Comme vous le souligniez dans le dernier numéro de votre revue, les prix du pétrole ont dégringolé de 57% après le pic qu'ils ont enregistré en juillet dernier ; malgré la réduction par l'OPEP de sa production, ils continuent leur chute verticale. Pourquoi ? Cette chute vertigineuse des prix du pétrole est très directement liée à la crise économique et financière mondiale que nous traversons. La croissance de la demande pétrolière mondiale ralentit très sensiblement – il est possible que cette demande baisse cette année, ce qui serait une première depuis 1983 – du fait de la crise économique et de l'accès au crédit beaucoup plus difficile du fait de la crise financière. Or, les opérations d'achat de pétrole ou de spéculation sur le pétrole se font très fréquemment grâce à l'obtention de crédits. De plus, les investisseurs qui ont essuyé beaucoup de pertes au cours des derniers mois, hésitent à placer leur argent dans des domaines risqués et volatiles, ce qui est le cas du pétrole, et privilégient les placements les plus sûrs qui soient. La remontée du dollar par rapport à l'euro a également joué un rôle important, car on sait qu'il y a souvent une relation inverse entre l'évolution des cours du dollar et du pétrole. Ces facteurs baissiers sont bien sûr importants mais ils ne justifient pas objectivement une telle chute des prix. Comme c'est souvent le cas, les marchés exacerbent les tendances, que ce soit à la hausse ou à la baisse, avec une vision de très court terme qui ne prend pas en compte des facteurs de moyen terme. Pour l'instant, tous les opérateurs sur ces marchés sont obnubilés par la crise économique et financière, mais on ne doit pas exclure plus tard un retour de balancier qui pourrait être brutal. Y a-t-il des chances, aussi minces soient-elles, que les prix de l'or noir se stabilisent dans les prochaines semaines ou les prochains mois ? C'est possible, mais cela dépendra beaucoup de l'OPEP. L'Organisation a déjà décidé de réduire sa production de 1,5 million de barils par jour à compter du 1er novembre et devrait se prononcer prochainement sur une réduction supplémentaire, la première n'ayant clairement pas atteint son objectif. Si cette seconde réduction est significative, une stabilisation des prix, voire une remontée, est possible car l'on s'approche de la saison hivernale dans l'hémisphère nord et la demande pétrolière est toujours supérieure en hiver à ce qu'elle est durant des autres saisons. La plus ou moins grande rigueur de cet hiver jouera elle aussi un rôle dans cette équation des prix. A moyen terme, la sortie progressive du monde de la crise financière et économique actuelle sera bien sûr l'élément déterminant. La crise financière mondiale, qui a engendré dans la foulée une récession économique dans de nombreux pays occidentaux, est-elle la seule cause de cette situation (baisse des prix du brut) ? C'est la cause principale et de loin, à travers la récession économique et son impact sur la demande énergétique et pétrolière, la restriction des crédits et la volonté des investisseurs financiers d'éviter les placements risqués. Il ne faut pas oublier la hausse du dollar, mais elle a aussi des liens avec la crise que nous évoquons. La flambée des prix du pétrole brut jusqu'à juillet 2008 est aussi à prendre en compte, car elle a poussé les consommateurs à réviser leurs comportements et les Etats consommateurs à renforcer leurs politiques de diversification énergétique. Une hausse des prix très forte et très rapide prépare souvent les conditions qui conduiront à l'inversion de cette tendance. L'été 2008 en a été une nouvelle illustration. De nombreux observateurs expliquent, en partie, cette baisse des prix du brut par le fait que les pays de l'Opep n'arrivent plus à accorder leurs violons. On présente notamment l'Arabie Saoudite comme une sorte de trouble-fête qui saborde toute initiative de l'OPEP de stabiliser les prix en refusant de réduire sa production. Quels sont en fait les enjeux qui se cachent derrière ce jeu trouble ? Les divisions internes à l'OPEP ne sont pas nouvelles et sont la conséquence des divergences d'intérêt, bien connues, entre pays membres. Ces intérêts sont pétroliers, économiques, politiques et stratégiques. Cela dit, il est certain que ces divisions ont un impact négatif sur les prix dans des situations de crise, comme c'est le cas aujourd'hui. L'Arabie Saoudite n'était effectivement pas satisfaite des résultats de la dernière conférence ministérielle de l'OPEP qui s'est tenue le 24 octobre. Riyad est traditionnellement plus sensible que d'autres capitales aux attentes des grands pays consommateurs, notamment les Etats-Unis, et peut encaisser plus facilement que d'autres une forte chute des prix du pétrole. Par ailleurs, l'Arabie Saoudite ne souhaite pas des prix du brut trop élevés car elle estime qu'ils peuvent avoir des conséquences – surtout la baisse de la demande – qui sont préjudiciables à ses intérêts sur le long terme. Les premiers éléments dont on dispose semblent montrer que ce pays a pris des mesures en vue de réduire ses livraisons à plusieurs raffineurs asiatiques qui figurent parmi ses clients réguliers. L'attitude de cet Etat clé à la fin de la dernière conférence a certainement poussé les analystes à estimer que les dirigeants saoudiens ne mettraient pas en œuvre la décision de l'OPEP, mais cette appréciation était prématurée. Il est vrai que la chute des prix s'est poursuivie après le 24 octobre, ce qui a conduit l'OPEP à resserrer les rangs. Les membres de l'Opep prévoient de se revoir en décembre prochain à Oran (Algérie) pour tenter à nouveau de juguler la baisse des prix du brut. Pensez-vous qu'ils y parviendront ? L'OPEP n'a guère le choix. Si une nouvelle réduction n'était pas décidée, les pays producteurs risqueraient de faire face à une nouvelle dégradation des prix. Or, avec des cours du brut à leur niveau actuel, c'est un risque que les pays producteurs ne peuvent pas se permettre de prendre par rapport à leurs recettes d'exportations et leurs recettes budgétaires. Ces pays restent en effet toujours très dépendants du pétrole et du gaz pour leurs équilibres économiques et financiers internes et externes. Etes-vous de ceux qui pensent que les autres pays producteurs de pétrole hors Opep, dont la Russie, iront dans les prochaines semaines dans le sens des décisions de l'OPEP et réduiront eux aussi leur production afin de se prémunir contre la crise ? Je suis sceptique sur la contribution concrète que l'OPEP peut attendre de pays producteurs non-OPEP. Les pays non-OPEP ont certes eux aussi intérêt à une stabilisation des prix et à leur remontée ensuite, mais leur politique consiste le plus souvent à laisser l'OPEP gérer le fardeau de la réduction de la production mondiale en espérant en recueillir les bénéfices ultérieurement. L'OPEP a réaffirmé récemment qu'il n'y avait pas de raison pour que l'on considère qu'elle soit la seule responsable et que les autres producteurs et les pays consommateurs avaient aussi un rôle à jouer dans la stabilisation des marchés pétroliers, ce qui est exact. Mais ce rappel à l'ordre a rarement débouché, dans la période récente, sur des réactions positives de la part des producteurs non-OPEP.