Ancienne étudiante en sciences politiques (à Tunis puis à Paris), journaliste correspondante pour Reuters et Jeune Afrique, Souhayr Belhassen a été la première à soulever, en 1978, dans les colonnes de l'hebdomadaire Jeune Afrique, l'existence d'une composante islamiste forte en Tunisie. Au sein de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'homme (LTDH), elle a mené une campagne pour sauver de la potence 18 jeunes Tunisiens condamnés pour avoir participé aux émeutes du pain du 28 janvier 1984. Elle devient vice-présidente de la LDTH en novembre 2000, puis intègre le bureau de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme en 2004, lors du congrès de Quito. Elle deviendra présidente de la FIDH en avril 2007, lors du congrès de Lisbonne. Elle décide alors d'axer son mandat sur deux priorités : les droits des femmes et les migrations internationales. Que retenez-vous du 60e anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme ? Avez-vous le sentiment que les droits de l'homme dans le monde ont avancé ou à l'inverse régressé ? Les années 1990 ont été les années d'or des droits de l'homme, une période marquée par beaucoup d'espoir avec la chute du mur de Berlin, tandis que dans certains pays, en Afrique, en Amérique latine, il y a eu basculement vers plus de démocratie. Les années 2000 ont été, au contraire, des années de désillusion, surtout après le 11 septembre 2001 où partout, après les Etats-Unis, il y a eu promulgation de lois liberticides sous prétexte de lutte contre le terrorisme. On a vu alors ces Etats s'enfoncer dans la régression au niveau des droits de l'homme. Ces lois liberticides étaient un prétexte pour des pays non démocratiques de mieux verrouiller le destin de leurs peuples et les institutions, pour d'autres il y a eu le pénitencier de Guantanamo. C'est la partie sombre du bilan, mais il y a des éclaircies importantes, notamment au niveau de la justice pénale internationale. Il y a des conventions internationales, des mécanismes et des normes qui, même s'ils ne sont pas activés par certains pays pour des raisons évidentes, ont le mérite d'exister. Notre rôle, en tant qu'organisation internationale des droits de l'homme, est de faire en sorte que ces mécanismes et ces normes avancent. Il y a aussi les institutions internationales telles que la Cour pénale internationale qui est une avancée réelle contre l'impunité. Il n'y a pas de paix sans justice. Qu'en est-il de la situation des droits de l'homme dans la région arabe et plus particulièrement au Maghreb ? Tous les pays arabes ne sont pas au même niveau en matière de respect des droits de l'homme. Il reste que la région arabe, si on la compare à l'Amérique latine ou même à l'Afrique, reste réellement sinistrée. Avec des avancées et des reculs. La Tunisie, par exemple, a connu des avancées dans les années 1970- 1980 ; aujourd'hui, même la contestation sociale y est punie. Dans le bassin minier de Gafsa, il y a eu des arrestations en masse, des procès sont tenus au quotidien, le 11 janvier 2009, il y aura un grand procès impliquant 32 personnes. Ce ne sont plus les opposants politiques, les islamistes, les gauchistes entre guillemets, ce sont ceux qui descendent dans la rue pour avoir un emploi qui sont réprimés. En Algérie, on s'achemine vers une présidence à vie et l'exemple tunisien est en train de faire des adeptes par une instrumentalisation de la Constitution pour se maintenir au pouvoir, ce qui est tragique. Le mot est adapté à la situation. Dans la région arabe, on assiste à un népotisme de la part de ceux qui sont au pouvoir. Ben Ali est au pouvoir depuis 21 ans. On succède à son père comme si c'étaient des monarchies. Autrement dit, l'alternance politique est une perspective qui vous paraît lointaine ? Au lieu d'aller vers l'alternance démocratique, on va vers des monarchies présidentielles. Des élections à 99% ça ne devrait plus exister et pourtant ça existe en Tunisie. Dans la région arabe, il y a des avancées, mais on ne les capitalise pas au niveau politique. Des transitions démocratiques, comme c'est le cas au Maroc, marquent malheureusement le pas. Dans ce pays, par exemple, la société civile est très vivante, réactive, il reste que le code pénal réprime encore les journalistes, qu'il y a eu des cas de torture. La FIDH a-t-elle été saisie de cas de violation des droits de l'homme dans les territoires sahraouis occupés ? Quelle est la position de votre organisation à ce sujet ? Nous avons envoyé une mission composée notamment de Mokhtar Trifi, président de la Ligue des droits de l'homme tunisienne et un vice-président de la ligue belge pour enquêter dans les territoires sahraouis. Jusqu'à aujourd'hui, on n'a pas été autorisés à le faire. A la FIDH, nous nous positionnons à la suite d'une enquête. Avez-vous été approchés par des militants des droits de l'homme marocains ou sahraouis sur ces violations ? Nous avons été saisis par nos ligues marocaines qui nous ont signalé des arrestations, des manifestations réprimées… Mais moi, je demande à ce qu'une mission de la FIDH puisse faire une enquête, c'est vraiment indispensable pour nous. Avez-vous des contacts avec les démocrates arabes qui œuvrent pour la promotion des libertés dans leurs pays ? Quelles formes de soutien la FIDH peut-elle leur apporter ? Nous avons donné l'opportunité à des Syriens de sortir de leur pays pour avoir une formation sur les droits de l'homme au Caire. On vient de tenir une réunion à Amman, des conseils supérieurs de la magistrature, clé de voûte de la démocratie dans ces pays. On encourage les mouvements de démocratisation comme on a encouragé la justice transitionnelle au Maroc, au Liban, pour juger des crimes antérieurs, pour faire des enquêtes. On a fait une enquête sur la liberté d'expression et la liberté d'association qui a débouché sur un séminaire organisé au Koweit. Sur le monde arabe, nous avons des programmes entiers pour plus de démocratie. Selon les moments et selon les pays, nous abordons les questions relatives à la justice, à la liberté d'association et de presse, à la formation sur les droits de l'homme… Et pour ce qui est des violences faites aux femmes ? Sur la situation des femmes dans le monde arabe, nous menons une véritable campagne. La FIDH, c'est le droit au droit. Nous avons élaboré, avec l'association démocratique des femmes du Maroc, il y a deux ans, une campagne pour « l'égalité sans réserve ». Dans ce groupe de travail, il y a la Syrie, le Maroc, la Tunisie, des pays du Golfe, le Yémen. Quelles sont les mesures de protection des droits des migrants que vous préconisez ? Le 36e congrès de la FIDH à l'issue duquel j'ai été élue a été consacré à la question des migrants. Avec les femmes, j'en ai fait un des axes de mon mandat. Les femmes et les migrants sont des populations de non-droit. En Europe, il existe une directive qui bannit les migrants quand ils sont sans papiers ou quand les enfants sont emprisonnés. Ce n'est pas concevable. Pas un seul pays européen n'a paraphé la Convention sur le droit des migrants et leur famille. C'est le Sud qui donne l'exemple. Le Mexique a décriminalisé les sans-papiers. L'Europe paie pour que ses frontières soient repoussées jusqu'en Libye, au Maroc, en Tunisie, en Mauritanie par la création de centres de rétention. Ce sont des mesures scandaleuses. Il y a une migration d'asiatiques vers les pays du Golfe. Cette migration est inacceptable parce que c'est un tutorat qui s'exerce sur les femmes : dès qu'elles arrivent on leur retire leur passeport. C'est un esclavage moderne. On a tenu un séminaire à Doha sur ce sujet, qui a eu pour effet la préparation d'une loi, à l'initiative du ministère des Affaires sociales, sur la protection des travailleurs migrants. Quelles sont vos priorités et vos urgences ? Jusqu'à la fin de mon mandat, mes priorités sont au nombre de trois : la défense des défenseurs, la lutte contre l'impunité, l'universalité des droits, c'est-à-dire migrants et femmes. Les deux menaces qui pèsent sur l'évolution des droits de l'homme aujourd'hui, c'est le prétexte de la souveraineté des Etats et le relativisme culturel. Les droits humains sont indivisibles.