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À la mémoire d'un héros
Publié dans El Watan le 01 - 11 - 2008


« Pour mon ami le chahid Mustapha Bouhired »
« Ma fille, il faut que tu saches que face à l'oubli dont ton père a été entouré, ils seront à leurs tour oubliés par celui qui n'oublie pas... »
Voilà qu'au moment où je croyais avoir échappé, définitivement, à tous les souvenirs de la guerre d'Algérie, une fille de 26 ans me bouscule à brûle-pourpoint et me dit : « Didi Himoud, raconte-moi mon père. » Pris au dépourvu, je n'ai pas su quoi répondre, surtout que la question m'a été posée à l'intérieur d'une maison dite mauresque, située en pleine Casbah, juste derrière l'ancienne synagogue et au milieu d'un patio.
Cette maison qui a vu l'arrestation de Yacef Saâdi et de Drif Zohra ainsi que Madame Bouhired Fatiha, avec accroché à son sein gauche, la dernière née Hafida. Depuis, cette phase faisant partie de la guerre d'Algérie, cette maison fût surnommée « Le château d'If ». Hafida est la fille que Mustapha n'a pas connue. C'est elle qui me posa la question en espérant apprendre davantage sur son père et particulièrement sur l'oubli total avec lequel il est traité par les pouvoirs publics. Hafida, Algérienne de 26 ans, se penche sur le passé de son père comme l'amo-filial se penche sur l'ouverture d'un puits pour voir miroiter son visage.
Sa question à secoué mon passé comme le séisme secoue la terre et je me dis ‘‘combien d'enfants semblables à Hafida existent sur le sol national et qui sont dans' son cas ?'' Quoi dire de ton père, Hafida ma chérie, toi qui lança ta question à toute volée sur la face d'un vieillard tel que je le suis devenu. En me posant ta question, tu ne te doutais nullement que tu remuais en moi plus de 50 ans de souvenirs. Comment m'y prendrai-je pour te restituer l'image de ton père comme il convienne que je le fasse. Un père que tu n'as pas connu sinon par les photos que l'ont t'a montrées. Un père comme le tien ne se raconte pas. La lutte de ton père vers la vie fut une escalade permanente vers le sommet de la libération de soi. La libération de l'intelligence qui remet au corps les pleins pouvoirs de sa pleine liberté. Dois-je te dire que ton père et moi nous nous considérions comme des êtres libres et cela bien avant que les armes n'entrent en action, pour confirmer cette indépendance pour laquelle toi et tes semblables êtes le fleuron ennobli de l'Algérie de ce jour et davantage de l'indépendance de celle du futur.
Mustapha, ton père, n'était pas un militant quelconque ! Je veux dire que ses charges étaient très lourdes et il les assumait avec un sourire désarmant bien avant de militer dans les rangs, de tous ceux qui accusèrent la tromperie surgissant sauvagement, de cerveaux malades épris de sang et traîtrise, nous vécûmes ce que les nôtres payèrent chèrement pour acquérir le droit de régir leurs droits, en participant sans rechigner à la 2e Guerre mondiale sous le drapeau tricolore. Cette participation des nôtres pour la libération de la France, était une contribution physique et morale par laquelle l'exécutif politique de l'Assemblée algérienne, devait recevoir ses pleins droits sociaux insérés dans la vie économique de l'Algérie.
Ce qui n'a pas été le cas et tu le sauras par ailleurs pourquoi. Mais, bien avant que ne tombe sous nos têtes cette date fatidique en tous sens, je te dirais que ton père était le modèle sportif parfait. Il excellait dans toutes les disciplines athlétiques. Là où il semblait être le mieux pour le même, c'est le football. Entre les stades, la piscine, les plages rayonnantes de nos rives et surtout le môle, nous étions admirablement ancrés chez nous ! S'il fallait ajouter à la culture du corps celle de l'âme, nous devenions sans l'avoir cherché, les authentiques représentants d'une jeunesse qui ne bafouillait pas la langue de l'Autre .Toute la culture française passait par nos cerveaux assoiffés de connaître l'Autre. C'est ainsi que nous découvrîmes des valeurs humaines que nos vis-à-vis ne comprenaient pas comment nous avions pu les approcher et les acquérir.
Quand on sait que le meilleur d'entre nous ne dépassait pas le Brevet Elémentaire mais que notre capacité mentale allait au-delà de ce diplôme, c'est que nous n'étions pas aussi bêtes qu'ils le prétendaient et beaucoup plus intelligents qu'ils ne le supposaient. Le 8 mai 1945 nous a fait chuter dans un véritable guet-apens. C'est à Paris que ton père se trouva démobilisé. Je l'y rejoignis. Les feuilles mortes de l'automne, effectivement, se ramassaient à la pelle. C'est dans cette fournaise de la Mégapole que nous comprîmes l'intérêt majeur de notre position par rapport aux descendants de ceux qui nous occupèrent, et aussi par rapport à chez nous où nous n'avions aucun droit sinon à accomplir des devoirs.
Le militantisme pour la cause Algérienne devenait un instinct naturel sinon National, qu'il fallait cultiver et entretenir jusqu'à l'aboutissement d'un voeu formulé dans le silence de nos cœurs. Nous nous étions imaginés qu'en sortant de l'anonymat, nous pouvions parler le Verbe haut ; puis, lorsque nous parvînmes à nous dégager de la gangue, c'est-à-dire lorsque ton père décrocha sa place d'arrière-droit dans la grande équipe du Racing Club de Paris, nous réalisâmes que nous n'étions pas des hommes à part entière, mais des potiches tout juste utilisables là où il fallait qu'elles soient utilisées. Nous saisîmes cet instant de désarroi social qui nous était inoculé par ces gens-là, pour le décocter et en apprécier le côté tragique qui soufretait notre existence. Etre à la merci d'un drapeau qui se sert de vous sans vous servir en retour, c'est comprendre l'inanité d'une intégration dès lors refusée par nous.
Ton père et moi nous ne nous perdîmes pas en conjectures. Nous vécûmes, prémonitoirement, la réalité dure et amère d'une situation endémique qui ne pouvait que prendre des proportions catastrophiques, c'est-à-dire celles qui allaient devenir les événements de la guerre d'Algérie. Nous savions ton père et moi que la guerre serait et nous le savions dès l'année 1946. C'est comment les choses se décanteront pour parvenir à cet instant prédominant qui nous poussèrent à revenir vers la Terre Natale pour être plus proches encore, de tous ceux qui, moralement, souffraient la chose.
Cette chose malicieuse qui voulait que des gens venus d'ailleurs et s'enracinant chez nous, seraient mieux considérés que nous, qui avions la maîtrise de la langue, alors que pour la plupart d'entre ceux qui dirigeaient l'administration algérienne (les maires) n'avaient de cette langue que le vocable courant qui circule dans les rues et les marchés. Certes, les Intellectuels qui se targuaient d'être algériens tout en étant français, étaient loin de se douter que la plupart des leurs ne les saisissent pas, alors qu'ils passaient facilement la rampe lorsqu'il s'agissait d'être compris par la plupart d'entre nous. C'est dans ce bouillonnement apparemment paisible de la vie de tous les jours, que chacun de nous avait choisi sa place par rapport à l'Autre. Au milieu de tout cet encorbellement, ton père et moi, comme un seul coeur qui bat pour deux, nous devancions les événements devant surgir d'un moment à l'autre.
Ces événements d'où surgira la brèche qui ouvrira le Livre où s'écrira la nouvelle histoire de l'Algérie. L'Algérie héritière de toutes les civilisations qui ont vu le jour tout autour de la Mer Blanche du milieu. L'Algérie reconquise par les 5es descendants de ceux qui moururent pour elle, alors qu'il n'y avait aucune offense à racheter ni aucune déclaration de guerre à remplir. Le prétexte du blé et la répartition des terres à coloniser était le seul but de cette armada affamée. L'esprit de conquête colonisatrice du XIXe siècle, trouva en la fin de la 2e Guerre mondiale, la génération de la réhabilitation de chacun dans sa propre chaumière.
1954 nous trouvâmes en place chacun à sa place
Le rôle de ton père consistait à joindre les contacts avec tous ceux de l'extérieur qui adhéraient à la cause Nationale. Connu de tous les sportifs et lui-même devenu journaliste sportif à Alger Républicain, ses sorties hors du territoire national ne prêtaient pas à conséquence. Cela ne l'empêchait pas parfois, de maquiller ses voyages avec l'aide de congés de maladie purement imaginaires, pour traverser les souricières mises en place par l'Autre. Le rôle de ton père se déroulait au plus haut top niveau. Cette charge exigeait de ton père une abnégation totale, ce qui pour lui devenait un jeu dès lors que les sports et les lectures l'ont amené à se contrôler superbement.
Superbe ? Mustapha l'était Aristocratiquement ! non pas l'Aristocratie dénoncée et condamnée par la Russie soviétique lors de sa Révolution, laquelle révolution faisait table rase de tout son passé historique et plus rageusement de son passé religieux ; puisque la réussite de la révolution décida qu'il n'aura plus d'âmes à confesser dès lors que le Soviet suprême décide ; par contre, nous qui étions des opprimés, nous avions appris par les livres que si 1'on recycle le corps sans recycler l'âme qui est sa compagne essentielle, l'être humain perd son corps sans récupérer son âme . L'âme, autrement dit le Souffle, étant le principal soutient du corps, joue le rôle d'un joint permanent avec l'Eternité. Voilà en quoi la Révolution russe et la guerre d'Algérie sont dissemblables ; voilà en quoi j'utilise le mot Aristocrate à l'égard de ton père et dans quel terme je l'inclus. Mustapha, le dandy, dans un corps harmonieux et élégamment vêtu ne dandinait pas avec la politique.
La politique de son pays il l'a connaissait comme les religieux récitent leurs livres. Nous nous en abreuvions jusqu'à nous saouler de concepts et de théories aussi contradictoires les unes que les autres. Nous nous défoncions mentalement pour enfin parvenir à la découverte de nouvelles théories apprises sur le tas. Mohammed Taleb qui, lui, était d'un tout autre talent, en savait quelque chose. Il n'y avait pas que lui, et je n'ai pas à souligner tous ceux qui restent et ceux qui ne sont plus. La recherche du mot juste là où il fallait l'appliquer attirait toute notre attention. Les idées reçues que nous devions transmuer en nous-mêmes devenaient notre mode de vie interne. Nous étions enfin parvenus à savoir ce qu'il fallait choisir de ce qu'il fallait écarter. Nous finîmes par nous apercevoir que si les probabilités nationales étaient bien minces, nos possibilités Patriotiques, par contre, étaient immenses. Notre politique ne se vendait nulle part sinon à servir d'échange pour la clarification de nos cerveaux. Tout autour de notre dignité, nous avions su tisser une démarche appropriée aux circonstances, pour la rendre imperceptible et malléable à souhait.
Nous nous sommes nous mêmes choisis comme modèles pour ne pas avoir à en choisir parmi ceux de l'Autre et de tous les Autres. Nous étions des Algériens qui découvrirent l'Algérie non comme un ensemble géographique mais comme un Cortex inébranlé par les secousses répressives répétées de l'Autre. Pris de court par nos entreprises audacieuses, l'Autre ne dormait plus. C'est ainsi que peu à peu l'Autre s'est mis à sécréter comme une énorme tarentule, la toile destinée à encercler l'Algérie avec tout ce que l'Algérie contenait de vies humaines. En quittant l'Indochine, l'armée française est venue vers Alger comme base principale et le reste de l'Algérie comme une chasse à courre. Un jour de janvier 1957, je descendais la rue Michelet juste à l'amorce de la rue richelieu. Je voyais ton père qui marchait en sens inverse. Son allure était légère et puissante à la fois mais heureuse. Dès qu'il m'aperçut, il vint vers moi comme un majestueux gypaète planant aisément au-dessus des plus hauts sommets de l'Atlas. S'approchant de moi, il me dit extasié : « Dans mon sommeil cette nuit j'ai eu la vision de notre Prophète qui me demandait de le rejoindre. » Ton père savait que j'étais un Initié (il était le seul à le savoir et cela jusqu'à ce jour) et en me disant sa vision il savait que je savais interpréter le Message.
Je te le dis ma fille Hafida, pour que le guide universel agrée par l'Eternel pour tous les hommes de la terre, vienne en vision vers ton père, c'est que la Lumière éternelle déposée en lui dès sa naissance trouva sa ouverture vers le cœur, là où le cœur avait le plus besoin de réconfort pour faire face aux impondérables de l'existence.
Je te l'ajoute : quelle preuve remarquable de la Lumière Divine choisissant ses Elus non en fonction du vote Universel, mais en fonction du comportement de l'âme qui de ce fait, baigne dans la Lumière de l'Eternité et cela bien avant que le corps ne trépasse. J'étais l'initié mais il était l'élu, toutes les douleurs vécues par mon corps, Mustapha allait les vivre autrement. Avant tout cela et parmi tout ce qui se passait, ton père se revigorait comme savent le faire les adeptes pour une cause considérée comme sacrée par tous les participants à la lutte. Tous ces participants venus de tous bords à la rescousse, pour aider et : protéger l'Algérie de l'inévitable.
Cet inévitable qui se déclencha lors des 8 jours de grève. Dois-je te dire, chère Hafida, que ces 8 jours de grève furent la cause de tant de déboires et de déchaînements antagonistes que nous barbotions tous dans une mare saumâtre et insalubre. Celui qui a pris la responsabilité de désarmer toute l'ossature politico humiliée en Indochine. Une secte d'officiers ravagée par la débâcle de Dien Bien Phû. Une cohorte d'officiers, prête à essuyer l'insulte reçue, sur l'intrus qui a osé prétendre à son indépendance. Cet homme-là a ignoblement prolongé la durée de la guerre en laissant les Autres empiler nos victimes comme on empile les caisses de savon de Marseille débarqués d'un bateau. C'est de là que prend date le calvaire Algérois C'est aussi à partir de ces 8 jours que les conjonctures obliquèrent radicalement du côté de l'Autre pour voir, sans pouvoir les protéger, les meilleurs de nos enfants rageusement abattus par d'autres enfants venus d'autres cieux pour prétendre soi-disant défendre la cause de l'Occident. Comme si l'Occident avait besoin d'entretenir l'oppression maintenue sur le dos du colonisé pour sauver sa cause.
Selon tous ces officiers à la recherche d'un blason doré par les chamarrures de la victoire, toute la gent Algéroise était à occire. Lorsque l'on prend les armes pour défendre une politique Nationale prise en charge par tout un peuple, pourquoi alors les déposer pour espérer amadouer les bavards impénitents qui continuent de se réunir périodiquement « dans la grande maison de verre » des Nations Unies ? Ce fut une perte effroyable que le résultat escompté de ces 8 jours de grève après maintes péripéties et de nombreuses parties de cache-cache, le bel homme qu'était ton père et dont le père était aussi populaire en même tant que respecté dans sa réputation dans le commerce des légumes. Ce père de ton père était comme un étendard déployé reconnu par tous les gens de la province Djidjelienne. El Hadj Bouyer, ton grand-père paternel dont la parole valait tout le contenu des halles centrales de son époque. Ce père certainement ravi dans sa tombe d'avoir eu un fils comme ton père, sans oublier les autres membres de la famille de Omar. Ton père que tous les enfants de La Casbah connaissaient comme un garçon aimable, réceptif, souriant, aimant la vie à pleines brassées. Ton père qui aimait me dire que notre Algérie serait la nouvelle Suisse. Une Algérie Suisse à la mesure du globe terrestre, tel était notre rêve. Une Algérie ensoleillée comme une orange mûre que l'on mange avec santé.
Une Algérie saine et heureuse et vivante comme le sont les étoiles qui indiquent le parcours de vie de chacun. Une Algérie humaine comme un livre écrit pour le cœur humain dès lors que le cœur humain est destiné à chanter l'amour. Une Algérie qui pour une fois serait fière d'être ce qu'elle est pour devenir elle-même. « Dans ce paradis de Liberté mon père, permets que ma patrie s'éveille », disait Rabindranath Tagore, l'Hindou. C'était notre devise ! « Ton père, Hafida, était un non violent » Son regard intelligent laissait passer la médiocrité sans lui barrer le passage. Son militantisme ne souffrait aucune égratignure. N'est-ce pas, Djamila Bouhired, puisque tu as été formée par lui ? Le voici entre les mains de l'adversaire et quel adversaire ! Celui-ci découvrant sa potentialité mentale, s'est complu à le torturer jusqu'à n'en plus pouvoir.
Le capitaine Graziani qui s'énorgueillait d'avoir démantelé « le repaire » de l'impasse de la Grenade (venelle qui porte agréablement son nom) non seulement satisfait de sa prise, voulait encore plus. C'est par une nuit de mars 1957, le 14 plus précisément et au moment du couvre-feu, que le sieur Graziani et sa bande de malfrats en uniforme, amenèrent ton père habillé d'un treillis jusqu'à la rue de la Grenade, sous prétexte de nouvelles perquisitions. Là, face à une porte qui se déroute à droite en pénétrant par la rue Porte-neuve, ils s'arrêtèrent. Profitant d'un moment d'inattention étudié par les flingueurs, ton père courut de toutes ses forces pour échapper à de nouvelles tortures. Quoique brûlé sous les orteils par des flammes de bougies, il courut. Ton père court très vite. Il était crédité d'un 11 secondes aux cent mètres. C'est en atteignant le bout de la rue vers la rue Médée et à l'instant où il devait bifurquer à sa droite, qu'une rafale de mitraillette l'arrêta net dans son élan.
Le tueur Graziani le gratifia d'une balle supplémentaire logée dans le cortex, ce cortex gardant fermement son secret. Un secret recueilli par la mort béatifiée de recevoir dans son giron une âme éclairée par la Lumière divine. A son tour et un an plus tard, Graziani trouva celui qui le déquilla dans un combat loyal, avec un groupe de l'ALN rencontré dans les gorges de Palestro là où l'armée de l'Autre rencontra le plus de difficultés et cela pendant tout le temps que dura la guerre. Pourquoi n'ai-je pas moi-même subi ce que mon ami a enduré ? Ton père était mon ami Quelle est belle l'Amitié qui aime comme l'amour aime aimer ce que l'amitié aime Le lendemain matin, la nouvelle se répandit comme l'annonce d'un glas. Devenu muet face à cette exaspération qui n'avait de remède que dans la fuite ou dans la mort.
Pour ne pas fuir hors de sa terre natale, ton père préféra mourir sachant qu'il serait accueilli par celui qui l'invita à le rejoindre. Une mort sacrée qu'il savait qu'elle le recevrait dès lors que sa responsabilité politique était étrangement grande et sa nature humaine particulièrement noble. Il est vrai qu'en tant qu'ami et pendant tout le cours de notre entreprise vers la libération de notre Patrie, ton père ne me confiait pas ses secrets. Cette entente occulte préservait chacun de nous d'une torture que nous savions impardonnable. Le cloisonnement indispensable de tous les militants était de rigueur, puisque la torture était comprise avec les matériaux utilisés par l'Autre. Toutes ces choses à bannir que les gros tirages de livres de 1'après-guerre nous ont fait connaître, nos adversaires après les avoir subies les pratiquèrent sur nous pour, disent-ils, cueillir des informations de première main dussions-nous recevoir en nos corps l'enfer propulsé par l'Autre, la langue française a ceci de bon, c'est qu'elle nous inculqua le devoir à accomplir sans faillir à notre tâche d'Algériens. Après la nouvelle funeste de la mort de ton père, je me promenais de très bonne heure, un matin de mars, sur le boulevard front de mer. Là où le coup d'œil sur l'Amirauté est le plus réjouissant.
Si j'étais là de bien bonne heure, c'est parce que j'étais assailli de tous les côtés par des problèmes qui nous concernaient. C'est là qu'un homme d'une cinquantaine d'années m'accoste. C'était ton grand-père maternel. Il me dit : « Me connais-tu ? » Je réponds par la négative en secouant la tête. Il continue : « Je suis le beau-père de Mustapha et il ajoute : « Le corps de Mustapha est à l'Hôpital Maillot et dans son portefeuille il a des photos de toi. Que dois-je faire ? Dois-je les enlever ? » Je réfléchis et je réponds par la négative. Laisse-les où ils sont. Il continue : « Ce matin, son corps sera dirigé vers la morgue, elle est contiguë au cimetière chrétien. C'est vers 11 heures qu'ils remettront le corps à ses proches. » J'y serai. Il était environ 10h30 quand j'y suis arrivé. Omar Bouhired, son frère m'y rejoignit aussitôt.
Omar et père de 4 enfants. Il y a Djamila la pasionaria de l'Algérie. Noureddine, il me semble, se trouvait en Russie soviétique pour étudier et mériter son diplôme d'ingénieur. El Hadi et El Yes encore jeunes mais impétueux, furent limogés par Omar qui demanda à l'Autre de les incarcérer. Je dirais que le cœur d'un père est encore plus jaloux pour ses enfants à les voir vivre que de les perdre dans une guerre d'usure où les hommes les plus chevronnés oscillaient sur leurs genoux. Je comprenais parfaitement ce geste de Omar. S'il ne s'agissait que de faire la guerre pour ensuite se recevoir la liberté sans aucun héritage à transmettre, à quoi auraient servi tous ces moments. C'est cette perspective qui, au préalable, voulait que tous les adhérents se marient. Cette guerre servait à ouvrir à nos enfants les voies de l'Avenir que l'Autre chicanait à nous remettre. L'enfance devait donc être protégée au même titre que l'on protège ce qu'il y a de plus sacré chez l'homme, à savoir la vie. Une voiture s'immobilisa proche de nous. Un brigadier en descendit. Il vint vers nous car il connaissait Omar comme nous nous connaissions tous. Il lui dit : « Omar, nous sommes de vieux amis, alors voilà, nous allons vous suivre jusqu'à l'entrée du bas du cimetière, puis nous vous laisserons entre vous. Pas de grabuge, nous comptons sur vous, ça va ? » J'ai dis merci.
Nous les suivîmes et nous entrâmes par la porte d'entrée de la morgue. Là j'ai vu plusieurs cases et dans l'une d'entre elles, il y avait le corps de ton père. Ils nous le remîmes. J'ai soulevé le voile qui le cachait. J'aurais dû dire le drap qui le cachait et j'ai vu mon ami Mustapha. Je l'ai vu encore plus beau mort que vivant. Lorsque le cœur d'un vivant est proche d'un ami mort, le cœur voit l'âme de son ami beaucoup plus vivant que le cœur de celui dont le corps n'est pas encore mort. Je me suis penché vers lui et je l'ai embrassé sous le regard embarrassé d'un territorial en faction. En emportant le corps dans un naâche, nous le plaçâmes dans une camionnette Nous pleurâmes toute notre fébrilité. La camionnette démarra et nous nous dirigeâmes vers le cimetière d'El Kettar par le bas. Parvenus au terme du trajet, nous nous saluâmes et la police s'en alla, nous laissant en face de nous mêmes, en face de ce corps dont la conscience sur les épaules de tous les responsables de cette époque, doit peser très lourd. La révolution à gros appétit. Elle dévore les meilleurs de ses enfants comme une fine gastronome. La vie est belle et quiconque atteint le degré de sa beauté, elle l'emporte jalousement pour qu'il ne soit plus sali par les laideurs de la lâcheté habillée de lambris.
En montant le chemin du calvaire, j'ai proposé à Omar ainsi qu'à Ammar son oncle, je ne sache s'il y avait une troisième personne, de nous arrêter pour voir dans le détail le corps de ton père. C'est là, dans le silence pénétrant du cimetière, caché par les arbres du carré militaire, que nous nous aperçûmes des brûlures sous les orteils ainsi que les balles qui ont transpercé son corps et aussi celle logée dans son cortex. Lorsque nous parvîmes près de l'endroit où il devait être enterré, une foule nombreuse et anonyme nous attendait. De part et d'autre, la surprise était de taille. Les responsables déguisés m'envoyèrent un émissaire pour me demander mon avis quant à la façon avec laquelle ton père serait enseveli.
Ici j'ouvre une parenthèse car elle est de mise et l'on ne sait ce que l'avenir nous réserve. (Si, la bataille de Ohod terminée, notre Prophète décida d'enterrer sur le champ, les combattants morts tels qu'ils étaient, c'est parce que les Koreichites pour revenir à la charge et s'ils ne revenaient pas à la charge, c'est parce que l'éloignement de Yathrib et aussi la chaleur, le poussèrent à décider de leur enterrement. Mohammed, (QSSSL), n'avait pas auprès de lui les disponibilités adéquates pour vêtir ses compagnons de lutte avec tout le cérémonial mérité. Cependant, tous ces gens présents avec à leur disposition tout le temps nécessaire, décidèrent de l'enterrement de ton père habillé d'un treillis fourni par les tortionnaires. Je n'avais plus rien. Je suis donc parti. Ce qu'il y a d'essentiel dans ce que j'avance, c'est que tous ceux qui étaient présents à l'enterrement n'ont fait que voir le corps de ton père et l'enterrer ensuite. Alors que j'emportais dans mon cœur celui qui auprès de mon cœur me dictait ma démarche. La mort par elle-même est une rencontre inévitable. Je dirais pour cela que ce que je dis, Mustapha aurait bien pu le dire à mon égard, si j'avais été à sa place.
« M'étant relu, Hafida ma fille chérie, je te dirais de ne point t'offenser face à l'oubli dont ton père a été entouré ». « De même qu'ils l'ont oublié, ils seront à leur tour oubliés par celui qui n'oublie pas ». Gloire à nos chouhada.


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