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Visite guidée des maisons des Chaouis
Les balcons du rhoufi
Publié dans Liberté le 24 - 03 - 2009

En prenant le chemin de l'oasis, combien fut grande notre surprise lorsqu'on a rencontré une jeune femme, qui sortait de nulle part. Ses traits rudes cachaient à peine sa timidité et sa méfiance de l'autre, l'étranger.
À l'extrémité des Aurès, aux portes du désert, entre T'kout et Ghassira, attendez- vous à être agréablement surpris par la magie d'une oasis au cœur de la montagne, le Rhoufi. C'est une série de balcons taillés en cascades dans la roche et sur lesquelles s'agrippent des maisonnettes qui donnent sur une étonnante palmeraie. Le site offre un magnifique paysage aux multiples façades et niveaux, de bas en haut, versant exposé et versant ombragé, un espace intérieur et un autre extérieur. D'en haut, un magnifique belvédère, à couper le souffle, dans un mariage étonnant de couleurs, ocre de la roche, rouge argile des maisons, vert des jardins et beige du calcaire. D'en bas, longe le lit profond et sinueux de la vallée d'Ighzar Amellal, resserrée entre deux plissements de massifs entre Djebel Takroumt, Djebel Krouma et Djebel d'Ahmer-Khadou.
À 500 mètres du site pittoresque, on rencontre un vieil homme, adossé au mur de sa nouvelle maison en face de l'ancien Rhoufi. Il se rappelle avec nostalgie, les jours où le Rhoufi était très convoité par les touristes européens et américains donnant une ambiance particulière à la vie dans la région. “C'est à partir des années 1960 que les gens ont commencé à déserter leurs hameaux, attirés par l'attrait des grandes villes sans couper, pour certains, le cordon avec leurs jardins.”
El-Hadj Hecen, est né en 1934 à l'ancien Rhoufi. “Nos ancêtres ont toujours vécu dans ce paradis avant que le colonisateur français ne déporte une partie d'entre eux du côté de Tébessa. Lors de la guerre de Libération, le reste des familles sera regroupé dans des centres afin de couper les aides aux moudjahidine. Les maisons du Rhoufi meurent en silence. Désertées, elles ne sont plus entretenues, le cœur se ressert à voir un tel trésor dépérir, dans une indifférence quasi totale. C'est uniquement à Rhoufi que vous pouvez voir un palmier d'en haut, pas d'en bas comme il est de coutume et de voir ses feuilles pennées en forme de bouquet comme des roses qui surgissent du fond de cette profondeur vertigineuse. Notre guide, fils de la région, Mohamed, regrette la nature agonisante au Rhoufi. “Les palmiers meurent l'un après l'autre. Depuis 1982, des crues ont détruit les ruisseaux et les rigoles. Les responsables, qui se sont succédé dans la région, ont fait peu pour remédier à la situation”, se plaint-il. Le Rhoufi se distingue par son architecture intégrée avec son milieu, surtout la montagne offrant l'image d'un équilibre harmonieux. Aux matériaux issus du terroir s'est associé la créativité artisanale des Chaouis imazighens. On a fait usage des pierres extraites des strates régulières pour élever les murs en moellons ainsi que de la terre glaise comme mortier et couverture. Pour la toiture et les piliers qui soutiennent les maisons, on utilisera des oudjrid, les troncs des palmiers ainsi que du genévrier. Dans le temps, dans un élan de solidarité, femmes et hommes sortaient dans une forme de touiza pour s'entraider à construire une nouvelle tederth, maisonnette. C'est cela qui a fait l'originalité du Rhoufi, le savoir-faire aurésien et la culture des autochtones qui se manifeste dans ce vaste belvédère. Elevés, généralement, sur deux étages les niveaux des tederth sont reliés soit par des escaliers construits en blocs de pierres ou des poutres de palmiers, soit à l'aide d'échelles achentourth. Dans l'espace intérieur, la grande pièce est dominée par une large cheminée. La maison ne manque pas de soleil ni d'air grâce aux fenêtres et aux lucarnes. Ces dernières sont généralement sous différentes formes et réalisées grâce à des compositions triangulaires, hexagonales ou de losanges imbriqués.
Sur le chemin des oasis
En prenant le chemin de l'oasis, combien fut grande notre surprise lorsqu'on a rencontré une jeune femme, qui sortait de nulle part. Ses traits rudes cachaient à peine sa timidité et sa méfiance de l'autre, l'étranger. Elle portait sur son dos une grosse pierre ronde, c'est la partie supérieure du moulin, en pierre, aux grains, qu'on appelle en chaoui thasirth.
Elle refusera de nous parler et tout ce qu'on a pu savoir c'est qu'elle habite le Rhoufi avec ses parents et son frère, soit deux familles toujours installées ici, dans le Rhoufi. Un employé de l'APC de Ghassira nous le confirme. Elles sont, en effet, deux familles qui vivent toujours dans les anciennes maisons du Rhoufi, ce sont les seules qui sont restées avec un mode de vie proche de celui des anciens, dans leurs modestes tiderth. Les tederth font partie des teddechrath, les dchour ou les villages en chaoui. Ici on dit que “pour chaque virage, un village”, six virages et six villages et qui sont ceux des Ath Mensor, Ath Idharen, Ath Mimoune, Rhoufi, Bouali, Baja, Taouria et Tabeaalite. Quatre types de dechour se distinguent à Rhoufi. Elles consacrent, principalement, le mode de vie au rythme des saisons. Elles vivent dans des teddechrath principales, dotées de greniers collectifs, les thiqlaâth, qui se situent sur un plateau ou une croûte. Les résidences secondaires, pour la saison estivale, construites au pied des falaises. Enfin, les ifri, insérées dans la falaise sous forme de grottes. Chaque dechra est dotée d'une mosquée que rien ne différencie des maisons qui l'entourent, ni minaret ni décoration. Deux grandes mosquées se distinguent, la Guelâa de Taourirt et celle de Sid Ahmed ou Saddok à Ath Mimoune. Les zaouïas, contrairement aux mosquées, sont reconnues par leurs ocres coupoles ovoïdes. On reconnaît une autre construction, en face de nous, sous une avancée de rochers dans un tournant du canyon. D'une architecture un peu à part, c'est l'ex-hôtel Transatlantique. De renommer mondiale, c'est une construction coloniale, une réplique des Ifris berbères. Elle est réalisée sur plus de 600 m2 avec deux niveaux qui enveloppent 14 pièces en plus des pièces annexes. Une vue splendide s'offre de la terrasse de l'hôtel, aujourd'hui en ruine. Enfin arrivé en bas, essoufflés et après avoir évité de justesse les figuiers de barbarie qui s'agrippent dans les éboulis, on est submergé par une admiration indescriptible. Les jardins au lit d'Ighzar Amellal formant un ruban continue de palmiers tout au long des deux rives. Des dizaines de milliers de palmiers-dattiers avec plus de 26 variétés de dattes. S'étendant sur plus de 1 000 hectares, entre les villages de Tifelfel et Baniane, le site est clôturé avec des murets de pierres sèches.“Là, sous un immense palmier, pousse un olivier, sous l'olivier, un figuier, sous le figuier, un grenadier, sous le grenadier, une vigne, sous la vigne, on sème du blé, puis des légumineuses, enfin des herbes potagères. Tout cela la même année et chacun des plants se nourrit à l'ombre du voisin”, écrivait Pline, au premier siècle de notre ère. “Avant, les habitants du Rhoufi vivaient de l'élevage des chèvres, des moutons et des animaux de basse-cour. On faisait de l'apiculture, on labourait El-Gabel, la montagne d'en face, où on faisait la culture des céréales. L'eau ne manquait jamais, les jardins étaient irrigués par un réseau de seguias, ighoulane, relié aux digues, thayrouth, qui captaient les eaux de ruissellement résultant de l'érosion sur les versants et des sources, aouinat, qui étaient nombreuses, environ 23”, nous explique-t-on. Le Rhoufi n'a, malheureusement, pas bénéficié de recherches historiques, archéologiques et ethnographiques. On se réfère, alors, à la tradition orale, la légende sacralisée, pour raconter son histoire. Il y a celle qui est liée au balcon de Kef Laarouss, Addar N'teslith ou la caverne de la mariée. “Tous nos cortèges de mariage doivent passer par Kef Laaroussa et s'y arrêter un moment, en espérant le bonheur et l'amour éternel au jeune couple”, nous raconte, un habitant du village de Ghassira.
Ce qui est sûr c'est que le Rhoufi a été, de part sa nature, un refuge d'excellence pour les habitants de ses dechour. Son architecture unique est sans doute issue d'une stratégie guerrière, puisque l'accès était impossible pour les rivaux sans qu'ils soient aperçus de loin par les habitants. De plus, les fortifications, les grottes et les thiqlaâth, connues pour être des greniers, sont des réduits défensifs. Le Rhoufi fut du temps de l'occupation française l'un des centres les plus importants de la résistance aux Aurès. Ses habitants ont subi une forte répression en 1859.
Ailleurs, la présence des sanctuaires, celui de sidi Bouthezemmourth, les zaouïas, notamment celle de Sidi Ahmed Oussadore de la Tarîqa er-rahmania, et les mosquées témoignent d'une vie spirituelle fortement présente au fond de ce méandre. Elle se manifestait dans les traditions ancestrales qui sont les ziyara, visite pieuses, et les moussem, fête patronales. La remonté vers le haut a été encore plus difficile que la descente. Avant de rentrer sur Batna, on nous propose de passer par Arris, la reine des Aurès, pour y rencontrer le doyen des guides de la région et de toute l'Algérie. Ami Messaoud Nouri était à l'arrière de sa boutique, située au centre de la ville d'Arris et où l'odeur du café, fraîchement moulu, domine le lieu et les conversations.
Souriant, avec son regard toujours jeune malgré l'âge, il nous raconte, avec nostalgie, une bribe de sa vie. “Je suis le plus vieux guide touristique qui a travaillé dans les balcons du Rhoufi et à l'hôtel Transatlantique, j'y étais de 1921 jusqu'à1924, j'avais 15 ans.” Il continue : “À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de gens qui parlaient le français et un jour l'administrateur m'a confié la tâche de partir avec des touristes anglais pour que commence ma carrière de guide.”
Il nous raconta les détails des circuits de 4 jours à dos de mulets pour rejoindre, à travers les gorges le mont de Chelia, en passant par M'chounech. Sur ce, nous quittons ami Nouri et la région la reine des Aurès avec l'espoir de faire un jour ce périple.
F. Lamia


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