Un diplomate algérien « appréhendé » par la justice française... indépendante, bien sûr. En rappel préalable, quelques lecteurs ont, peut-être, noté mes assiduités envers l'inépuisable législation pénale coloniale, ce qui m'astreint à la vigilance sur les procédés systémiques de l'appareil judiciaire français, véritable arsenal de lois d'exception réactualisées en cas de besoin pour réprimer les jeunes des banlieues, comme en décembre 2005 par exemple. Sans doute, pour leur rafraîchir la mémoire sur le traitement réservé à leurs ascendants, on n'en a pas moins exhumé une loi que les juristes administratifs pensaient abrogée, ou au moins frappée de caducité, à savoir la loi instaurant l'état d'urgence en Algérie d'avril 1955. Une rétrospective pertinente et quelques observations méritent d'être versées aux interrogations suscitées par cette affaire atypique dans les annales diplomatiques sur fond de relations bilatérales en latence névralgique perpétuelle, en dépit de multiples vœux appelant à une pleine normalisation. Premier acte, printemps 2007 : veille d'élections présidentielles en France et législatives en Algérie. L'auditorium de la Ville de Paris abrite une séance commémorant le cinquantenaire de l'assassinat à Alger de Me Ali Boumendjel, ... mais pas seulement. Au premier rang, on reconnaissait avec une émotion certaine Mmes M. Boumendjel, J. Audin et aussi Mme de Bollardière qui allait présider la séance. F. Jeanson se serait excusé. Si le sort réservé à M. Audin et A. Boumendjel par l'armée française est connu, il convient de préciser, à l'intention des jeunes lecteurs, que le général Pâris de Bollardière avait connu les arrêts de rigueur en forteresse militaire pour avoir dénoncé, dans les colonnes d'un hebdomadaire, les pratiques de la pacification. Toute une mémoire vive des tragédies vécues par des acteurs, pardon des actrices présentes, un chapitre d'Histoire vivante ... sauf que, et aucun auditeur présent n'en disconviendra, le fait historique allait être altéré, sinon dénaturé, par une ambiance de meeting électoral. Les opposants algériens ayant un pied, sinon les deux, en Europe en ont profité pour ressasser leurs griefs. Banal, passons à la gauche française. Les petites fractions dans leurs tentatives désespérées de s'agglomérer étaient représentées : un candidat des Verts a fait état d'un projet de commission d'enquête parlementaire sur le vote des pouvoirs spéciaux de 1956. Autrement dit, le PS, en cas de succès, consentirait à s'interroger sur les mobiles de son aïeule la SFIO. L'inévitable députée d'outre-mer, venue on ne sait pourquoi, a avoué ne pas connaître le sujet et a pris la peine de préciser que son dérangement n'avait aucune raison électorale. Puis, la journaliste du quotidien vespéral est revenue quant à elle sur son exploit d'avoir mis à table, en précisant que c'était à la terrasse du dernier étage du journal, le général tortionnaire. Et, comme dans un roman feuilleton, elle promet la suite à un prochain numéro, puisqu'elle continue à le soumettre à la question avec le concours ... de sa nouvelle compagne. L'avocat présent, théoriquement chargé de diligenter des actions afin d'établir les responsabilités, a vaguement évoqué un courrier adressé au président Chirac, resté sans réponse. Il a quand même dévoilé qu'il lui semblait utile de s'interroger sur les rapports du gouvernement... et de l'armée. A aucun moment, il n'a été fait la moindre allusion à un quelconque acte en recherche de responsabilité incriminant les initiateurs d'ordres hiérarchiques, au premier rang desquels les parlementaires qui transférèrent les pouvoirs judiciaire, administratif et de police à l'armée, votant crédits et encouragements sous les applaudissements des bancs de la droite, du centre et de la gauche : aucun des Aussaresses, Papon, Le Pen n'était établi à son propre compte. Pour résumer, il y eut une victime d'assassinat, mais pas de coupable. Deuxième acte : même lieu, mêmes enjeux électoraux et, en prime, l'entrée en scène d'un vieil artiste. Docteur en médecine et en logorrhée droit-hommienne, il faisait campagne pour la gauche. Il n'était pas encore passé en face : au fond, peu lui importe le verdict des urnes et la couleur de l'écuelle, pourvu qu'il ait la soupe. Bien que passé à l'échelon de locataire du Quai d'Orsay, il n'en est pas pour autant le chef de la diplomatie, puisque la Constitution (art. 52) la dévolue du domaine réservé au chef de l'Etat. La séance était consacrée à l'a ssassinat à Paris, de l'avocat franco-algérien A. Mecili. Décrit comme opposant, tentant de fédérer les oppositions domiciliées à l'étranger, le commanditaire ne pouvait donc être que l'Etat algérien qui pratiquerait l'obstruction sur la recherche des auteurs, forcément membres de l'administration algérienne, selon le laïus mis en ligne. A aucun moment, il n'est précisé d'acte exact de procédure que l'Algérie aurait refusé d'accomplir. Ce parrainage rappelé, il convient de mentionner que l'avocat qui n'a réussi à faire inculper aucun responsable dans l'assassinat de Ali Boumendjel, sera plus hardi dans l'affaire A. Mecili. Il est une figure du mouvement associatif contrôlé par les partis de gauche, véritable Cour des Miracles, dont la spécialité est d'orchestrer la solidarité discriminatoire : à titre d'exemple, à aucun moment ils ne condamnèrent le génocide du million d'enfants irakiens, à la suite des résolutions contraignantes du Conseil dit de sécurité des Nations unies, approuvées justement par le docteur en médecine sélective, sinon de sélection. Pour engranger une petite cote de notoriété, dès la nouvelle de l'arrestation du diplomate annoncée, il s'est emparé de quelques micros complaisants. Mais il ne faut pas être grand clerc pour s'apercevoir quand un avocat évasif cafouille en manque de motifs. Afin de lever toute équivoque, je précise qu'il est hors de question de trouver la moindre justification à un meurtre ou assassinat : on est légaliste ou on ne l'est pas. Or, l'on assiste là à une remarquable illustration du légalisme de confection à géométrie variable. Cet avocat tiers-mondain, non seulement se limite aux stériles déclarations incantatoires sur le cas Ali Boumendjel, mais il avait observé, avec tous les autres pseudo amis de l'Algérie, une discrétion qui n'était pas passée inaperçue lors du procès Papon, devant les assisses de la Gironde en 1997/98. Seul J. L. Einaudi, le 16 octobre 1997, empoignant la barre des témoins à deux mains pendant deux heures, était venu infliger une correction aux affirmations mensongères du légionnaire et ancien ministre de la Défense, Messmer, qui déposait une heure auparavant en faveur de l'auxiliaire des nazis, Papon, couvert par le gouvernement de Gaulle/Debré pour les assassinats en masse d'Algériens, le 17 octobre 1961, à Paris. Naturellement, la cour d'assises n'a pas retenu ce motif dans la condamnation du 2 avril 1998, pour complicité de crimes contre l'humanité, du préfet qui servit le général de Gaulle avec le même zèle qu'il mit à servir le maréchal Pétain. Indépendante, la justice française ? Mlih, répliquerait-on en langage du cru algérien. C'était déjà l'affirmation de de Gaulle face à la mobilisation internationale contre l'exécution de A. Lekhlifi, âgé de 19 ans, au Fort-Montluc en juillet 1960. Interface de la Collaboration sous l'Etat français, travestie en uniforme militaire pendant la guerre d'Algérie, ses parquets servaient d'organes pivots aux ordres : les IVe. et Ve. Républiques demandaient des têtes d'Algériens, elle les leur a données. Bien sûr, l'affaire actuelle ne revêt pas cet aspect tragique et pourra, un jour, être enseignée comme cas d'école de relations bilatérales exemplaires. L'Algérie n'aurait-elle pas réagi vigoureusement ? Que n'aurait-on pas lu et entendu sur ses motivations et intérêts à entraver la manifestation de la vérité. Une autre question s'impose. Les diplomates algériens n'ignorent rien des subtilités procédurales du droit français. Se seraient-ils laissés abuser par l'enseignement du fameux pilier du droit pénal : la présomption d'innocence ? Dans ce cas, ils seraient coupables d'amnésie : la législation d'exception lui substituait la présomption de culpabilité ; mieux, pour suppléer au défaut de preuves, elle exigeait des arrêts de condamnations à mort sur intime conviction. Quant aux confusions sur l'orthographe des patronymes, le médecin, l'avocat et le juge manifestent à l'évidence les signes d'un syndrome bien identifié : l'Arabe, c'est l'autre. Je ne sais plus qui a écrit que la justice française éprouve de sérieuses difficultés à guérir de ses démons de lois d'exception. Le Parlement, aussi. Sinon, comment expliquer la récente loi du 15 juillet 2008 qui rend non communicables les documents sur la pollinisation au plutonium du massif du Hoggar ? Pour conclure, sans appel, laissons la parole à un député convoqué par un magistrat pour être entendu en qualité de témoin et qui refusa de comparaître, en précisant ses griefs : « Pour ma part, qu'on sache que n'appartenant pas au corps judiciaire et n'ayant pas à ce titre prêté serment à aucun maréchal Pétain, je n'ai jamais cédé ni aux menaces ni aux pressions ». (Le Monde du 12 dec. 1996). Précisons qu'aucune poursuite ne fut initiée par le parquet contre ce député pour outrage à la magistrature. Enfin, nul n'ignore qu'une bourrasque de vent salutaire, venue de l'Elysée, balaye le Quai. Serait-ce l'amorce du dénouement, par défaut ? Pendant que le juge sera renvoyé aux seules instructions de son code, le médecin retrouvera son emploi d'humanitaire d'opérette et l'avocat ira se pavaner près de la Cour des Miracles en préparant la confusion suivante.