Celle-ci était devenue reconnaissante à la Révolution algérienne à laquelle s'identifiaient tous les peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine et surtout les Arabes qui considéraient que le combat des Algériens a redonné sa dignité à tout le monde arabe longtemps méprisé et humilié par le monde occidental. C'est dans un climat aussi prestigieux, avec cette crise unique, que le fils d'Héliopolis a pris les rênes du pays. II a su exploiter la situation et en a tiré profit avec une rare intelligence. Bien connu sur la scène internationale en ses débuts, il a su s'imposer avec le temps pour devenir un véritable leader charismatique. Dénoncé à l'étranger le 19 juin 1965 comme un putschiste et un homme de droite, il trompera tous ses détracteurs en s'interposant comme un homme progressiste très proche du tiers-monde et ennemi juré de l'expansionnisme capitaliste. A partir de là, il révélera les fondements de sa politique. II va alors devenir le défenseur acharné du non-alignement, seul moyen à ses yeux de permette aux pays pauvres de garantir leur indépendance et de se prémunir contre la voracité de l'impérialisme. II annonce la couleur le 5 juillet 1965. « Notre action sur le plan international, dit-il dans son premier discours de chef d'Etat, sera dégagée de toute complaisance et n'admettra aucune ingérence directe ou indirecte. Fondée sur des principes clairs, fidèle à nos options fondamentales, elle sera débarrassée de tout chauvinisme et de vaines considérations de pression pour s'adapter à nos responsabilités réelles ». Partant des principes ainsi énoncés, Boumedienne s'attelle à faire de l'Algérie, l'exemple à suivre par le tiers-monde. C'est ainsi qu'il oblige les Français à quitter avant terme les bases de Reggane et de Béchar. En 1971, il nationalise le pétrole, réussissant là où ont échoué les Iraniens, entraînant dans son sillage la Lybie, l'Irak d'abord et d'autres pays producteurs d'or noir. A l'avant-garde du tiers-monde A partir de ce moment là, il va s'imposer comme une grande figure du tiers-mondisme et un président qui, désormais, compte sur la scène internationale. Alger devient La Mecque des révolutionnaires, pour reprendre une qualification faite en 1973 par le défunt Amiral Cabral ; leader du PAIGC, (Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau) assassiné la même année à Conacry, dit-on, par la PLDE, la police politique portugaise. Effectivement, tous les mouvements de libération d'Afrique, d'Asie, tous les partis d'opposition progressistes d'Amérique latine, d'Europe (ceux-là de façon plutôt discrète), et bien entendu les Palestiniens trouvent asile en Algérie où ils sont pris en charge par une direction des mouvements de libération. L'Algérie « ne peut s'abstenir d'aider ces mouvements, car elle trahira sa mission et son histoire, affirme l'homme fort du pays le 19 juin 1966. Son aide à ces mouvements révolutionnaires est une aide naturelle qui se poursuivra ». Mais c'est surtout le sommet des non-alignés, réuni à Alger en septembre 1973, qui va propulser Boumedienne sur le-devant de la scène internationale et faire de lui un leader incontournable pour toutes les questions du tiers-monde. C'est à cette occasion que vont être posés les jalons pour un nouvel ordre économique international et son corollaire, le dialogue Nord-Sud. Il militait alors avec acharnement pour imposer les résolutions de ce sommet au reste de la communauté internationale. II réussit à convoquer une assemblée générale extraordinaire en avril 1974 à New York. « Le non-alignement, explique-t-il à cette occasion, trouve sa raison d'être dans la défense des causes justes contre toute forme d'hégémonie politique et de domination économique ». Ajoutant plus loin que « si les débats et les discussions de cette assemblée pouvaient donner l'espoir d'atteindre un tel résultat, alors le développement des peuples du tiers-monde et les succès à emporter sur la misère, la maladie, l'analphabétisme et l'insécurité ne seraient non pour la revanche des pays pauvres sur les pays nantis, mais la victoire de l'humanité tout entière ». Pour atteindre ces objectifs, il préconise, entre autres, la « prise en main par les pays en voie de développement de leurs ressources naturelles, ce qui implique au premier chef la nationalisation de l'exportation de ces ressources et la maîtrise des mécanismes régissant la fixation des prix » et proposant sur sa lancée « la rénovation démocratique du système monétaire international qui annihile tous les efforts des pays en voie de développement ». Le monde entier considère cette assemblée générale comme « historique ». Boumediene est grisé par le succès. II convoque à Alger la même année un sommet, une première, des pays membres de l'OPEP. Tous les chefs d'Etat sont présents. En marge de cette rencontre, il joue le médiateur entre le Shah d'Iran et le vice-président irakien de l'époque Saddam Hossein, ce qui aboutit à la conclusion d'un accord sur le tracé des frontières entre les deux frères ennemis mettant fin à un conflit séculaire mais que revivra plus tard le dictateur irakien en envahissant inutilement son voisin en 1980 dans le but de détruire la révolution khomeiniste. Toujours à l'initiative de Boumediene, une conférence sur le dialogue Nord-Sud se tient la même année à Paris. II y avait d'un côté les pays occidentaux riches et de l'autre, les pays pauvres. De nouveaux rapports Nord-Sud Toute la réunion a tourné autour d'un débat entre les Etats-Unis pour les nantis et l'Algérie pour les damnés de la terre. Et toute l'attention internationale s'était focalisée sur la position de l'un ou de l'autre des deux pays pour souligner l'échec ou le succès des travaux. A partir de cette époque, le Nord développé s'est mis à voir le Sud avec un autre regard et à dialoguer avec lui avec respect. Les jalons de nouvelles relations entre les deux parties venaient d'être posés. Toujours la même année, Boumediene est la vedette du sommet de l'organisation de la Conférence islamique qui se tient à Lahore (Pakistan). Cherchant sans doute à bousculer un monde musulman vivant dans une totale léthargie, il prononce un discours qui restera dans les annales et qui lui a sans doute attiré la haine des intégristes. En effet, sans fioriture, il déclare à ses pairs que « l'ont ne va pas au paradis le ventre creux », ajoutant : « L'Islam que je connais depuis l'âge de dix ans, n'a jamais nourri son homme ! » C'était l'une de ses grandes sorties et l'un de ses discours les plus médiatisés sur le plan international. Il faut dire que l'ancien chef d'état-major de l'ALN a toujours réussi à tétaniser son auditoire et à se faire respecter. L'audience de l'Algérie d'alors était sans commune mesure avec son poids économique et militaire, ce qui à fait dire à Henry Kissinger, à l'époque secrétaire d'Etat américain, à son interlocuteur algérien, lors d'une escale à l'aéroport d'Alger : « Heureusement que vous ne produisez que 50 millions de tonnes de pétrole/an ». Mohamed Boukharrouba de son vrai nom, terminera son mandat de trois ans à la tête des mouvements des non-alignés, auxquels il a donné incontestablement un souffle nouveau, en beauté et avec succès. Son combat diplomatique ne s'arrêtera pas pour autant. D'autres épreuves l'attendent cette fois-ci sur la scène arabe. A la surprise générale, et sans consulter ses pairs arabes, le président égyptien débarque à Jérusalem. C'est la consternation. Le geste est vu comme une grande trahison de la cause des peuples arabes en général et palestinien en particulier. II faut agir vite. C'est Boumediene qui organise la riposte. Ce qui était considéré à l'époque comme l'élite progressiste du monde arabe, c'est-à-dire l'Algérie, la Syrie, l'OLP, le Yémen du Sud et la Libye crée un front de la résistance et de la fierté. Les leaders des quatre pays et Yasser Arafat tiennent un sommet à Alger. Saddam Hossein, déja soupçonné d'être un agent de la CIA, refuse d'y participer ainsi que les autres pays arabes. Faute de soutiens conséquents, le front ne réussira certes pas à provoquer un isolement de l'Egypte et un transfert du siège de la Ligue arabe du Caire à Tunis. Un autre sommet du genre se tient en juillet 1978 à Damas. Boumediene impose des résolutions très dures contre les Egyptiens, résolutions qui seront adoptées presque intégralement par le sommet arabe tenu à Baghdad en novembre de la même année. Le président algérien n'était pas à cette réunion. Et pour cause, il était à Moscou où il se soignait pour une maladie qui allait l'emporter le 27 décembre. Depuis, l'aura de l'Algérie a commencé doucement et sûrement à se dissiper. Sa voix ne porte plus sur la scène internationale où elle ne pèse pas plus que des pays au passé nettement moins prestigieux. Les grands de ce monde ne l'invitent plus aux conférences où se décide l'avenir du monde. Aujourd'hui, elle ne réussit même pas à faire rapatrier un de ses diplomates, Mohamed Ziane Hasseni, retenu en otage à Paris par la justice française malgré son innocence.