La crise chez nous ? On ne connaît pas, insistent les responsables à tous les niveaux. Pas de faillite de nos entreprises publiques ou privées, dit-on, à l'inverse de ce qui se passe dans les pays développés. Encore moins de récession, à l'opposé de l'Allemagne ou du Japon par exemple. Les licenciements, la perte d'emploi, on n'y est pas encore. Pas d'effondrement de la « bulle » de l'immobilier, bien au contraire, la location du mètre carré haut standing à Hydra équivaut à celle des environs du Trocadéro à Paris. A peine peut-on parler, chez nous, d'un léger tassement de l'activité. Tout est relatif, certes, et Alger ne reflète pas la situation du reste du pays. On finirait par se croire à l'abri tant les propos se veulent rassurants jusqu'à l'entêtement. Il suffirait de peu pour être convaincu que la pauvreté, chez nous, n'existe pas. Pas plus que les millions de personnes les plus défavorisées recensées comme vivant au-dessous du seuil fatidique, même si officiellement on s'évertue à faire croire que la misère a considérablement reculé depuis 2005. Difficile de l'admettre tant les faits quotidiens tendraient à prouver le contraire, tandis que les réserves de change affichent une opulente et ostentatoire aisance financière de plus de 110 milliards que beaucoup de pays envient. Dans cette situation idyllique, ou plutôt présentée comme telle par les thuriféraires du pouvoir, la multiplication des intoxications dues à la consommation de champignons vénéneux depuis le début de l'automne, à travers plusieurs régions de l'est et du centre du pays, a de quoi laisser perplexe. Plus de 70 cas d'intoxication ont été enregistrés et 5 décès dans les wilayas de Bordj Bou Arréridj, Oum El Bouaghi, Sétif, Tizi Ouzou... Il n'en fallait pas plus pour se demander si la recrudescence de ces empoisonnements collectifs à l'amanite, dont une vingtaine d'espèces sont mortelles, est due à de nouvelles habitudes culinaires qui poussent de plus en plus de citoyens à accommoder leurs plats aux champignons ou plutôt à la misère sociale qui touche des catégories de plus en plus larges de la population. Pas besoin d'être grand clerc pour deviner, y compris en l'absence d'une véritable enquête sociologique sur le terrain à propos des nouvelles habitudes de consommation des Algériens, que ce sont « les nécessités impérieuses de la faim » qui poussent beaucoup de gens parmi les plus pauvres, notamment dans les campagnes, à faire des champignons leur plat de résistance, parfois leur unique repas. La hausse des prix des produits alimentaires, depuis l'été notamment, et les abondantes pluies qui ont favorisé la pousse de ces espèces végétales mortelles dont beaucoup ont oublié jusqu'à leur morphologie ont fait le reste. Est-il vraiment utile de préciser que ces dramatiques cas d'intoxication recensés dans plusieurs wilayas n'ont pas ému le moins du monde nos députés, qui n'ont même pas jugé utile de demander ne serait-ce que des précisions au gouvernement ! Baisse de crédibilité dans les institutions, de la confiance en nos dirigeants auprès des administrés que nous sommes. Comment peut-il en être autrement dans cette sinistrose ambiante où le prix d'un œuf est passé de 9 à 12 DA et que celui de la plaquette de beurre de table de 250 grammes de production locale a pratiquement doublé ? Même chose pour les huiles. Le kilo de poulet s'affiche allégrement à 300 DA, les viandes rouges deviennent inaccessibles pas uniquement pour les petites bourses, mais aussi pour d'autres catégories de la population frappées de plein fouet par cette baisse vertigineuse du pouvoir d'achat. Le kilo de veau caracole, selon les marchés, aux alentours de 850 DA ! Seuls le pain et le lait résistent encore, grâce au soutien de l'Etat, à cette flambée haussière. Les salaires stagnent. Les citoyens subissent en silence le diktat des importateurs, maquignons, chevillards et autres conditionneurs qui avancent le renchérissement des coûts de revient (de quoi ?) alors que sur les marchés internationaux, on reconnaît volontiers que depuis l'été on enregistre une baisse sensible des cours des céréales, des oléagineux, du lait, etc. Ici, du côté des barons de l'import-import et du commerce de gros, on tient aux marges bénéficiaires exorbitantes comme à la vente sans facture et aux pratiques spéculatives d'ailleurs. Des pratiques qui n'ont rien à envier à celles qui régissent le secteur économique informel. C'est assurément là aussi que s'amoncellent les gros, très profits et où se planquent les grands gisements fiscaux bien protégés de la rigueur régalienne de l'Etat. Les citoyens ont encore tous en mémoire les promesses du président Bouteflika sitôt investi de son premier mandat d'en finir avec les barons du commerce extérieur, etc. Dix ans plus tard, rien n'a changé. Des vœux pieux, tandis que les salariés de l'administration publique et des collectivités locales attendent toujours l'application de conventions sectorielles. Quant aux dockers d'Alger et d'ailleurs qui s'inquiètent à juste titre des pertes d'emploi que pourrait entraîner la privatisation même partielle des ports, une réponse des plus musclées leur a été apportée par un pouvoir plus autoritaire que jamais. Sous la menace de recourir à la justice, les syndicats ont été contraints de renoncer aux deux journées de protestation qu'ils ont prévues pour les 24 et 25 novembre. Aujourd'hui, beaucoup d'économistes, d'experts internationaux tiennent à mettre en garde contre les effets induits de la crise mondiale qui n'est plus seulement financière sur l'économie algérienne qui reste fortement extravertie. Les conséquences au plan social risquent d'être encore plus dramatiques qu'on le pense.