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Constantine-Infrastructures culturelles : Autopsie d'une décadence
Publié dans El Watan le 22 - 12 - 2008

C'est le président de la République lui-même qui, au terme d'une séance d'écoute accordée à Khalida Toumi, exprime sa satisfaction sur le sujet en déclarant : « Notre pays a investi d'importantes ressources pour le développement des infrastructures culturelles qui doivent être valorisées au service de la production culturelle ».
C'est la deuxième partie de cette déclaration qui nous intéresse, l'épanouissement culturel n'étant pas nécessairement garanti par l'éclosion de cette infrastructure. La mise en valeur de ces établissements reste en effet un autre défi dans une politique culturelle qui aspire à des résultats probants. Or, ces établissements ressemblent plus aujourd'hui à des chaumières arides qu'à des centres de rayonnement de la pensée et de la créativité artistique. En voici des exemples, non exhaustifs, à travers le statu quo qui caractérise la métropole constantinoise. Au moment où la wilaya opère sa mue grâce à des programmes de développement très ambitieux et une modernisation de son tissu urbain, placée sous le signe du futur, le secteur de la culture reste à la traîne, souffrant en silence du mépris de l'administration, alors que tout le prédispose et le place comme une pierre angulaire dans la stratégie ou encore une locomotive dans l'effort de développement.
L'absence de la culture dans cette dynamique est diversement appréciée. Pour certains, c'est le conflit opposant la ministre de la Culture au wali de Constantine qui a freiné l'élan ; pour d'autres, cette absence reflète la marginalisation de la culture dans le programme du président de la République défendu pour les deux mandats. Sans exclure totalement ces deux thèses, il serait plus judicieux de reconnaître l'origine lointaine des causes de la décadence. Maison de la culture Mohamed Laïd El Khalifa. Ce mastodonte de 4000 m2, érigé à l'épicentre de la ville, accueillait la maison Citroën avant d'être transformé, en 1987, en lieu de culture. Paradoxalement, ses plus beaux jours, cette maison les a connus durant les années 1990, ceux de la récession et du terrorisme. Aujourd'hui, seuls des grossistes du livre occupent le hall principal à tour de rôle en animant une vente-expo de livres, généralement bas de gamme, qui fait office de l'unique activité culturelle de l'établissement. D'ailleurs, cette braderie permanente échappe à tout contrôle et à toute imposition, rendant douteuse cette activité qui provoque la ruine des libraires.
Sur la façade latérale du bâtiment, faisant face à la place des Martyrs, la galerie Issiakhem a été cédée, depuis des années, à la wilaya qui en fait usage pour héberger la commission d'accueil des repentis de la réconciliation nationale. Curieux destin d'un lieu où jadis défilaient vernissages et expositions d'arts plastiques. Et comme un espace perdu n'est jamais remplacé à Constantine, les artistes peintres semblent avoir fait leur deuil. C'est le cas de l'illustre peintre Bachir Boucheriha qui n'a pas pu exposer à Constantine depuis l'an 2000. Dépité, il a fini par s'installer ailleurs. Il dira à ce propos : « Il est impossible de trouver un lieu qui fonctionne correctement, j'ai l'impression qu'elle est (Constantine) sanctionnée. S'il y avait quelque chose, je serais resté ». Et le gâchis ne s'arrête pas en si bon chemin. Dans ce même lieu, la bibliothèque, où se bousculaient quotidiennement des centaines de candidats au bac pour la révision, subit une opération de lifting depuis… 3 ans ; la salle de spectacle est, elle aussi, en rénovation depuis des années et tout ce retard ne semble pas inquiéter les responsables, en dépit de l'importance vitale du bâtiment.
Le talent assassiné
Le vide sidéral qui traverse le palais de la culture, baptisé du nom d'un illustre lettré de la ville, Malek Haddad, a fini par devenir chose « normale », tolérée par tous, y compris des artistes. Durant ses 20 ans d'existence, on ne peut pas dire que ce palais ait été un centre de rayonnement culturel. Loin de là, tout le monde retient que c'est une bonne adresse pour faire une formation en informatique ou en broderie, mais point de culture. Ci-gît l'initiative. La salle de spectacles, la seule de la ville, a subi deux opérations de rénovation qui se sont révélées coûteuses et inappropriées (le plafond et toute la partie haute des murs, à titre d'exemple, ont été peints en blanc !) la rendant inapte à accueillir des événements artistiques. En revanche, le lieu semble se spécialiser dans l'accueil des conférences, des meetings politiques et des séminaires organisés en location par des organismes privés et payés rubis sur l'ongle.
Pour le directeur des lieux, Djamel Brihi, le bilan n'est pas aussi négatif. Son argumentaire est basé, cependant, exclusivement sur les prestations offertes à l'administration. Concernant la maison de la culture, il justifie par ailleurs sa fermeture par l'occupation des bureaux par la direction de la culture et celle du tourisme et par l'obsolescence des installations électriques et les dégradations dangereuses du bâtiment. « Je ne veux pas revivre l'incendie de 2005, la rénovation est inscrite pour 2009 », explique-t-il. La majorité des artistes et des associations, qui activent dans le domaine, ne disposent pas de locaux pour s'établir et exercer, alors que le palais en renferme environ 20, qui demeurent fermés et leur sont interdits depuis l'inauguration de ce dernier en 1998. Labib, un jeune flûtiste de 22 ans, raconte que lui et les membres de son groupe ont frappé plusieurs fois aux portes du palais de la culture et de la maison de la culture pour avoir un local, mais à chaque fois ils ont essuyé un niet. Il a fallu une intervention pour décrocher un créneau dans une maison de jeunes à Bab El Kantara.
Labib soutient, furieux, qu'il n'y en a que pour le malouf et le aïssaoua, et cela s'explique, selon lui, par la mainmise des conservateurs. Sa sentence est imparable : « La plupart des jeunes musiciens ont vieilli sans avoir pu réaliser leur vocation. Les groupes qui font du rock ou du rap sont des mort-nés. Même si on a du talent, on est condamné ici. Il n' y a pas de formation, pas de local pour répéter, et les salles de spectacles nous sont interdites. Il n'y a pas d'avenir pour les musiciens ici. L'exclusion n'est pas le seul fait de la maison de la culture. Malgré ses 5 prix obtenus en 2007 au festival du théâtre professionnel, l'association El Belliri est interdite au TRC. Son spectacle destiné aux jardins d'enfants a été partout programmé sauf à Constantine. Après 12 ans d'existence, El Belliri est plus reconnue et sollicitée ailleurs qu'a Constantine. Nous ne comprenons pas les raisons de cet ostracisme », s'interroge son président, Hamoudi Hamza.
Pour le cinéma, le tableau est aussi noir que partout ailleurs en Algérie, avec une petite nuance pour la capitale. Le nombre de salles de cinéma, héritées de la période coloniale, a diminué aujourd'hui. Ce qui subsiste à Constantine est hors circuit. La génération actuelle ne connaît d'ailleurs pas les salles obscures. La messe est dite pour l'illustrissime cinémathèque Cirta, dont le sort est depuis 7 ans entre les mains de la justice qui, dans tous les cas, décidera du changement de vocation de la salle. La cinémathèque An Nasr, rénovée et réceptionnée en 2004, est restée fermée pendant 4 ans avant qu'une commission ministérielle ne juge les sièges non répondants aux normes de sécurité, prolongeant ainsi son hibernation. Le distributeur national de films, Cirtafilm, pourtant originaire de la ville, prospère dans plusieurs villes du pays, faisant le bonheur des cinéphiles, sauf à Constantine. Il a été forcé de déplacer son activité après des années de galère où il était obligé d'annuler des séances de projection à chaque fois qu'il y avait un meeting ou une conférence officielle. Idem pour les beaux-arts. L'école de Constantine est hébergée, provisoirement, une partie dans les anciens locaux du conservatoire communal et l'autre au sein du campus universitaire Zerzara. La nouvelle école, dont le projet a été lancé il y a 5 ans, n'a pas encore été réceptionnée, malgré les insistances de Mme la ministre lors de sa visite en 2006.
En attendant l'essor culturel
Les autorités locales ne sont pas les seules à faire de l'élément culture un laissé-pour-compte. La situation statutaire de nombre de ces établissements donne à réfléchir sur la politique du ministère. Le nouveau théâtre de Verdure, réceptionné en 2006, est toujours privé de statut administratif, à l'instar de tous les théâtres de verdure au plan national. La wilaya, initiatrice du projet, en a confié la gestion à la commune qui en dispose d'une manière végétative. Selon son directeur, Noureddine Bechkri, un dossier complet visant à le répertorier parmi l'infrastructure ministérielle a été déposé depuis 6 mois et est toujours à l'étude. M. Bechkri souhaite bien entendu que cette situation s'améliore pour permettre au théâtre une autonomie qui devra influer directement sur son rendement. Le directeur de la culture, Mustapha Nettour, ne cache pas sa déception quant à l'infrastructure culturelle et son état dans la capitale de l'Est, réputée ville des sciences et des savants. « Comparativement aux autres wilayas, nous sommes en bas de liste, et ce n'est que maintenant qu'on essaie de rattraper le retard. Hormis Malek Haddad, le théâtre et le musée Cirta, il n'y a rien. Après la période coloniale, aucune bibliothèque n'a été construite à Constantine et les quelques salles de lecture ne répondent pas aux normes de l'Unesco. Ce n'est qu'en 2007 qu'on a pu programmer 10 projets. »
Cet écrivain, qui a pris les commandes de la direction depuis plus d'une année, énumère les projets inscrits pour la wilaya et souhaite réaliser un opéra pour la ville. « Constantine, soutient-il, abrite désormais plusieurs festivals, dont celui international du jazz qui fait face, depuis deux éditions, à de réels problèmes de capacité d'accueil. Elle a besoin d'un établissement à la hauteur de ces événements ». L'idée de l'opéra partage cependant les hommes de culture, bien que tous s'accordent à reconnaître le déficit. Au fond, l'intention est bonne. Cela dit, quand les concernés ne sont pas associés à la concertation, les mêmes erreurs sont reproduites, à l'image du grand gâchis de la salle de spectacle, Malek Haddad, rénovée à deux reprises à coups de milliards pour que la montagne accouche d'une souris monstrueuse et infréquentable. Exclusion, ostracisme, gaspillage de l'argent du contribuable et insignifiance des actions menées !
Ce qui se dégage de ce constat conduit droit vers la qualité de la gestion de ces espaces et l'absence de politique culturelle locale, comme le dit si bien Selim Fergani : « On cherche une palmeraie dans le désert. » Avec un encadrement qui laisse à désirer, recruté sur la base de critères clientélistes, coupant l'herbe sous le pied de tous ceux ayant des velléités créatives, est-il possible de réaliser les objectifs nationaux ? Est-il possible d'enclencher une dynamique en fermant les portes aux jeunes et en réglant l'horloge de l'activité exclusivement sur les dates des fêtes religieuses et nationales ? Tous ceux qu'on a interrogés s'accordent à dire pourtant qu'avec une réelle stratégie culturelle et un personnel volontaire et efficace, capable de repérer et de faire émerger le potentiel créatif, les théâtres et l'ensemble des établissements ouverts peuvent fortement contribuer à enclencher un essor culturel. Depuis, les ratés de la « révolution culturelle », les femmes et hommes placés aux commandes de ces lieux naviguent à vue. Maintenant que l'argent coule à flots pour améliorer le parc national des équipements culturels, les éminences grises du secteur doivent établir une politique nationale à même de faire sortir ces espaces de leur indigence et leur insuffler l'âme d'une locomotive culturelle. A défaut, ils seront toujours les toits incultes d'une infinie décadence.


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