Une soixantaine de journalistes et experts de la lutte antiterroriste venus la zone euroméditerranéenne ont pris part du 23 au 26 novembre à un colloque international sur le rôle des médias dans la couverture des actes terroristes tenu dans la ville de Grenade, au sud de l'Espagne. Grenade (Espagne) De notre envoyée spéciale Organisée par la Commission européenne, le ministère espagnol des Affaires étrangères, l'Association andalouse des journalistes et la Fédération internationale des journalistes, la rencontre a suscité un débat houleux, notamment sur la définition du terrorisme qui divise encore l'Occident et le Tiers-Monde du fait des situations en Palestine, en Irak, au Liban et en Afghanistan. La tenue d'un tel colloque, décidée lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays méditerranéens en novembre 2006, entre dans le cadre de l'accord de partenariat euroméditerranéen et a pour objectif d'ouvrir le débat sur le travail des médias pour relever les défis que pose aux sociétés le problème du terrorisme mais aussi sur les relations entre la presse et les gouvernements pour aider à prévenir contre l'incitation au terrorisme, à l'extrémisme et à la violence. Qu'ils soient en France, en Espagne, en Italie en Grande-Bretagne, en Israël, en Turquie, en Grèce ou dans les pays du Tiers-Monde, les journalistes se sont tous plaints des restrictions des libertés et des graves violations des droits civils depuis le lancement de la guerre contre le terrorisme, après les attentats du 11 Septembre 200. Une réalité amère qui a marqué les trois jours qu'a duré le colloque. Les libertés, victimes collatérales du contre-terrorisme Articulés autour de quatre thèmes principaux, à savoir « Les principes d'éthique et de déontologie », « Perception et interprétation », « La guerre contre le terrorisme et les libertés civiles » et enfin « Les nouveaux médias », les travaux ont mis en exergue le difficile consensus entre l'Occident et le Tiers-Monde sur la définition du terrorisme. Le conflit israélo-palestinien, l'occupation de l'Irak et de l'Afghanistan ainsi que les attaques militaires contre le Liban ont constitué la pomme de discorde. Si certains journalistes européens voient les kamikazes du djihad islamique en Palestine, les activistes du Hezbollah au Liban et les résistants irakiens comme des terroristes, leurs confrères arabes les présentent comme des combattants pour la liberté. Si des journalistes épousant les causes pour l'autodétermination voient les activistes du PKK en Kurdistan, de l'ETA en Espagne ou de l'IRA en Irlande comme des combattants de la liberté alors que d'autres les qualifient de terroristes, c'est que vraiment la notion de terrorisme n'a toujours pas été clairement définie. C'est d'ailleurs la raison qui a provoqué un dialogue de sourds entre les conférenciers ; dans les ateliers, cela a suscité de violente polémiques, au point que le débat sur la question a été mis en veille. Dans le premier atelier consacré à la capacité des médias à être indépendants en matière de traitement de l'information sécuritaire, les travaux ont plus été axés sur les principes d'éthique et de déontologie, présentés par les conférenciers comme étant les garants d'une information crédible et objective. Pour ce qui est du second atelier, relatif aux perceptions et définitions du terrorisme, les discussions ont porté notamment sur les spécificités de chaque pays qui font que la définition diffère d'une région à une autre. De ce fait, l'accent a été mis sur l'importance du rôle des experts en matière de terrorisme, mais aussi des gouvernements et de la presse dans la prévention contre la violence, la haine et l'extrémisme. Les participants ont également appelé les médias à éviter les préjugés, la propagande et les idées préconçues dans le traitement du terrorisme pour éviter des erreurs qui ont conduit, par exemple, aux sanctions contre Al Jazeera, en Algérie, après la diffusion d'un sondage demandant aux téléspectateurs s'ils sont pour ou contre les attentats kamikazes en Algérie et au Maroc, lorsque cette même chaîne a diffusé une information erronée. La meilleure illustration de cette dérive a été présentée par Be'er Yizhar, directeur du journal israélien Keshev. Le journaliste a commenté une série de « Une » de la presse de son pays relatant les événements de l'intifadha ou la mort de Yasser Arafat, président de l'Autorité palestinienne. Il a commencé par rappeler que cette guerre a fait 5000 morts parmi les Palestiniens et 1000 parmi les Israéliens. Mais il a tenu à préciser qu'en dépit du fait qu'il soit opposé à la politique de son pays, il trouve qu'il constitue un système démocratique. « C'est très complexe comme situation. Les journaux qui tirent à un million d'exemplaires/jour (pour 6 millions d'habitants, ndlr) sont totalement indépendants sauf quand il s'agit de sujets précis comme les activités militaires. Nous n'avons pas les moyens de vérifier les informations du gouvernement, mais nous essayons de nous rapprocher de l'objectivité », a-t-il déclaré avant de lancer la projection de diapositives. Les images sont choquantes. Des Une de journaux aussi révélatrices d'un état d'esprit de haine vis-à-vis des Palestiniens, présentés tous comme des extrémistes ou encore Yasser Arafat, qualifié à chaque fois comme le pire des terroristes au point où lorsqu'il était dans le coma, un journal a titré « Enfin, un chef terroriste de moins », un autre a titré « Jusqu'à quand attendrons-nous la mort de Arafat ? » et sur une autre Une : « Israël n'oubliera pas le terrorisme de Arafat ». Même le nouveau président, Abou Mazen, est pris à partie par la presse qui le qualifie d'« incapable ». Le journaliste montre une vidéo où un adolescent se fait interpeller par un Israélien ; ce dernier demande à un soldat de lui tirer une balle dans le genou et celui-ci s'exécute. L'adolescent s'est affaissé à terre. Les images, filmées par une passante à l'aide d'un téléphone portable, ont été diffusées sur internet puis par toutes les chaînes de télévision, poussant l'armée à ouvrir une enquête et à sanctionner les auteurs de la bavure. Le journaliste a conclu son intervention en disant : « Le terrorisme est une terminologie qu'utilisent les organes officiels pour porter atteinte à la légitimité et à l'humanité. » Les citoyens du monde entier sont en sursis L'aspect lié à la lutte contre le terrorisme et ses répercussions sur les libertés civiles a été longuement débattu. Les participants à cet atelier ont été unanimes à insister sur le fait que les législations adoptées par de nombreux pays, depuis les attentats du 11 Septembre 2001, sont en contradiction avec les libertés civiles. De nombreux exemples ont été, à ce titre, cités. Il s'agit entre autres de la capture et du transfert de prisonniers d'Europe vers Guantanamo par les services de renseignement américains. La torture et la chasse aux musulmans sont les principaux cas qui sont revenus lors des débats. Pour les conférenciers, notamment ceux venus de la rive sud de la Méditerranée, à savoir d'Algérie, du Maroc, de Tunisie, du Liban, d'Egypte, de Jordanie, d'Israël et de Palestine, le paradis des droits de l'homme qu'incarnaient l'Europe et l'Amérique, avant les attentats du 11 Septembre, a tendance à rétrécir chaque jour le champ des libertés. Dans cet atelier, les journalistes ont fait part des lois restrictives et de la persécution dont ils font l'objet lorsqu'ils traitent de l'information sécuritaire. L'autocensure et la censure pratiquées par les gouvernements au nom de la lutte contre le terrorisme, disent-ils, ont dangereusement rétréci les espaces de liberté, devenus presque similaires à ceux des pays dits antidémocratiques. Enfin, dans l'atelier consacré aux nouveaux concepts, il a été question surtout du rôle des médias électroniques, des nouvelles technologies de la communication et de la prévention contre le terrorisme électronique. Les conclusions des différents ateliers ont fait l'objet d'un débat très fructueux. Les participants au colloque ont été unanimes à mettre en garde contre la poursuite des transferts secrets de personnes vers les Etats-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme, « parce que cela va ouvrir la porte à toutes les dérives possibles et tous les citoyens du monde seront ainsi en sursis ». Pour les intervenants, la presse n'a pas suffisamment fait pour dénoncer cette grave violation des droits civils, alors qu'il est de son rôle d'attirer l'attention de l'opinion publique sur ces dérives. Des journalistes ont dénoncé également le fait que la presse n'a pas beaucoup insisté sur l'affaire du jeune étudiant brésilien tué froidement d'une balle dans la tête par un policier britannique à Londres, juste parce qu'il avait une tête d'étranger et qu'il courait à la sortie du métro, après les attentats de Londres. « L'Europe a pris 57 mesures directes et indirectes dans le cadre de la guerre contre le terrorisme sans que l'opinion n'en soit informée. Parmi elles les écoutes téléphoniques, le contrôle de la messagerie électronique, l'empreinte digitale sur les passeports, etc. Autant de violations des libertés individuelles dont personne n'est au courant… », a lancé un journaliste britannique. En conclusion, il a appelé ses confrères à être plus vigilants et à constituer des réseaux d'alerte inter-médias pour constituer un front contre tous les textes liberticides promulgués au nom de la guerre contre le terrorisme. Une autre journaliste a conclu en appelant la presse à plus de responsabilité et d'indépendance afin d'éviter d'inverser l'échelle des valeurs en transformant un dangereux terroriste en héros et un valeureux héros qui combat pour défendre son honneur et son pays en un dangereux terroriste.