En se levant du mauvais pied – bien qu'elle n'en ait qu'un seul depuis qu'elle a sauté sur une bombe artisanale en allant acheter un hijab et un tournevis – Leïla s'est demandée pourquoi elle est née ici. La veille, sa voisine Leïla lui expliquait encore que face à la mondialisation, les nationalités devraient pouvoir s'acquérir par une carte à gratter à l'âge de 15 ans, qui donnerait le résultat du pays de manière aléatoire et pour plus de justice, car Leïla se demande souvent pourquoi elle n'est pas Norvégienne. Elle s'est traînée jusqu'à la cuisine en se demandant pourquoi il faut se lever tous les jours alors que les journées sont exactement les mêmes. Bien qu'elle ne fume pas, Leïla a allumé une cigarette et s'est demandée pourquoi les Algériens fumaient autant, alors que les pavillons des cancéreux sont saturés.Puis Leïla est allée travailler, bien qu'elle n'ait plus de travail, licenciée pour avoir refusé d'aller faire un tour en forêt avec son patron. A midi, au 142e café et toujours chez elle, Leïla s'est demandée pourquoi elle en buvait autant et comment se fait-il qu'on ne crée pas d'emplois dans un pays où tout est à construire. Pourquoi un pays aussi riche, doté de ressources, de bonnes terres et de cadres n'arrive-t-il pas à décoller ? Pourquoi les libertés posent-elles autant de problèmes ? Pourquoi les Algériens détestent-ils les femmes alors qu'ils adorent leurs mères ? Pourquoi un troisième mandat alors qu'il suffit d'un seul pour comprendre que la méthode n'est pas la bonne ? Quand le Président évoque la volonté du peuple, pourquoi ne lui demande-t-il pas son avis ? Après s'être demandée si le peuple avait un avis et un projet et le Président une oreille et un cœur, Leïla s'est couchée, comme chaque soir, avec la même question : comment faire pour s'endormir alors qu'elle sait pertinemment qu'elle aurait pu être ailleurs et avec le même sexe ?