démocratie participative au sens plein, ici on vote aussi pour le commissaire de la ville, le directeur des impôts, l'attorney, les juristes du comté et le directeur d'école, bref, une série d'élections est prévue pour la même semaine. Et Mc Cain ? Bill Fairbrother, responsable de la permanence, explique de manière très cohérente les principes républicains : « Sur chaque dollar envoyé à Washington, le Texas ne prend que 33 cents. Et encore, c'est un Etat faiblement taxé », Moins d'Etat et plus de responsabilités individuelles et locales, c'est ce que défendent les républicains, particulièrement ici, avec le principe de la ville autonome, où les taxes foncières et commerciales sont versées au comté qui, lui, sait mieux que le bureaucrate de Washington où les placer. « Tout simplement, parce que l'on connaît mieux notre ville que l'Etat fédéral. » Bill Fairbrother tient pourtant à préciser que « McCain n'est pas Bush », pour bien marquer la distance. Le 27 octobre, George W. Bush et le vice-président Dick Cheney votaient par anticipation pour John Mc Cain, comme c'est permis dans certains Etats. Mais ces Etats ne sont pas forcément l'Amérique.