En cette journée ensoleillée d'hiver, Sidi Ali Bounab, qui culmine sur une série de collines aussi belles les unes que les autres et aussi majestueuses que celles qui forment la chaîne de montagnes de la Haute Kabylie, a l'air d'être si hospitalière que l'on oublie vite l'horrifiante réputation qu'elle s'est faite durant les années 1990. Elle fut une sorte de Tora Bora algérien à partir de laquelle étaient planifiées, déclenchées toutes les actions terroristes ayant ciblé tout le centre du pays. Par ici aussi, la nature n'a pas été avare. Elle a été si généreuse qu'on ne peut dénier le grand soin que la Providence a pris de cette région et que la bêtise humaine a transformée en chaos. Tizi Ouzou et Boumerdès. De notre envoyé spécial Comme les autres jours de cette saison de labeur, la population vaque à ses occupations : travail aux champs et cueillette des olives. Mais l'image « Ushuaïa » qu'offre de prime à bord cette région se dissipe au premier contact avec la réalité. Ce n'est, en fait, qu'une illusion. En sortant des Issers, le premier check-point mixte armée populaire nationale-garde communale, installé depuis peu de temps, à environ un kilomètre du centre-ville, donne déjà quelques sueurs froides. Le chemin qui reste à faire pour arriver au sommet de la colline est des plus dangereux. Il y a un peu plus d'un mois, un citoyen engagé dans la lutte contre le terrorisme dans les années 1990 a été enlevé au lieudit Taawint Tassemat (fontaine fraîche). Youcef s'était pourtant rangé depuis longtemps en travaillant comme cuisinier à Bordj Ménaïel. Il revenait souvent dans son village sans être inquiété. Mais ce jour-là, le groupe terroriste qui écume la région ne lui a laissé aucune chance. Il a dressé simultanément deux faux barrages sur les deux chemins qui descendent de Timezrit vers les Issers. Youcef devait emprunter l'un ou l'autre. A 15h, en plein jour, les quatre terroristes qui l'attendaient à Taawint Tassemat le font descendre de voiture, le ligotent et le jettent dans une camionnette de marque Toyota avant de démarrer en trombe vers une destination inconnue. A la tombée de la nuit, beaucoup d'habitants d'un village situé à quelques encablures seulement du lieu du rapt, indiquent des citoyens rencontrés sur place, ont entendu les cris déchirants de la victime, torturée par les terroristes. Le supplice a duré deux jours, selon les mêmes témoignages, avant que la tête de Youcef ne soit « exposée », le surlendemain, sur un trottoir à Bordj Ménaïel. La terrifiante nouvelle a fait le tour de la région. La psychose s'y installa de nouveau après l'illusion donnée par une fausse accalmie qui n'aura duré que quelques mois. D'aucuns se demandent alors comment, dix ans après avoir mis fin à son engagement dans la lutte contre le terrorisme, les terroristes ne l'ont pas oublié ? Des sources sécuritaires locales, qui ne tarissent d'ailleurs pas d'éloges à son égard – il a contribué à l'élimination d'au moins une douzaine de terroristes en 1999 en donnant des informations exactes sur leurs caches – soutiennent que la victime était certainement suivie depuis longtemps. Ceux qui sont au fait de la situation sécuritaire dans la région soutiennent qu'au moins deux informateurs auraient contribué à l'assassinat de Youcef. L'un a dû renseigner le groupe terroriste que le défunt quittait Bordj Ménaïel où il travaille pour se rendre dans son village ; l'autre a dû donner l'alerte lorsqu'il s'apprêtait à rentrer le soir de Timezrit. Un citoyen rencontré dans la localité dit que « l'assassinat de Youcef renseigne sur l'efficacité et le nombre de soutiens que le terrorisme continue à avoir dans la région ». Pas plus tard que le mois dernier, les services de sécurité ont démantelé un important réseau de soutien au terrorisme dans deux villages limitrophes de la ville des Issers : Bouchakour situé à un jet de pierre de la route qui mène des Issers à Draâ El Mizan et Ouled Bentafath – où des témoins auraient vu passer un important groupe comptant parmi ses membres une jeune femme vêtu en treillis de para – sur le chemin entre Timezrit et Sidi Ali Bounab. Dans l'un comme dans l'autre, les forces de sécurité ont arrêté trois membres de ce réseau de soutien. Mais tout porte à croire que ce n'est là que la partie apparente de l'iceberg. Car sans ses soutiens, les terroristes n'y auraient pas survécu. Et il y en existe encore, indique, sûre d'elle, une source locale. Mais au-delà de ces appuis, le terrorisme semble aussi être une histoire de famille et sans doute également de connaissance parfaite de la géographie locale. Presque tous les membres de la « seriat » (section) des Issers, qui active jusqu'au confins de la commune de Timezrit et aux limites de la commune de M'kira au sud, sont natifs des Issers. C'est le cas aussi de L'émir du groupe El Hachemi El Hachemi, alias Soheib, qui habitait au centre-ville, et de son vétéran, un certain Belaïd, âgé aujourd'hui de plus de 55 ans. Leurs acolytes, les frères Torfi, un certain Riahla et un certain Delci, sont originaires des villages environnants. Depuis des années, cette bande de terroristes sévit dans cette région sans être jamais tombée dans les filets des services de sécurité, fait remarquer notre source. Pour beaucoup, ce serait faux de ne pas penser que ce ne serait pas elle qui aurait prêté main-forte en préparant la logistique nécessaire à ceux qui ont planifié et exécuté le sanglant attentat-suicide qui a ciblé, à la mi-août dernier, l'école de formation de la gendarmerie des Issers. Activant sur un terrain dont il a une parfaite connaissance, ce groupe, bien pris en charge par de nombreux soutiens, semble très renseigné aussi bien sur les sorties des services de sécurité que sur leurs positions sur le terrain. Parfois ce sont les proches parents des terroristes qui accomplissent cette sale besogne. « Quel est ce père qui dirait non à son fils terroriste qui le sollicite pour l'approvisionner en denrées alimentaires, pour l'héberger lui et son groupe ou même pour un renseignement ? », s'interroge un citoyen rencontré aux Issers. Aucun terroriste n'est tombé à Sidi Ali Bounab depuis 2000 Si dans les années 1990, les moyens de communication n'étaient pas encore développés en Algérie, aujourd'hui, les terroristes tirent bien profit de l'essor de la téléphonie mobile. Depuis l'année 2000 où un dangereux terroriste originaire du village d'Ouled Bentafath, répondant au nom de Ali Tafathi, a été abattu dans la localité de Birro, aucun autre n'est « tombé » dans la région de Sidi Ali Bounab, affirme une source sécuritaire locale. Pourtant, un groupe de quinze à dix-sept terroristes y active depuis bien longtemps. Il s'agit de la « seriat » Timezrit, dirigée par un ancien sanguinaire originaire de Sidi Daoud, un certain El Bey, qui compte dans son groupe un autre dangereux terroriste, le seul d'ailleurs qui soit natif du village de Toursel, situé à environ 5 km du chef-lieu de la commune de Timezrit. Il répond au nom de Zizid Sadek, surnommé Ghoulem pour avoir intégré les rangs des GIA à l'âge de 17 ans ; il aurait aujourd'hui 33 ans. Le groupe d'El Bey, soulignent des sources très au fait de la situation sécuritaire dans la région, est formé essentiellement de terroristes originaires de Bordj Ménaïel, Baghlia et Sidi Daoud. Au-delà des soutiens et des complicités qu'il compte à Timezrit et dans les autres douars l'émir El Bey, selon des informations données par des repentis, connaît tous les coins et recoins de Bounab, jusqu'aux limites de la forêt d'Iaallalen qui surplombe la commune de Oued Ksari (Aït Yahia Moussa) – où un faux barrage a été dressé la semaine dernière – et son prolongement jusqu'à Boumehni, mieux que les autochtones eux-mêmes. C'est dans ces endroits fortement boisés, situés en contrebas du versant sud de Sidi Ali Bounab, que les membres de « seriat » Timezrit trouvent souvent refuge lorsqu'ils sont pressés, au nord, par les services de sécurité. Selon les mêmes sources, leur champ d'activité s'étend aussi à l'autre versant, où ils ont marqué leur présence par l'assassinat ciblé de membres de la garde communale ou, dernièrement, d'un citoyen qui approvisionnait une caserne de l'armée. A Bordj Ménaïel, c'est le groupe de l'émir Abou Tourab qui prend le relais. Composé, selon des sources crédibles, d'une dizaine de terroristes rejoints dernièrement par quatre nouvelles recrues toutes natives du village agricole de Omar, situé à équidistance entre bordj Menaïl et les Issers, la « serriat » d'Abou Tourab aurait des connexions avec les sections des Issers et celles des régions mitoyennes. Activant dans le même périmètre sous la bannière de katibat El Ansar de la branche d'Al Qaïda au Maghreb (ex-GSPC), ces groupuscules auraient été aperçus en conclave, à Bounab, le mois dernier. Ils forment à eux seuls un groupe d'une quarantaine de terroristes. Il est vrai qu'on est très loin des 1200 terroristes environ, nombre cité par des sources sécuritaires locales, qui écumaient Sidi Ali Bounab au début des années 1990, mais les groupuscules qui continuent encore d'y sévir semblent insaisissables. Ils ne se manifestent que rarement par des actions ponctuelles et très ciblées. Ils ne planifient que les coups qu'ils sont sûrs de réussir. La présence renforcée des campements de l'armée populaire nationale semble les dissuader. Mais tout porte à croire que l'organisation terroriste, vu la reconfiguration sécuritaire dans la région, ne préfère y maintenir qu'une présence symbolique de petits groupes volatiles, faciles à déplacer en cas de besoin, et capable de survivre grâce aux réseaux de soutien qu'ils ont pu tisser dans leurs villages natals ou dans les villages voisins où ils comptent des parents par alliance. L'essentiel des troupes a déménagé du côté de Mizrana, dans les inextricables forêts d'Akfadou, mais aussi du côté de Bouzegza, Palestro, Merchiche et les reliefs boisés qui entourent la commune de Ammal.