Dans le bureau d'un vice-recteur de la prestigieuse université de stomatologie de Moscou, l'attention du visiteur est tout de suite attirée par une carte des frontières est de l'Algérie avec cette légende en gros caractères d'imprimerie : « L'Algérie se souvient, l'Algérie n'oubliera pas »... Si la présence de cette carte dans pareil endroit paraît, de prime abord, surprenante, elle s'explique par le fait que le vice-recteur se trouve être aussi le président de l'Association des vétérans de ce que les Russes appellent « les combattants internationalistes ». L'association est composée notamment de soldats et d'officiers ayant participé à la Seconde Guerre mondiale puis à des missions de sécurité à l'intérieur de l'Union soviétique ou d'assistance à l'extérieur du pays. Selon ce responsable, cette université a été la première à accueillir, à partir de 1998, le siège de l'association au sein de laquelle figure le « groupe algérien des combattants internationalistes », formé notamment de sapeurs ayant entrepris en 1962, aux côtés des éléments de l'armée algérienne, le déminage des régions situées le long des frontières avec la Tunisie et le Maroc. A côté de la carte, un tableau de peinture représentant le portrait d'un jeune soldat ne manque pas de retenir lui aussi l'attention. Aussitôt, le vice-recteur laisse le soin à son ami, le colonel Andreï Pavlenko, d'expliquer qu'il s'agissait du caporal Nikolaï Piaskorsky, mort en Algérie, alors qu'il procédait avec ses compagnons au déminage d'un secteur des frontières est du pays. « Né en 1941, le caporal Piaskorsky, originaire d'Ukraine et dont le père était lui aussi démineur, est tombé le 11 décembre 1963 après avoir neutralisé près de 10 000 mines avant d'être fauché par l'une d'elles », raconte-t-il. Se remémorant la période qu'il avait passée en Algérie, Andreï Iakovlevitch Pavlenko, ce vétéran des démineurs soviétiques qui avaient contribué à débarrasser de vastes zones des engins de la mort semés par les forces coloniales avant leur départ, parle alors avec beaucoup d'émotion de ce pays auquel il a consacré un livre au titre évocateur En Algérie, nos cœurs sont restés. Les sapeurs de l'armée algérienne et ceux des deux groupes de démineurs soviétiques, l'un basé à Maghnia à l'ouest et le second à El Kala à l'est, étaient quotidiennement confrontés à un danger mortel, poursuit Pavlenko. « Beaucoup de démineurs ont été grièvement atteints, certains ont perdu la vue, d'autres une jambe ou les deux à la fois par des mines non explosées après le passage du char de déminage », dira encore Pavlenko en s'efforçant de réprimer ses larmes.