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«Les masses populaires arabes doivent réagir contre l'oppression de leurs dirigeants»
Le célèbre poète égyptien Fouad Ahmed Nedjm déclare avec conviction :
Publié dans La Tribune le 03 - 02 - 2009


Entretien réalisé Par Sihem Ammour
LA TRIBUNE : Quel est votre sentiment à propos de votre retour en Algérie ?
Fouad Ahmed Nedjm : Je suis comblé et heureux d'être ici. J'adore profondément l'Algérie. La dernière fois que je suis venu, c'était au début des années quatre-vingt. Ce pays fait partie intégrante de moi. Parmi mes premiers poèmes, il y a beaucoup qui sont dédiés à la révolution algérienne et à Djamila Bouhired. Je vous confie que, lorsque je suis venu pour la première fois, je suis tombé sous le charme de la comédienne Sonia qui interprétait un rôle dans la pièce Djouha et le voleur. J'étais fasciné par son charisme sur scène et ses idées avant-gardistes. C'est grâce à elle que j'ai découvert Nedjma de Kateb Yacine. Cette œuvre m'a ensorcelé. Malgré le handicap de la langue, une forte amitié me liait à cet auteur exceptionnel. Avec Sonia, même si on s'est séparés au bout d'une année de mariage, une amitié sincère nous lie jusqu'à aujourd'hui et, pour preuve, elle est aujourd'hui à mes côtés, lors de mes retrouvailles avec cette terre algérienne qui s'est toujours battue pour les justes causes.
Justement, vous êtes surnommé le défenseur des causes justes, qu'avez-vous ressenti avec la tragédie de Ghaza ?
J'ai ressenti ce que ressent tout être humain, car je ne voudrais pas dire ce que ressent tout Arabe. Cette tragédie ne touche pas seulement les Arabes mais aussi toute l'humanité. J'étais profondément lacéré au plus profond de mes entrailles. Je passais mes journées face à la télévision à suivre les événements en pleurant toutes les larmes de mon corps. Personnellement, je peux voir une femme pleurer mais je ne pourrais jamais voir un homme pleurer. Je peux voir un adulte être assassiné, mais je ne pourrais jamais voir des enfants être sauvagement assassinés. Ces massacres d'enfants n'ont pas été commis par hasard, ce sont des actes réfléchis. On peut constater que lors de chaque agression commise par les Israéliens contre la Palestine, la moitié des victimes sont des enfants. Car ils veulent détruire et étouffer dans l'œuf l'avenir de la Palestine. Ensuite, ils osent parler de paix. Comment peut-on oser parler de paix à ces futures générations qui ont vu leurs compagnons de jeu mourir dans d'atroces souffrances. La seule note d'espoir et que c'était le tribut du sang à payer. Et qu'il y a des points positifs dans ce qui est arrivé.
Que voulez-vous dire par des points positifs ?
Il faut reconnaître que cette agression contre Ghaza a eu des points positifs. Mais le prix a été chèrement payé. Malgré tout, le plus important est qu'elle a remis la cause de la Palestine sur le devant de la scène internationale. On a pu assister à des manifestations dans le monde entier, pas seulement dans les pays arabes mais aussi dans les pays occidentaux et même aux Etats-unis et en Australie. Un grand pas a été franchi.
Que pensez-vous de la mobilisation des manifestants des pays arabes pour Ghaza ?
Certes, c'est la moindre des choses que l'on puisse faire. Mais et après ! Cela reste insuffisant. Le plus important est de soutenir les résistants palestiniens dans leur lutte armée. Nous, au contraire, on les place sous embargo et on ferme les frontières. Quand je dis nous je parle de l'Egypte. Elle qui était parmi les premières nations à prendre à bras-le-corps le combat pour la cause palestinienne. L'Egypte, qui avait à l'époque mobilisé deux cent mille jeunes pour soutenir la lutte armée palestinienne. Aujourd'hui, elle régresse au point où c'est elle qui assiège les Palestiniens pour que les sionistes les égorgent sans foi ni loi. Ce n'est pas possible, on est en plein absurde.
Mais officiellement l'Egypte dément avoir fermé les frontières avec Ghaza…
Les officiels égyptiens sont des menteurs. Il y a une chose à souligner : les régimes arabes sont morts. Il n'y a pas un seul régime arabe qui peut dire je suis mieux que l'autre. On ne peut pas trouver un seul pays arabe qui a réellement soutenu la Palestine ou qui a dit venons et posons les vrais problèmes. Au contraire, ils sont tous complices dans le complot contre la cause palestinienne. Maintenant, c'est aux peuples arabes de réagir, qu'est-ce qu'ils attendent ? Leurs dirigeants ont dévoilé leur véritable visage, ils interdisent la liberté d'expression, ils laissent des enfants être assiégés, ils sont les marionnettes des sionistes, laissant Israël frapper avec une violence et une force disproportionnée, comment peut-on rester insensible à cela ? Et ils disent qu'Obama arrive en sauveur. Mais Obama n'est en fait que la doublure de Bush. C'est aux peuples arabes de réagir en masse pour renverser la vapeur.
Ne croyez-vous pas que les masses populaires sont quelque part blasées ? A part les récentes marches impressionnantes pour Ghaza, elles n'ont pas vraiment le cœur au soulèvement…
Il ne faut pas dire que le peuple est blasé et n'a plus le cœur au soulèvement. Les peuples sont ligotés et subissent une répression féroce de la part des dirigeants arabes. Mais les masses populaires arabes doivent réagir contre l'oppression de leurs dirigeants. On n'obtient rien sans sacrifices. Prenons l'exemple de l'Egypte : nous sommes 80 millions d'Egyptiens, s'il y a une véritable révolte populaire et que la police et l'armée tuent un million d'entre nous et après ? On ne peut obtenir nos droits qu'au prix de sacrifices. On est restés trop longtemps en léthargie, en train de mentir à nous-mêmes en disant que ce sont des régimes nationalistes. Non ! C'est faux, ce ne sont pas des régimes nationalistes car la plupart de nos dirigeants s'accrochent à leurs sièges grâce aux soutiens des Américains et des sionistes.
Comment le peuple doit-il alors réagir ?
C'est simple. Pour moi, il y a une recette miracle, il faut qu'il révoque ses élus, tous les soi-disant représentants des peuples. Car tous les élus des pays arabes ont trahi leurs électeurs et font partie du sérail des dirigeants. Ils n'ont plus aucun lien avec la base, ils sont juste là pour donner une pseudo crédibilité à l'opposition. Cet état de fait ne doit plus perdurer. Nous incarnons un échec historique. Les dirigeants arabes sont des cadavres qui se complaisent dans leur léthargie. Mais cela ne m'empêche pas d'être optimiste pour l'avenir tant que la femme arabe nous donne encore des enfants car il y a de nouvelles générations prometteuses. Depuis soixante ans, le plus grand défenseur de la cause palestinienne, c'est la femme palestinienne car elle met au monde au minimum six enfants et leur insuffle dès le plus jeune âge l'esprit du combat pour la liberté.
Les intellectuels ont toujours été à l'avant-garde des mouvements de revendications populaires. Pensez-vous qu'ils tiennent toujours ce rôle ?
Personnellement, je connais des intellectuels dans plusieurs pays arabes qui sont prêts à donner leur vie pour défendre les revendications populaires. Le problème qui se pose, c'est qu'ils ne parlent pas la même langue du peuple. Ils s'enferment dans des considérations qui brisent les liens avec le peuple. Il faut aussi reconnaître que toute une génération d'intellectuels a été flouée. A notre époque, en Algérie, il y avait Boumediene, en Tunisie, il y avait Bourguiba, en Egypte, il y avait Djamel Abdel Nasser, des dirigeants emblématiques de mouvements nationalistes. Des personnalités sur lesquelles les intellectuels ont déchargé la responsabilité. Aujourd'hui, il est nécessaire de défendre l'avenir de nos enfants, car que va-t-on leur laisser. Je dis à mes filles, pardonnez-moi de vous laisser cet état de fait. On ne vous a pas trahi, mais on a été arnaqués. Mais je vous lègue la ferveur de défendre les convictions profondes. Aujourd'hui, il faut un changement. Il est fini le temps du preux chevalier sauveur de la nation. Le peuple doit se rendre compte que c'est lui le grand chevalier, il faut aussi qu'il y ait de véritables élus qui ne trahissent pas leurs électeurs, sans avoir peur de mourir, car nous mourrons tous un jour.
Et le rôle des médias…
Lors de la tragédie de Ghaza, les médias ont montré qu'a cœur vaillant rien n'est impossible. Prenons l'exemple des jeunes journalistes de la chaîne El Djazira, qui ont fait un travail formidable. Pourtant, ils ont eu des martyrs, ils ont été bombardés par l'armé israélienne et, même un des leurs, Samy El Hadj, a été emprisonné à Guantanamo. Malgré cela, ils ont poursuivi leur travail au cœur de Ghaza au péril de leur vie. Et grâce à leur professionnalisme, ils ont façonné l'opinion publique en faveur de Ghaza. Et pourtant, ce sont des jeunes Arabes, cela veut dire que c'est possible, et que cette expérience doit être renouvelée chez toute cette nouvelle génération dans de véritables prises de position. Cela montre aussi que l'on ne peut rien obtenir sans sacrifices. Cela démontre aussi que les médias ont un rôle crucial pour défendre les débats d'idées.
Vous avez partagé une amitié avec Che Guevara et Pablo Neruda… quels sont les plus beaux souvenirs que vous gardez d'eux ?
Je me rappelle ma première rencontre avec le Che. Il était en compagnie de Raoul Castro. Ils avaient tous les deux des cheveux longs et palabraient comme tous les jeunes de leur génération. Je m'étais dit ce n'est pas possible, ce n'est pas eux qui ont fait la révolution. Aujourd'hui, le Che est en train de renaître de ses cendres grâce notamment à la prise de position des pays d'Amérique latine. Il ont repris la balle dans leur camp et sont en train d'insuffler un véritable vent de changement. Une véritable leçon pour le reste du monde, et les pays arabes doivent en prendre de la graine. Quant à Pablo Neruda, le grand poète chilien auquel j'avais dédié mes plus beaux poèmes, il m'a offert un souvenir qui m'émeut toujours : un jour, il m'avait apporté la traduction d'un de mes poèmes en français, et l'avant-propos du recueil était signé par Louis Aragon, qui avait écrit que mes «poèmes portaient une force qui faisait tomber les murs».
Pour conclure, quels sont vos projets d'écriture ?
En ce moment, je travaille sur le troisième tome des mes Mémoires. Dans cette partie, j'aborde mes 18 années d'emprisonnement. Et pour conclure sur une note d'humour, la majorité des ministres de l'Intérieur qui m'avaient jaugé, bien calfeutrés dans leur fauteuil de cuir lors de mes arrestations, se sont tous retrouvés emprisonnés à mes côtés.


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