« La vérité ne peut être versée d'un esprit dans l'autre ; pour celui qui ne l'a pas conquise en partant des apparences, elle n'est rien. » La réforme de l'enseignement dans notre pays fait appel à cette pédagogie qui s'est développée dans de nombreux pays : Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Espagne... en prenant des formes très diverses mais toutes centrées sur la recherche d'un enseignement plus individualisé permettant à l'élève de progresser davantage à son rythme et de participer plus directement à son apprentissage. Les méthodes d'éducation nouvelle sont le résultat de recherches à la fois scientifiques et empiriques, visant à obtenir systématiquement l'adhésion volontaire de l'enfant à l'œuvre d'éducation. Il s'agit de trouver quelque chose d'autre que le mode d'enseignement expositif qui a pour conséquence un élève idéal purement réceptif, sinon passif. Il s'agit comme l'empiriste qui réussit de « faire travailler l'enfant », étant bien entendu que la contrainte nous semble le pire des moyens pour cela. La mise en œuvre de « l'approche par compétence » entraîne l'aménagement de l'espace scolaire, un nouveau mode d'organisation scolaire, la formation appropriée de nos maîtres et la participation des parents aux recherches effectuées par leur enfant. L'agencement intérieur des locaux scolaires est nécessaire pour recevoir un service de documentation et d'information où un fichier matières et un fonds documentaire doivent être enrichis, à savoir disposer d'une bibliothèque, de documents sonores, iconographiques, internet, CD, DVD et faire acquérir à l'enfant le sens de la responsabilité. On constate de plus en plus dans le comportement des élèves le refus d'une attitude purement passive et il appartient à l'école d'offrir à chacun la possibilité d'acquérir le sens de la responsabilité dans le cadre de l'apprentissage d'aptitudes et de connaissances. Le travail indépendant apporte une réponse à ces exigences, il permet à l'élève de se sentir concerné dans la définition de l'activité qui lui est proposée dans l'exécution au moment de l'évaluation. Il se rattache d'abord à une attitude pédagogique bien connue, l'instruction individuelle peut se définir par sa finalité : l'enfant découvre et élabore seul son propre savoir au sein d'une collectivité d'élèves. Les principes de base de cette méthode sont : le recours aux méthodes actives qui doivent apprendre aux élèves la recherche personnelle et l'activité méthodique et réfléchie. Vers 1920, aux Etats-Unis, le plan Dalton supprime à peu près entièrement tout enseignement collectif au niveau du premier et du second degrés, chaque élève organisant librement ses études et son temps. D'autres méthodes d'enseignement individualisé méritent également d'être citées : celle préconisée par Clarapède, fondateur à Genève de l'Institut J.1. Rousseau pour le second cycle et, en France, pour l'enseignement élémentaire l'école Freinet. « L'approche par compétence repose sur l'intérêt que l'élève ou le groupe d'élèves portent au sujet qui leur a été confié et à la qualité de l'exécution dont témoigne le compte rendu du travail. Ainsi se dessine une stratégie permettant d'obtenir l'adhésion au programme d'études de l'année en cours. » La mise en œuvre d'une nouvelle pédagogie, dont le travail indépendant constitue l'un des aspects, entraîne un nouveau mode d'organisation scolaire. Il est indispensable de doter les établissements d'un service de documentation et d'information dans le but de les ouvrir sur l'extérieur et de les intégrer dans leur environnement. Sa fréquentation par les élèves est à provoquer et encourager. L'importance de ce service permet le libre accès aux rayons, aux fichiers, aux dossiers. Les élèves se sentent plus à l'aise dans un libre service. Mais cela suppose un effort de classement et de présentation et une initiation des élèves à la pratique documentaire, autant de tâches nouvelles ou accrues pour le personnel de documentation. L'outil doit être adapté. Un fichier-matières est indispensable. Le fonds documentaire doit être enrichi car les élèves y recourent volontiers. Il faut également, tout au moins au début, guider les élèves. Le travail individuel a fait apparaître la nécessité d'un dialogue avec les enseignants. Tout doit être mis en œuvre pour aboutir à une étroite collaboration entre documentalistes et enseignants et dépasseer le niveau d'une simple coordination. En effet, la pédagogie de la recherche est si intimement imbriquée avec celle de la documentation, dans le travail indépendant que tout cloisonnement est exclu, tous se sentent responsables de la même chose, les uns prenant en charge l'aspect plus particulièrement pédagogique, et les autres, l'aspect technique, mais ces deux tournures ne s'excluant pas mutuellement. Les principes de base de cette méthode Dans la pédagogie nouvelle, l'éducation a pour fondement l'activité propre de l'enfant et sa personnalité libre ; elle est l'effort joyeux et fécond. On peut trouver des origines variées au travail personnel, mais nous insistons plus particulièrement sur trois types de comportements pédagogiques qui ont permis de mieux cerner ses possibilités. « L'approche par compétence » se rattache d'abord à une attitude pédagogique bien connue, l'activité individuelle peut se définir par sa finalité : l'enfant découvre et élabore seul son propre savoir au sein d'une collectivité d'élèves. C'est ce souci de respecter avant tout l'enfant, ses aptitudes, ses besoins, sa liberté qui est le fondement essentiel de cette méthode. Faites en sorte qu'il ne subisse pas l'instruction, mais qu'il y prenne une part active. C'est au sein des choses et de la vie, et par les choses et la vie que les enfants s'instruisent : c'est-à-dire par l'observation et la recherche. Ils n'étudient pas, ils découvrent. Ils sont le centre même de toute la vie scolaire, et le maître n'est plus qu'un discret et modeste compagnon qui offre et prépare le milieu et oriente les recherches. Toute une pédagogie nouvelle s'élabore et a le souci d'ajuster les études à la personnalité de l'enfant, à sa nature même, à son besoin d'activité libre. C'est aussi la liberté de créer des récits des poèmes, des chansons... de comprendre, d'observer la nature, des objets, des productions, des documents Mais le travail volontaire peut être un travail librement choisi, sans le concours du maître. Il est véritablement une création de l'enfant qui a mis en jeu, pour le réaliser, toutes les forces de sa personnalité, de son intelligence, de sa sensibilité, de sa volonté. Le travail libre n'est nullement, comme on le croit parfois, réservé aux intelligences supérieures. On le rencontre même chez les retardés mentaux. Et le travail fourni librement par un enfant peu doué est peut-être celui qui est chargé de la signification éducative la plus nette. Comment l'enfant s'orientera-t-il vers le travail libre ? A quelques exceptions près, il n'y viendra pas seul. Mais il suffit de peu de choses pour l'y amener ; une simple suggestion faite à l'occasion, invitant « ceux qui le voudront » à faire tel travail. La phrase intermédiaire, très vite dépassée d'ailleurs, est le travail facultatif. Rapidement, les élèves en viendront à prendre eux-mêmes des initiatives, à écrire des histoires, à fabriquer des objets, à rechercher des matériaux dignes d'observation. Toutes ces productions, individuelles ou collectives, constitueront autant d'éléments nouveaux apportés au travail commun et le mouvement amorcé par quelques élèves se transmettra bientôt à la quasi-totalité de la classe. Ainsi sera parachevée l'unification de l'enseignement, grâce à l'extérieur et à l'approfondissement volontaire des notions acquises au cours des leçons magistrales. Cela exige du maître une attitude toute de discrétion et de nuance : « Ne pas s'abstenir, ne pas s'imposer, il faut qu'il y ait égalité morale entre le maître et les élèves. » Le maître est bien sûr le créateur, l'animateur, le gestionnaire, le contrôleur. Mais il est tout cela en étant lui-même un coopérateur en se dépouillant de toutes ses prérogatives (issues de l'image traditionnelle du maître) pour devenir l'aîné, celui qui canalise les enthousiasmes sans les éteindre, qui maintient ses élèves sur la voie des choses possibles. « Penser, c'est coopérer » A partir d'un certain âge, l'enfant a besoin également de travailler en collaboration avec ses camarades, de coopérer, d'étudier, d'élaborer par groupes. Le groupe devient donc le milieu naturel dans lequel s'épanouit, sous toutes ses formes, la liberté de l'enfant, liberté indispensable au développement de sa vie mentale. La plupart des matières d'enseignement se prêtent à l'usage du travail par équipes. Qu'il s'agisse d'étudier une question d'histoire, de géographie, de sciences, de grammaire ou de littérature, de langues étrangères, les membres de l'équipe se partagent la tâche à effectuer, recherchent des documents, les groupent, les classent, les analysent, réfléchissent, notent leurs observations puis élaborent un travail de synthèse et rédigent en collaboration rapports ou monographies. Le travail en équipe apparaît comme la plus tardive de toutes les novations pédagogiques. Et pourtant, il s'agit d'une méthode irremplaçable de travail et d'éducation. « On ne travaille que pour autrui », a écrit Freinet et des psychologues aussi éloignés les uns des autres qu'Adler, Wallon et Freinet ont pu affirmer sous des formes diverses, que penser, c'est d'abord coopérer. Le travail par groupes répond à cette nécessité, il permet la répartition des élèves en équipes, chaque équipe étudiant un sujet librement choisi ou suggéré par le maître. Cette technique a suscité diverses expériences, on peut citer entre autres la pédagogie de Sanderson, celle de Peterson, professeur à l'université d'Iéna qui imagine une véritable communauté scolaire fondée sur le groupe, chaque groupe ayant son autonomie et des équipes de travail se formant librement en son sein. En France, on doit mentionner le travail en équipe de l'école Freinet qui naît de l'exploitation du texte libre par l'imprimerie, le journal scolaire, la correspondance interscolaire, l'enquête, la monographie locale. Le troisième type de comportement pédagogique résulte de l'adaptation à la nature de l'information dispensée à l'élève. Le document sous toutes ses formes s'impose de plus en plus et nous rejoignons par là l'idée du « collège bibliothèque ». Aux Etats-Unis, on a coutume d'attribuer à Louis Shores la paternité en 1933 du « Library collège ». Essentiellement le collège bibliothèque se caractérise par un enseignement individualisé et programmé et surtout par l'élargissement de la notion de « libre » en tant que source de documentation. Cela implique une méthode d'acquisition du savoir à multiples facettes, multi- sensorielles, grâce à l'usage de rubans magnétiques, de textes, de manuels, de films, d'expériences de laboratoires (multi-média). Chaque individu répond en effet différemment aux nombreuses variétés de moyens de communication ; certains étudiants apprendront mieux en lisant, d'autres en faisant des expériences. Une autre méthode très en vogue aux Etats-Unis est « L 'audiotutorial approach to learning » du docteur Post1elthwait qui a influencé les Canadiens-Français. Ceux-ci ont conçu un établissement expérimental, le CEGEP Montmorency dont l'objectif est d'individualiser l'enseignement par l'utilisation de tous les modes de transmission possibles de l'information à partir d'un centre de média. Le travail indépendant s'est développé en intégrant plus ou moins ces trois attitudes pédagogiques : individualisation, travail de groupes, large utilisation du document. « Trois modèles de l'acte éducatif » Dans un ouvrage récent (La pratique du travail en groupe) Gilles Ferry distingue trois modèles de l'acte éducatif qui s'affrontent et s'interfèrent les uns avec les autres : le modèle charismatique, le modèle d'ajustage et le modèle d'affranchissement. Le modèle charismatique définit la fonction magistrale comme une sorte de sacerdoce. L'action éducative du maître se fonde sur les valeurs éthiques et culturelles qu'il incarne de manière exemplaire, l'élève est soumis à son « ascendant ». Dans le modèle d'ajustage, le maître éducateur est celui qui se préoccupe essentiellement d'ajuster son intervention aux besoins et aux possibilités de l'élève. La capacité d'éduquer n'est plus un charisme, elle est une technicité qui trouve sa source dans la psychologie de l'enfant, l'étude des processus d'apprentissage, la sociologie de l'éducation. . Le modèle d'affranchissement met l'accent sur la dynamique de la situation éducative, sur la relation qui se développe entre l'éducateur et l'éduqué. Il est incontestable que ces trois modèles se trouvent à la racine de méthodes pédagogiques différentes et apparemment opposées. Le modèle charismatique justifie l'attitude magistrale, pas forcément dans un sens dogmatique et caricatural, mais en privilégiant l'exemplarité de la démarche pédagogique. Le modèle d'ajustage se trouve à l'origine des essais d'invidualisation et de coordination qui avaient guidé l'expérience des classes nouvelles et se retrouve en intention dans les exigences des cycles d'observation et d'orientation du premier cycle du second degré. Le modèle d'affranchissement enfin suggère la pédagogie de groupe et une liberté d'initiative accordée à l'élève. Le travail indépendant associe largement l'individualisation et le travail de groupe des élèves ; il se développe en tant que tel mais il peut parfaitement cohabiter avec une activité de type magistral. Le cours magistral peut en effet apparaître comme un des éléments de l'information initiale et le professeur se trouve souvent amené à prendre en charge la présentation des données plus ou moins éparses rassemblées par les différentes équipes d'élèves. L'accent est bien mis sur la capacité d'intégration des diverses attitudes pédagogiques que recèle le travail indépendant et qui résulte d'une définition aussi peu dogmatique que possible de ses modalités d'organisation. La liberté qu'on offre à l'enfant ne peut être qu'une liberté dirigée et contenue. On a beau vouloir en faciliter l'éclosion, on n'évitera pas des règlements, des consignes, des sanctions. Qu'on utilise des fiches plutôt que des manuels, que des manipulations et des observations remplacent l'enseignement dogmatique, que la rédaction autonome se substitue à l'étude méthodique de la phrase et du paragraphe, il faudra, bon gré, mal gré, que les enfants s'inclinent devant l'évidence, acceptent des ordres, obéissent à des lois ... Pour conclure, une classe n'est pas « nouvelle » parce qu'on y fait du travail en équipe ou du travail individuel, parce que les enfants ont à leur disposition des fiches de recherche ou des fiches de contrôle. Tout cela est utile certes, mais peut devenir stérile. « Pour la vie, par la vie » doit demeurer le maître-principe de la nouvelle... méthode. C'est une manière constante et pendant toute la scolarité que la liaison doitêtre établie et maintenue entre l'école et la vie. L'adaptation au réel sainement comprise réside dans la conjonction de l'intelligence, de la sensibilité et de l'activité. Une classe est « nouvelle » si les élèves y vivent non dans le monde artificiel qu'est trop souvent notre milieu scolaire, mais dans la vie même, si les parents collaborent, si le dévouement et l'influence de l'éducateur sont à la hauteur de nos espérances, si l'esprit de nos potaches s'ouvre sur des réalités chaque jour plus vastes et plus riches, s'ils y apprennent à « piloter deçà, delà » et à faire leur « miel qui est tout leur » comme le voulait Montaigne précurseur de l'éducation nouvelle.