Il suffit d'un petit tour rue Didouche-Mourad ou quelque autre grande artère commerçante d'Alger pour s'en rendre compte : le hijab "fashion" fait fureur. C'est un fait : le "libass a-cha'ri" lui aussi se plie aux humeurs de la mode. Voilà un moment qu'on dit que le hijab a conquis en force le cœur (et surtout le corps) des Algériennes. Pour autant, on aurait tort de ranger cet habit sous un même code. Ce qui saute aux yeux de prime abord, c'est un certain hijab en vogue, qui contraste totalement avec le hijab-uniforme de la “première génération”, pièce unique coupée dans un tissu austère monobloc. À la fois chic et fonctionnel, le hidjab “tendance” se veut un savant “alliage” entre pudeur et coquetterie. De fait, il ne sacrifie en rien l'élégance au nom de la chasteté. Il s'agit le plus souvent d'un accoutrement personnalisé, confectionné par celle qui le porte en mariant des “signifiants” vestimentaires hétéroclites intégrant volontiers des signes “urbains” (pour ne pas dire rock) : jeans, baskets, jupes espagnoles, tuniques bariolées, bijoux “païens”, parfums de marque... Même la façon de nouer le foulard se veut up to date, à la page, renvoyant à des attitudes “teenagers”. Nous en faisons l'expérience chaque jour en flânant dans Alger : de plus en plus de boutiques spécialisées dans le hijab se font remarquer. Le marché de la “soutra” explose. Mais quand on fouille un peu, une marque sort tout de suite du lot : la marque “Sajeda”, du nom d'un gros confectionneur de vêtements “islamiques” basé à Amman. Le géant jordanien du prêt-à-porter “charî” active depuis 1987, lit-on sur son site Internet. À Audin, une boutique chic a ouvert il y a quelques mois. C'est la nouvelle Mecque des candidates au hijab. Elle travaille justement sous “licence” Sajeda, comme son enseigne l'indique. C'est la deuxième du genre, après une première boutique ouverte il y a deux ans à la rue Larbi-Ben-M'hidi (ex-rue d'Isly). Les deux magasins ont un même propriétaire. La boutique de la rue Didouche-Mourad ne désemplit pas. Trois vendeuses chapeautées par un gérant veillent au grain. “La majorité de nos clients sont des femmes. Il faut donc être aux petits soins avec elles pour les mettre à l'aise”, explique le gérant qui a souhaité que son nom n'apparaisse pas sur le journal. Très affable, notre hôte répond à toutes nos questions sans gêne aucune. “À l'origine, j'étais vendeur de vêtements pour hommes au haut de la rue Didouche. Il y a deux ans, j'ai ouvert la première boutique Sajeda à la rue Larbi-Ben-M'hidi. Après, j'ai ouvert ici. Il faut dire que le marché est très porteur. Le marché féminin surtout. D'abord, parce qu'il y a plus de femmes que d'hommes. Et puis, de plus en plus de femmes portent le hidjab." Dans le magasin, des hijabs de tous les styles et pour tous les goûts, doublés de robes d'apparat pour les fêtes spécialement adaptés aux “moutahajibate”. Le design est créatif, le tissu est nickel, les couleurs sont attrayantes. Incontestablement, le produit attire. Séduit. “Nous n'avons pas peur de la concurrence. Nous faisons de la qualité. Nous avons même des femmes de ministres qui viennent acheter ici", précise notre interlocuteur. En parlant de concurrence, une nouvelle boutique de foulards vient d'ouvrir juste en face, Le Monde du foulard. Là aussi, il s'agirait d'une chaîne. Il faut également mentionner la contrefaçon chinoise, qui a élargi ses activités au vêtement “religieux”. Un marché florissant Notre vendeur, lui, ne s'embarrasse pas trop des considérations religieuses. Pour lui, il s'agit avant tout d'un filon porteur. Un business comme un autre. Il ne veut pas entrer dans le débat sur les normes de “l'habit canonique”. "Nous essayons de satisfaire tous les goûts en important des modèles attrayants. Les modèles du Golfe, le niqab, le jilbab, tout ça, ne marchent pas ici. Vous savez, quand une fille est habituée à porter du mini et qu'elle se met au hijab, elle ne peut pas changer de mode vestimentaire d'une façon radicale. Cela doit se faire en douce", argumente-t-il. "Il y a des hôtesses de l'air qui veulent un hijab modéré", indique-t-il encore. Le “cool” aurait ainsi “contaminé” même les codes vestimentaires traditionnels : "Même pour les hommes, ce qui marche aujourd'hui, c'est le décontracté.” En sourdine, des “anachid islamiya” résonnent dans la boutique. Sur un écran géant, des spots publicitaires de la marque “Sajeda” avec des mannequins défilant en hijab en épousant les poses et les postures des top-modèles occidentaux. "C'est le hijab style", lance un jeune au bras de sa copine. Oui. Le hijab “free style”. Branché. Sur un panneau au fond de la boutique, entre deux mannequins figés, une publicité décline les valeurs de Sajeda : beauté, élégance et féminité. Des valeurs rarement mises en avant par les vendeurs traditionnels de vêtements “islamiques”. Cela fait nettement pendant à l'austérité du hijab classique qui se voulait “incolore” et “inodore” pour couper court à la tentation. La fourchette des prix des hijabs oscille entre 2 000 et 5 000 DA. Un hijab en jean fait dans les 4 500 DA. Un autre modèle rappelle la melaya constantinoise mais, là encore, avec une coupe moderne, à base d'un tissu noir mariant subtilement le lin et la soie. À quoi peut bien ressembler le hijab à 5 000 balles ? "En fait, il a une particularité : il est confectionné à base d'une matière antibactérienne et qui absorbe les mauvaises odeurs", répond notre guide. Un hijab “papiche” se fait remarquer chez les plus jeunes, avec toute sorte de trouvailles, donnant lieu à de véritables patchworks vestimentaires. Et chacune a son histoire personnelle avec Dieu. L'une le met sous la contrainte familiale, l'autre par mimétisme, une troisième sous l'influence de la propagande islamiste en milieu scolaire. Certaines jeunes femmes le portent pour augmenter leurs chances de passer avec succès l'examen de mariage. Beaucoup se plient aux exigences de leurs futurs époux, résolument traditionalistes sous des dehors ouverts. L'une des récentes vagues de “hijabisation”, on s'en souvient, a suivi directement le séisme du 21 mai. D'ailleurs, les filles qui se sont mises à le porter après ce drame, on les a baptisées les filles du “21”. Historiquement, le hijab “politique” serait apparu pour la première fois à Sidi Bel-Abbès, en 1971. Une jeune fille de toute beauté, 22 ans, étudiante en interprétariat, se défend de faire partie des “hijabistes” retardataires. Habillée très cool, elle se dit toutefois pour un hijab plus orthodoxe. “Je le porte depuis six ans. Je l'ai fait par conviction. Lamra lazem testar rouha. La femme doit se couvrir le corps", dit-elle. Sur la ligne de bus Bab-Ezzouar-Tafourah, une belle jeune fille “occidentalisée” se voit proposer une brochure de propagande pro-hijab avec ce slogan : “Oukhtah, la tankhadiî” (“Ma sœur, ne te laisse pas berner”). Il convient, enfin, de relever l'effet Amro Khaled, du nom de ce célèbre prédicateur cathodique égyptien très écouté dans nos foyers à travers la chaîne Iqra. Notre gérant le confirme : “Il y a énormément de filles qui viennent acheter un hijab après avoir écouté Amro Khaled. Une fois, j'ai eu une cliente qui m'a confié que juste avant de faire irruption dans le magasin, elle était en train d'écouter Amro Khaled dans sa voiture. Elle est venue ensuite directement ici, elle a acheté un hijab, l'a revêtu séance tenante et est ressortie habillée avec.” M. B.