L'Amérique est à la veille d'élections les plus importantes de son histoire et de l'histoire du monde dans son ensemble. Les Américains doivent choisir, en novembre prochain, entre ce qu'on peut considérer comme les deux mamelles des Etats-Unis : The American Dream (le rêve américain) et The American Empiricism (l'empirisme américain). La première a fait des Etats-Unis le pays le plus cosmopolite sur le plan culturel et la deuxième en a fait le pays le plus développé sur le plan économique et politique. Les deux candidats aux prochaines élections présidentielles ainsi que leurs colistiers incarnent chacun une de ces deux mamelles. Le couple Obama /Boden incarne le Rêve américain et le couple McCain/Palin incarne l'empirisme américain. Pour qui les Américains vont-ils voter en novembre prochain ? C'est à cette question quelque peu risquée que nous tenterons de répondre. Pour cela, il nous faut analyser les deux couples dans l'ordre chronologique dans lequel ils se sont formés. Le couple Obama/Boden : poids léger/poids lourd Barak Obama, le candidat démocrate, a fini par lever le suspense en divulguant son colistier en la personne du sénateur loe Boden, spécialiste des affaires étrangères au Sénat américain depuis plusieurs années. En nommant Boden au poste de vice-président, Obama a voulu répondre aux accusations des républicains selon lesquelles le candidat afro-américain manque d'expérience, notamment dans le domaine des affaires étrangères. Boden apporterait donc au jeune candidat démocrate tout son baggage acquis en tant que président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, poste qu'il a occupé pendant de nombreuses années. Cette expérience est considérée, notamment depuis le 11 septembre 2001, comme un gage contre tous les défis auxquels fait face l'Amérique ces dernières années, en particulier la menace terroriste mondiale, qui est la hantise la plus grande des Etats-Unis aujourd'hui. Cependant, il n'y a pas que cela. Il y a aussi la perte de substance et de confiance grandissante des Etats-Unis en tant que puissance stratégique mondiale. Le troisième défi auquel fait face l'Amérique aujourd'hui est le déclin constant de son économie, comme en témoigne la crise des subprimes et surtout l'accroissement inquiétant du chômage qui atteint les 6 % aujourd'hui. Barak Obama, selon les républicains, n'a pas l'expérience suffisante pour sortir son pays de la double crise économique et stratégique qu'il traverse. Il compte donc sur Boden pour combler ses deux lacunes. Le problème, c'est que l'expérience de Boden, son colistier, n'a pas, selon les républicains, une expérience de terrain, ce que les Américains appellent « job experience ». En effet, ce qu'on reproche à Boden, c'est d'avoir une expérience plutôt rhétorique, une expérience dans les discours, même si ses discours sont virulents et non une expérience de ce que les Américains appellent « problem solving experience ». Ainsi donc, le couple qu'on caractérise de « poids léger/poids lourd » n'est en réalité qu'un couple « poids léger/poids léger », ce qui n'est pas près de résoudre le « gap » entre la capacité d'Obama à résoudre les crises actuelles et potentielles et les exigences de la nouvelle fiche de poste de président des Etats-Unis. En dépit de ces lacunes dont il est accusé, Obama symbolise tout de même le Rêve américain, un des piliers du multiculturalisme américain et qui a fait des Etats-Unis une sorte de minimonde sur le plan culturel. Ceci est, bien sûr, plus vrai d'Obama que de Boden, mais même ce dernier est un grand défenseur de ce rêve. En effet, Obama, un Américain dont le père est Kenyan et la mère Américaine, est le symbole du Rêve américain, puisqu'il a réussi à décrocher le poste de sénateur et aujourd'hui celui de candidat à la magistrature suprême du pays le plus puissant du monde. Le problème est que Obama est Afro-Américain et que dans toute l'histoire des Etats-Unis, aucun émigrant n'est jamais monté aussi haut dans la pyramide politique américaine. Obama se retrouve donc face à deux défis : celui d'être jeune (entendez par là manquant d'expérience) et d'être un Noir (ou un quasi Noir). Le défi qu'il doit absolument réussir pour l'emporter en novembre prochain, c'est de présenter un programme qui puisse convaincre les Américains que jeunesse ne rime pas avec inexpérience et que couleur de peau ne rime pas avec inintelligence et incapacité à relever les « challenges » auxquels fait face l'Amérique aujourd'hui. Il faut attendre les débats en tête-à-tête entre Obama et McCain et les « Meet the Press » qui auront lieu dans les semaines qui vont suivre pour voir si Obama sera en mesure de « marketer » son programme et se défendre contre les accusations des républicains. Le couple McCain/Palin : poids lourd/poids léger Dans le camp républicain, le couple McCain/Palin symbolise l'autre mamelle des Etats-Unis : l'Empirisme américain. C'est cet empirisme (ou si on préfère, ce réalisme) qui a fait des Etats-Unis ce qu'ils sont aujourd'hui : le pays le plus puissant du monde sur les plans économique et politique. Cet empirisme peut être illustré par la réponse donnée par l'ancien secrétaire d'Etat américain aux Affaires étrangères, Henry Kissinger. A la question « What is your politics in the USA ? », il a répondu : « Our politics is business ». Cela signifie tout simplement que les affaires, c'est-à-dire les questions économiques, sont le moteur qui guide toute la politique américaine. S'agissant du candidat républicain, son empirisme est reflété par sa participation à la guerre du Vietnam dont il est considéré par le peuple américain comme un héros. Son empirisme s'exprime donc par sa participation à la résolution, sur le terrain militaire, d'un problème qui était considéré comme un des points les plus noirs des Etats-Unis. McCain veut donc faire croire aux Américains qu'il peut extrapoler cette expérience aux défis qui se posent à l'Amérique aujourd'hui, notamment au domaine des affaires extérieures en général et à la menace terroriste planétaire actuelle. Les démocrates pensent, de leur côté, que McCain, qui a eu 72 ans ce mois de septembre, est trop vieux pour s'attaquer aux problèmes sérieux qui se posent à l'Amérique aujourd'hui. La riposte du côté républicain a été le choix par McCain de sa colistière, Sarah Palin, une femme de 42 ans, donc de 30 ans plus jeune que lui, gouverneure de l'Alaska, un des Etats les plus stratégiques sur le plan économique et surtout énergétique. McCain a choisi une jeune femme pour deux raisons : l'une est de combler le « gap » entre son âge avancé et les exigences de la nouvelle fiche de poste de président des Etats-Unis ; l'autre est d'espérer recueillir les votes des femmes qui avaient nominé Hillary Clinton et qui ont été déçues par l'échec de cette dernière face à son rival démocrate, Barak Obama. Le problème est que Sarah Palin n'est gouverneure de l'Alaska que depuis deux ans. Les démocrates, bien sûr, ont sauté sur l'occasion pour renvoyer la balle dans le camp de McCain en l'accusant d'avoir choisi quelqu'un qui n'a pas une expérience suffisante pour compenser son âge avancé. Ce qu'il faut savoir, et c'est un fait connu aux Etats-Unis, c'est le vice-président (ou la vice-présidente) qui fait la « realpolitic » et que le Président ne fait souvent (pas toujours) qu'entériner les décisions et choix stratégiques préparés par le vice-président. Or, dans le cas de Palin, les démocrates et une certaine portion des non-démocrates lui reprochent de n'avoir pas cette capacité à élaborer les choix stratégiques dont a besoin l'Amérique aujourd'hui. L'autre reproche que font les démocrates au couple McCain/Palin est qu'il est totalement ignorant des questions économiques dont on a vu qu'elles représentent aujourd'hui le défi majeur qu'il faut gagner. Ainsi donc, le coupe républicain est accusé de deux tares : d'une part, l'âge avancé du candidat à la présidence, qui signifie le risque que le mandat ne puisse pas être terminé et que le travail doive être terminé par sa colistière, et d'autre part, l'inexpérience de la vice-présidente qui ne pourrait donc pas achever le travail laissé. Le défi que doit réussir McCain est donc double : convaincre les Américains que son âge avancé sera compensé par le dynamisme de Palin et que son expérience, au contraire, va combler l'inexpérience de sa colistière. Le troisième défi sera, pour McCain, de convaincre les femmes qui ont voté pour Hillary Clinton que Palin défend leur cause en tant que femme et qu'elle sera engagée à leurs côtés dans leur lutte pour l'égalité et leur intégration dans les sphères économique et politique. Il s'agit là, on le voit, de trois défis qui ne sont pas faciles à tenir, notamment si Hillary Clinton s'engage, comme elle semble l'avoir fait à la Convention nationale démocrate récente, à soutenir Obama en convainquant les femmes qui lui étaient fidèles à voter pour le candidat démocrate. On le voit bien, l'imbroglio engendré par les élections présidentielles américaines n'est pas facile à démêler tant les inconnues sont plus nombreuses que les données. En particulier, trois de ces inconnues vont s'avérer déterminantes quant au choix final des Américains : l'âge, la couleur de la peau et le sexe. Les questions qui se posent sont donc -Les âges des candidats et des colistiers vont-ils se compenser ou au contraire entrer en conflit les uns avec les autres et donc constituer un passif des candidats ? La couleur de la peau va-t-elle peser sur le choix des Américains qui pour la première fois montreront le poids représenté par les minorités aux Etats-Unis ? Le sexe de la colistière républicaine va-t-il aider à récupérer les votes des femmes déçues par Hillary Clinton, celle qui était en quelque sorte le symbôle de la « Stateswoman » ? Qui donc va l'emporter en novembre prochain : le Rêve américain ou l'Empirisme américain ? La réponse à cette question sera déterminée par le poids que donneront les Américains à chacune des trois inconnues. Si on était poussé à faire un pronostic sur la base de l'angoisse qui étreint les Américains aujourd'hui et qui est représentée par les deux questions de la sécurité et de l'économie, on serait tenté de dire que c'est l'empirisme républicain qui va l'emporter. Cependant, si l'on en juge les élections de 2004 qui ont vu la nomination de George W. Bush, -le plus haï des présidents dans l'histoire américaine-, l'on est tenté de dire : on ne sait jamais, pourquoi pas le Rêve américain ! Ce qui effacerait les effets désastreux engendrés par la présidence Bush aussi bien au plan interne qu'externe. L'auteur est Professeur d'Economie et de Marketing. Master des Arts en Littérature francophone