Jardins potagers, petits vergers ou cours intérieures ombragées par des figuiers ou des oliviers centenaires… Il n'y a pas très longtemps, tous les villages des Bibans, des Babors ou du Djurdjura offraient cette même vision harmonieuse d'un ensemble architectural constellé d'îlots de verdure nichés au milieu des habitations. La formidable poussée démographique qui a suivi l'indépendance et l'urbanisation effrénée qui en a découlé ont profondément remodelé ce paysage emblématique. Le béton a fini par avoir raison de la plupart des espaces verts que l'on a sacrifié en premier pour agrandir une demeure familiale devenue trop exigüe ou pour lui créer des dépendances. Parallèlement, le parpaing a remplacé la pierre bleue, la dalle de béton a triomphé de la toiture en tuiles charpentée et les garages ont poussé là où, habituellement, on cueillait les fèves, les figues ou les olives. Le constat est le même partout en Kabylie : le développement s'est fait au détriment des espaces réservés aux cultures. Des oliviers séculaires continuent aujourd'hui même à être offerts en pâture aux pelles des bulldozers pour arracher des espaces constructibles. Dans un mélange de styles qui n'a de commun que le mauvais goût, des villas biscornues partent à l'assaut des crêtes quand elles ne surgissent pas des fonds des ravins en avalant tout sur leur passage. Chênes, frênes, ormes, figuiers, caroubiers ou oliviers, les essences les plus répandues sous nos latitudes paient un lourd tribut au progrès. Les villages ont débordé sur les champs de culture, prenant d'assaut tous les espaces offerts. A la périphérie des ces agglomérations qui ne sont plus des villages mais qui n'ont pas encore la taille des villes, les poulaillers par centaines ont grignoté d'autres espaces jadis cultivés. Les tentatives de reverdir un paysage qui a tendance à se bétonner à toute allure ne sont pas légion. Quand elles voient le jour, elles se heurtent à un vandalisme devenu, lui, un sport national. La culture des géraniums et des lys ne fait pas vraiment partie de notre culture. Même en bénéficiant d'une pluviométrie appréciable qui pourrait tout naturellement leur conférer un aspect plus vert, les « grandes villes » de la vallée de la Soummam comme Akbou, Tazmalt, Sidi Aïch, El Kseur, Amizour sont mangées par le parpaing et le béton. Bâtiments hideux et crasseux, balcons envahis par le linge qui sèche et les assiettes paraboliques, grosses villas sans même un mètre carré de gazon ou un balcon fleuri, maisons individuelles aux façades non finies, les rares espaces destinés à recevoir un peu de verdure sont devenues des décharges publiques ou des terrains vagues. Lorsque nous avons demandé à quelques APC si leurs services employaient des jardiniers dans d'éventuels parcs communaux, l'étonnement suscité par notre question prouvait largement qu'elle était, pour le moins, saugrenue. La ville d'Akbou possède bien un jardinier qui exerce ses talents à la crèche communale. En soignant ses roses et ses bégonias, il permet de régler le fameux problème de la gerbe de fleurs des cérémonies officielles. Les platanes et les eucalyptus qui bordaient les routes au lendemain de l'indépendance sont presque tous tombés sous les lames des tronçonneuses au moment où il a fallu agrandir les axes routiers pour absorber un trafic en constante augmentation. Même les cigognes sont obligées de nicher sur des poteaux électriques faute d'arbres sur la route. Au train où vont les choses, on pourra bientôt aller voir la ville à la campagne.