L'explosion démographique musulmane est un mythe », a expliqué, hier soir à l'hôtel Hilton, Youssef Courbage, démographe libanais, lors d'un colloque organisé en marge du Salon international du livre d'Alger (Sila) et dont le thème est d'actualité : « Monde arabe et occident : choc des civilisations et stratégies d'hégémonie ». Cette « explosion » est véhiculée, selon lui, par les tenants de la théorie du « clash des civilisations », théorie développée par le politologue américain Samuel Huntington. D'après lui, l'Organisation transatlantique nord (OTAN) a repris, dans un récent rapport, cette idée, considérant « la démographie » et « le fondamentalisme religieux » comme des menaces. En 2007, Youssef Courbage a co-écrit avec le sociologue Emmanuel Todd un essai, Le rendez-vous des civilisations, qui détruit les thèses de Huntington. « Nous avons voulu répondre par des chiffres et par des indicateurs sociodémographiques à cette prophétie d'autoréalisation occidentale. Les données chiffrées sont mieux que les discours », a-t-il soutenu. Selon lui, les taux d'alphabétisation, les taux de fécondité, la scolarisation des filles et des garçons tendent à se rejoindre partout dans le monde. « Pour passer de 5 à 2 enfants, l'Europe a mis deux siècles, le monde arabe et musulman deux décennies ! Au Liban, le taux de fécondité est de 1,7 enfant par femme. Il est plus bas qu'en France », a-t-il appuyé. D'après Youssef Courbage, la clé de la transition démographique et de la modernisation est l'élévation du niveau d'instruction. Pascal Boniface, géopolitologue français, a, pour sa part, estimé que le conflit du Proche-orient est au cœur du « choc des civilisations ». « Pourtant, Samuel Huntington n'a, sur les 700 pages de son ouvrage, consacré que deux pages à ce conflit », a-t-il noté. Même si le nombre de victimes est moins important que pour les autres guerres, comme celles du Libéria ou de Tchétchénie, le conflit israélo-palestinien est, selon lui, stratégique. Il a relevé que les Etats-Unis sont « juge et partie » dans ce conflit alors que l'Europe est « passive ». Evoquant le bilan du Président américain, qui termine ses deux mandats constitutionnels, Pascal Boniface a souligné que « George W. Bush est l'un des pires ou le pire président de toute l'histoire des Etats-Unis ». Idée que partage Alain Gresh, directeur adjoint du mensuel Le Monde-diplomatique, qui a évoqué « l'échec de la politique américaine » au Moyen-Orient. L'administration US est accusée, de par son intervention militaire en Irak et en Afghanistan, d'avoir affaibli les Etats et d'avoir encouragé les divisions ethniques. « Pour comprendre l'idée du choc des civilisations, il faut voir ce qui se passe sur le terrain », a-t-il précisé. L'ancien ministre libanais des finances, Georges Corm, qui vient de publier un ouvrage sur l'histoire du Moyen-Orient, a relevé que le monde arabe a besoin de « liberté, de justice et de dignité » pour sortir de l'état d'arriération. « Nous avons des identités perturbées », a-t-il noté. Le débat d'hier a été modéré par l'islamologue Mustapha Chérif. « Le dialogue est une arme de résistance. Il faut jeter des passerelles pour éviter l'isolement et la diabolisation », a-t-il déclaré. Nous y reviendrons.