A djniha limizadj el dhieb el abiadh (Le loup blanc se sent pousser des ailes) de Abderrezak Boukeba, un ensemble de textes, se lit comme un tableau à fragments. « J'ai peur du chiffre 1 à cause du début de la rencontre. J'ai peur de sa fin. Pour préserver mon cœur. Avec le chiffre 2, je crains le début et je rêve que la fin soit après le retour à Dieu pour que je me déplace d'un paradis à autre. Pour sauvegarder mon rêve », écrit-il dans un arabe presque musical. Il y a de la tendresse, le vouloir dire et ce fol espoir de vivre le bonheur. Mais, il y a aussi un peu de philosophie et des éclats d'intelligence. « Newton s'allongea sous l'arbre et s'endormit. Le verdier disparut entre les branches et dit : “On partage la couleur”. L'aigle se posa sur la plus haute branche et dit :“Nous partageons la hauteur”. La pomme se dit : “à quoi pense cet être humain ! Capturer le verdier ; apprivoiser l'aigle ; me cueillir, bûcher l'arbre”. Le destin lui fit peur...Elle se suicida et tomba sur Newton », tranche le poète. Le hasard a fait, probablement, que le physicien anglais, Isaac Newton, découvrit la loi de la gravitation universelle à cause d'une pomme rebelle. Et si la pomme n'était pas tombée sur Newton ? On n'imagine pas la suite... « Si tu oublies ta bague dans la pâte, je mangerai tout le pain et j'étancherai ma soif dans le fleuve de tes yeux », écrit plus loin Abderrezak Boukeba, la plume romantique. L'écriture est inspirée d'une enfance vécue dans un village, Ouled Djehiche, dans la région verdoyante de Bordj Bou Arréridj. « Je suis à Alger depuis six ans. J'usais d'une écriture en harmonie avec ma vie dans le village. Je suis venu à Alger et, sans me rendre compte, j'ai tenté l'expérience de la ville qui a déteint sur mon écriture, ma pensée...Je lis la ville à la lumière du village. Pour moi, le village est plus fort humainement que la ville », confie-t-il. La ville est, selon lui, démembrée, sans traditions citadines. « Ce n'est qu'un village gonflé. C'est un ensemble de murs virtuels entre les habitants. La ville dort tôt et se réveille tard. C'est là le comportement de personnes qui ont peur et qui ne vivent pas la liberté », dit-il. La nouvelle vie de l'écrivain a changé sa vision sur les autres. Ce ne sont plus les idées qui sont prises en compte, mais bien l'humanisme de l'autre. « L'identité ne m'intéresse pas autant que l'humanisme », dit-il avant d'enchaîner : « En ville, j'ai plus de capacités à donner de la chaleur. Comme chantait Abdelhalim Hafez, je décris aux gens le paradis et moi je vis dans l'enfer. Je suis toujours ce villageois qui égorge ses moutons pour faire plaisir à ses convives », dit-il. Le loup blanc se sent pousser des ailes, publié aux éditions Alpha, est, pour lui, une nouvelle expérience qui ne prend pas le pari d'une seule idée. Il refuse d'expliquer l'origine du titre et se contente d'expliquer que le loup blanc, qui vit dans les zones froides, est connu par sa douceur et sa ruse. « En dehors de la vie, l'écrivain devient mensonge », dit-il. Dans ses dédicaces, Abderrezak Boukeba note : « La vie est ce que nous écrivons. Et l'écriture est ce que nous vivons. » Le jeune auteur se sent éloigné du « clivage » francophones-arabophones. « Je fais partie d'une génération qui n'est pas concernée par “les haines” liées aux langues. Une génération qui connaît l'arabe et le français, lit la littérature mondiale plus que la littérature arabe qui est attachée autant à la Méditerranée qu'au Machrek », souligne-t-il. Il faut, selon lui, sortir de la classification artificielle des auteurs et s'intéresser aux critères humains. « C'est une question d'échange. L'échange sous-entend la différence, ce qui est un acquis pour la littérature. On ne doit pas perdre cela à cause de l'idéologie ou des intérêts », relève-t-il. Les écrivains doivent, d'après lui, cesser de courir derrière la rente, nourris d'idées agressives. « A cause de cette course, nous avons été privés d'un enrichissement linguistique depuis 1962. Il n'existe pas de conflit de génération mais un conflit d'intérêts », observe-t-il. Il se dit hostile à toute forme de censure. « Je suis contre la censure comme un instrument d'éloignement de ce qui fait peur. Ibn Al Mouqfâa a dit : ‘‘Celui qui est le plus proche du lion, c'est celui qui a le plus de capacité de l'abattre.'' Il existe d'autres moyens de s'informer et d'apprendre », estime l'écrivain. Abderrezak Boukeba, 31 ans, est également journaliste culturel. Il collabore avec l'ENTV et avec le Théâtre national algérien (TNA). Il a déjà publié chez Barzakh, en 2004, un recueil de textes Qui a mis la joue de Sebawaïh dans le sable ? L'Irakien, d'origine perse, Abou Bachr Sebawaïh est considéré comme le fondateur de la grammaire arabe.