L'Amérique avec ses 130 millions d'électeurs a voté hier avec la certitude que quelque chose changera quel que soit le vainqueur. Pour la première fois de son histoire, le 44e Président des Etats-Unis pourrait être un Noir. Il s'agit du démocrate Barack Obama qui a voté dès l'ouverture des bureaux de vote dans sa ville de Chicago. Il l'a fait bien tôt afin de poursuivre son marathon électoral, ou plutôt boucler une course qui a tout de même duré pas moins de deux années. Et ce soir (heure américaine), il en tirera les premières conclusions, car il y en a à tirer de ce face-à-face inédit que la conjoncture américaine et internationale a rendu encore plus important. Chicago (Etats-Unis). De notre envoyé spécial Egalement pour la première fois de son histoire, en cas d'échec de M. Obama, la républicaine Sarah Palin deviendra la première femme à accéder au poste de vice-Présidente des Etats-Unis. Elle est la colistière de John McCain, tandis que Joe Biden complète le ticket démocrate. Ce qui accentue l'importance de ce rendez-vous électoral, c'est que les Américains – et c'est une tradition – doivent parallèlement participer à de nombreux scrutins, locaux pour la plupart, mais cette fois, l'enjeu est aussi lié au renouvellement du Congrès. Il sera partiel (le tiers des sièges) pour le Sénat et total pour la Chambre des représentants. LES SONDAGES FAVORABLES À OBAMA Les derniers sondages rendus publics hier donnaient la victoire au candidat démocrate avec une marge allant jusqu'à huit points. Ce qui est considérable, mais les concernés préfèrent garder les pieds sur terre, ils poursuivaient leur campagne inlassablement. Même s'il refuse de l'admettre au vu d'une majorité aussi nette et théoriquement indiscutable, l'entourage de Barack Obama n'exclut toujours pas ce qu'on appelle l'effet Bradley, autrement dit ces sondages menteurs bien malgré eux. Les sondeurs ont été les premiers à émettre des réserves en affirmant que les personnes interrogées pourraient ne pas dire la vérité quant à leur intention de vote en faveur du candidat noir. C'est qu'une partie de l'Amérique est demeurée profondément conservatrice. Autrement dit raciste. En partant de ce qui reste une vérité qu'aucun institut de sondage n'arrive à décrire et quantifier puisque la question, tel un tabou, n'a jamais été soulevée. Les sondeurs mettent aussi en garde contre ce qu'ils appellent les sondages « sortie des urnes ». Là aussi, la prudence est de rigueur et il faudra attendre les résultats qui seront communiqués bien entendu après la fermeture des bureaux de vote, soit demain à l'aube (heure algérienne), puisqu'il faut tenir compte du décalage horaire (jusqu'à neuf heures) et de l'éloignement de la côte ouest qui clôture le vote avec trois heures de retard. C'est cette prudence qui caractérise tous les discours qui ont pris un ton presque martial. Comme l'a fait lundi soir le candidat McCain dans le Nevada : « Nous allons gagner… N'abandonnez pas l'espoir, soyez forts, ayez du courage et combattez. » Inutile de chercher loin. C'est un langage qui rappelle son passé de militaire. Mais il y a comme un air de déjà-vu et dans des circonstances identiques, celles qui évoquent l'échec. Son adversaire pourtant recourt au même discours, la formulation en moins. En Virginie et devant des milliers de ses partisans, alors même qu'il venait d'annoncer le décès de sa grand-mère à qui il avait rendu visite il y a tout juste une dizaine de jours, il les encourageait à « ne pas ralentir, s'asseoir ou s'arrêter » avant la fin du scrutin. Si les milliers de volontaires ne quittaient pas leurs pupitres avec ordinateurs et téléphones, les électeurs le leur ont bien rendu en se rendant très tôt dans les bureaux de vote. Il ne s'agissait pas d'être les premiers, mais d'être sûr de pouvoir voter, et si possible dans de bonnes conditions, entendre par là passer le moins de temps – ce n'est pas un jour férié – et sans se heurter aux problèmes de machines. Les Américains gardent en tête l'élection de 2000 qui avait tourné au cauchemar puisqu'il a fallu multiplier les comptages et qu'en fin de compte, le républicain George W. Bush avait été déclaré vainqueur par arrêt de la Cour suprême. FAIRE OUBLIER LA PRESIDENCE BUSH Ce scénario est envisagé par les états-majors des deux candidats, les amenant à chercher la victoire par le plus grand écart possible. Il reste pour les électeurs à faire preuve de ténacité et de courage comme le leur demandent les deux candidats, tandis que beaucoup s'interrogent sur un système aussi dissuasif et forcément frappé de suspicion. De nouveaux systèmes ont bien été adoptés mais, visiblement, rien n'a été réglé. Plus que cela, alors qu'on a pu en voir, les observateurs s'interrogent davantage sur cette question de chaînes dans les quelques Etats où peut se jouer l'élection. A suivre leurs questionnements, sans qu'il y ait accusation, il y aurait intérêt à barrer la voie surtout aux nouveaux électeurs, répondant par millions aux appels du candidat. Et dire par ailleurs que M. Obama n'a pas bouclé la boucle des incertitudes ou des simples doutes qui se trouvent, aussi paradoxal que cela puisse paraître, jusque et y compris dans son propre parti. Il est, en effet, certain que des démocrates ne voteront pas pour Barack Obama, ce qui ne veut pas dire qu'ils donneront leur voix à son adversaire. Effectivement, le forcing du candidat démocrate prend encore plus de signification quand on sait qu'avant tout, il doit convaincre une opinion sclérosée, ancrée dans des stéréotypes du genre « voter Blanc c'est bien ». Nul doute que celle-ci existe au sein de son propre parti comme le prouve l'épisode de la Convention du parti démocrate. Ces millions d'électeurs (des primaires) de Hillary Clinton, adversaire malheureuse de Obama pour l'investiture, n'étaient pas tous enthousiastes de voter pour Obama. Un report de voix qu'ils refusaient. Et puis, c'est la bataille pour le contrôle de l'appareil législatif. Les deux partis veulent s'en emparer afin de faire passer leurs lois, sinon gêner l'adversaire. Devant toutes ces considérations, la première question qui venait hier était relative à la participation. Est-ce que cette consultation ferait oublier toutes les précédentes, dominées à l'époque où quel que soit le vainqueur, il n'y aura pas le moindre changement. Mis à part qu'il faille designer un successeur au président sortant qui a épuisé ses deux mandats et qui n'a plus le droit de se représenter, y en aura-t-il, cette fois, nonobstant qu'un Noir et une femme pourraient être élus ? Sur cette question, beaucoup sont franchement dubitatifs, sinon ne croient pas en une telle perspective. Le prochain Président, entend-on un peu partout, devra surtout mettre de l'ordre dans la maison Amérique. C'est-à-dire stopper la crise et, de manière générale, faire oublier la présidence Bush.