Usant d'un ton virulent, Domingo del Pino Gutierrez, membre de l'Euromed chargé des relations extérieures de la Fédération espagnole des journalistes professionnels, directeur de la coopération internationale de la Fédération andalouse de presse, conseiller éditorial de la revue Afkar (Idées), président de la Fondation pour la coopération entreprenariale solidaire et membre de la Commission scientifique Strad-Med, a sévèrement critiqué la gestion des projets d'Euromed destinés aux journalistes. Dans l'entretien que M. Gutierrez nous a accordé, il a estimé que la définition du terrorisme reste complexe du fait que le phénomène diffère d'un pays à un autre. Peut-on connaître les raisons d'un débat, aujourd'hui, autour du thème de la couverture du terrorisme et la relation entre les médias et les gouvernements ? C'est le contexte qui a dicté ce choix qui entre dans le cadre des projets d'Euromed pour les médias. Pour nous, il s'agit d'une polarisation entre le Nord et le Sud. La population musulmane qui vit en Europe est très importante et, depuis les attentats du 11 Septembre, celle-ci est mise à rude épreuve. Elle s'est subitement retrouvée sous les feux des projecteurs et, de ce fait, n'a eu d'autre réaction que de se refermer sur elle-même. Avant, il n'y avait pas de séparation urbaine entre les communautés et les musulmans étaient bien intégrés. A Madrid, par exemple, la communauté s'est concentrée autour de certains quartiers pour s'isoler davantage et éviter les nouveaux regards. Une sorte de protection contre les quelques agressions. Dans de telles situations, le rôle des médias devient très important. A la Commission européenne, nous avons réfléchi à une coopération dans le cadre du dialogue euroméditerranéen pour la démocratie et la compréhension. Le premier rassemblement a eu lieu, en 2005, à Barcelone. Nous avions défini plusieurs actions en impliquant directement les médias à travers les possibilités qu'ont ces derniers pour influencer l'opinion publique et lutter contre la culture de la violence, la haine, la xénophobie et l'extrémisme. C'est de là qu'est venue l'idée d'intégrer dans les médias européens, par exemple, des émigrants ou des journalistes de la rive sud de passage en Europe. Nous avions présenté un projet de stages au sein des médias du nord de la Méditerranée destinés à des journalistes de la rive sud, avec pour objectif de mettre en place un réseau de journalistes euroméditerranéen et une école de journalisme, prévue dans un pays de la rive sud. La première réunion devant mettre en action ces objectifs s'est tenue à Dublin en 2007, sous le thème du terrorisme et la non-incitation à la violence. Les participants étaient unanimes à relever la non-implication des médias dans la prévention contre la violence, la radicalisation et surtout la mondialisation du terrorisme. S'il est vrai que les autorités ont pour responsabilité la lutte contre la violence, les médias pour leur part doivent jouer leur rôle dans la non-incitation à la cette même violence. Certaines recommandations de cette rencontre ont été réalisées et d'autres non... Pourquoi débattre alors une seconde fois les mêmes thèmes, une année après à Grenade ? Pour des raisons purement bureaucratiques. La Commission a dépensé de l'argent pour un travail déjà réalisé. Je pense qu'il n'y a pas de suivi des projets. J'ai vu plus d'un millier de journalistes réunis à plusieurs reprises autour du même thème. C'est une perte de temps et de moyens. En 2005, 15 pays européens se sont impliqués et, avec la politique d'élargissement, ils sont 27 à s'engager. J'ai proposé un travail avec uniquement les pays qui donnent sur le Bassin méditerranéen, afin de faciliter la tâche et de rester toujours dans le dialogue et la coopération entre les deux rives. J'ai dit que dans le cadre d'Euromed, l'Ukraine, par exemple, ne vit pas la même situation que des pays méditerranéens. Cet avis était partagé par de nombreux membres de la Commission, mais la réponse ne nous a pas encore été donnée. Nous avons écrit à la Commission pour lui demander ce qu'elle veut réellement faire, parce que nous sommes des journalistes qui avons tendance à nous répéter. Beaucoup d'argent a été dépensé pour créer la Task Force, mais elle est devenue une structure mal organisée qui fonctionne parfois avec anarchie. Il n'y a pas eu de bilan et tout fonctionne à l'anglaise. La réponse a été l'organisation du colloque de Grenade, où les membres de la structure Task Force ont pris part aux travaux comme simples participants. Il y a eu une grande improvisation... Que deviendront ces projets avec l'Union pour la Méditerranée ? Peut-être qu'il y aura une nouvelle vision. Néanmoins, il est important de savoir que lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères européens, à Lisbonne, il a été décidé la poursuite jusqu'en 2012 des projets engagés dans le cadre d'Euromed. Vous avez dû remarquer qu'en dépit des nombreux débats entre journalistes sur le terrorisme, le problème de sa définition se pose avec acuité et parfois mine les travaux... Les groupes terroristes diffèrent d'un pays à un autre. Le terrorisme de l'Eta en Espagne n'est pas le même que celui des islamistes, dont les actes diffèrent de ceux du Hezbollah. Chaque pays a sa propre définition du terrorisme, parce que chacun de ces pays a ses spécificités et ses particularités. Il faut donc éviter l'amalgame et essayer de comprendre ce phénomène très complexe. Comment expliquez-vous le fait que dans le cadre de l'Euromed, l'Algérie n'a pas bénéficié de projets importants comme cela a été le cas pour ses voisins ? Je vous donne mon avis personnel. Il faut que la Commission soit moins dirigiste pour que les projets soient distribués de manière équitable entre les pays. Il faut également que les pays de la rive sud proposent eux-mêmes les sujets qui les intéressent, y compris dans le choix des participants. Pour moi, il est important que les bénéficiaires puissent choisir des organisations indépendantes qui ont un impact sur le terrain. Le Maroc, par exemple, a demandé à l'Europe un statut spécifique qu'il a obtenu. Les autres pays ont aussi leurs particularités et leurs spécificités que l'Europe doit comprendre. Les Américains ne cessent de dire que le Maroc est pour eux un pays clé dans leur stratégie au Maghreb et le malheur c'est que l'on puisse croire faussement qu'il y a de bonnes et de mauvaises démocraties dans la région. Il faut arrêter de se mentir et faire un effort de compréhension, dans l'intérêt de toute la région méditerranéenne.