Ceux qui ont suivi le discours triomphaliste du Premier ministre, hier à l'APN, ont dû sans doute se rappeler celui, inquiétant, du secrétaire général du RND et néanmoins chef de gouvernement le 26 juin dernier, à la tribune du congrès de son parti, à l'hôtel El Aurassi. Les deux prestations ont été l'œuvre du même responsable, Ahmed Ouyahia. Le ton, lui, est passé de la plainte craintive à la jubilation sans bornes. Entre Ouyahia du mois d'août et celui d'hier, il n'y a assurément pas photo. Jugez-en. Lors du congrès de son parti, l'ex-chef de gouvernement se demandait si l'Algérie était à l'abri d'un nouveau krach économique semblable à celui vécu dans les années 1990 et qui a nécessité, à ses yeux, un humiliant rééchelonnement de la dette. Est-ce à dire que tout va bien ? Est-ce à dire que l'Algérie s'est enfin libérée d'une dépendance économique excessive envers l'extérieur ? Ouyahia, qui doutait alors de tout, s'était également demandé si l'Algérie « a libéré ses citoyens de la dépendance envers l'aide de l'Etat et que tous nos compatriotes sont heureux dans leur quotidien et rassurés sur leur avenir ? » Et de répondre avec un réalisme amer que « la réponse est assurément non ! » Ce jour-là, beaucoup d'observateurs ont apprécié ce « courage » politique d'un haut responsable à sa juste valeur. Ouyahia avait, en effet, balayé les illusions de « développement » et de « croissance » adossés à la rente pétrolière. « L'illusion est de ne pas reconnaître aujourd'hui que sans le pétrole, notre nourriture quotidienne ne pourrait être assurée car elle dépend de coûteuses importations et que même les salaires des fonctionnaires ne pourraient être versés par l'Etat », avait-il lâché, inquiet. Il s'était plaint de ces jeunes Algériens « acculés par le désespoir qui sont contraints au suicide à travers les mers et que la criminalité et les maux sociaux se propagent à travers le pays, jusque dans les villages les plus reculés ». Il avait souligné la « fragilité de l'économie nationale » et appelé à rompre avec « le mythe de l'aisance financière ». Pis encore, l'ex-chef de gouvernement avait même prévenu que « si le prix du pétrole passe en dessous de la barre des 60 dollars, tous les projets du pays seraient chimériques et sans lendemain ». Hier, 13 décembre, notre pétrole était coté à 44 dollars… Mais « Si Ahmed » semblait oublier ses funestes prévisions d'août. La preuve par lui-même : « Je tiens d'emblée à rassurer votre honorable assemblée : l'Algérie a les moyens de traverser cette crise sans grands dommages et elle entend également maintenir le rythme de son développement ainsi que l'intensité de sa politique sociale », a-t-il soutenu. Et par une alchimie politique dont lui-même détient le secret, il ajoutait hier avec aplomb que « cette crise financière sera durable (…) cependant, l'Algérie a les moyens d'y faire face, grâce aux mesures et décisions prises par Monsieur le président de la République tout au long de ces dernières années ». Quant à ses lamentations tribunitiennes à El Aurassi sur « ces jeunes contraints au suicide en mer », Ouyahia les a zappées de son laïus pour ne pas obscurcir un bilan qu'il veut absolument clinquant. Pour boucler la boucle de ce qui paraît être un discours à la carte, il est utile de rappeler sa belle formule contre la gestion de Belkhadem : « La bonne gouvernance ne consiste pas seulement à dépenser les recettes du pétrole. » Question à un sou : avec quoi Ouyahia va-t-il financer son plan d'action déclamé hier ?