Choses vues au Caire : des Egyptiennes font cercle autour d'une table dans un café et fument à la chaîne leurs narguilés. Un membre de la Jamâa islamiya devant ce spectacle se hâterait de crier au blasphème et appellerait aux châtiments. Le Caire : De notre envoyé spécial Mais il perdrait son temps. C'est une scène vue un soir dans un café qui porte l'enseigne de Abou Ali Bar, dans l'enceinte du Nil Hilton. Mais tous les soirs, des escouades d'Egyptiennes (pas des pauvres, c'est vrai) fréquentent les bars du Caire, fument, boivent du scotch, dansent (du ventre)... Dans le très beau film tourné au Caire, Dounia, de la cinéaste libanaise Jocelyne Saâb, on y voit une dame cairote conduire un taxi, et après ses heures de travail, stopper dans un drive-inn et fumer tranquillement son narguilé. Cet automne au Caire, on a cru sentir comme un vent de libération qui aurait plu à mes chères collègues d'El Watan... Quand tombe la nuit, on croise aussi sur le pont Kasr El Nil, protégé de part et d'autres par ses lions, des couples d'amoureux. ça roucoule en regardant les lumières des cabarets flottant sur le Nil. Aucun gardien de l'ordre moral ne vient perturber leurs étreintes, leurs intimes affaires. En toutes saisons, dans les palaces du Caire, des Saoudiens débarquent pour oublier leur quotidien grisâtre et moyenâgeux, leur fondamentalisme né dans des cervelles confuses. Ici, pour eux, c'est l'âge d'or où tout est permis. Dans les salons de marbre de l'Opéra House du Caire, le soir de la clôture du Festival du film, on pouvait voir les divas du cinéma misri se pavaner au milieu des sunlights, portant des tenues très décolletées à dominance courte, laissant deviner des formes épanouies. On leur donnerait volontiers la médaille du strass. La vie du Caire dans ces endroits-là est assez drôle. C'est comme dirait Baudelaire dans ses Fleurs du mal : luxe, calme et volupté... On échappe au moins aux gaz d'échappement des voitures, on oublie les quartiers du Caire où les ruelles sombres conduisent à des bâtisses sur le point de s'écrouler. Bruits poussière, délabrement, kamis et tchadors, tout cela se passe dans un autre Caire, dans une autre vie, à deux pas d'ici. Il y a tout de même quelques exceptions. Flânant dans le quartier de Zamalek, on passe devant des blocs d'immeubles bien tenus, d'une architecture admirable, avec dans l'entrée des ascenseurs... Demander alors à un « bouab » affalé devant l'entrée si l'ascenseur marche,c'est le voir partir d'un rire homérique. Il a sans doute compris qu'on débarque d'Alger.