ll y en a beaucoup qui ont dû se réjouir que le décès de Harold Pinter ait eu lieu le 24 décembre dernier, nouvelle perdue ce soir-là dans le flot des dépêches sur la célébration de Noël. Deux jours après, débutait l'offensive contre Ghaza. Simple coïncidence. Mais il est sûr que la mort du grand dramaturge et poète britannique, prix Nobel de Littérature 2005, a dû plaire aux stratèges israéliens qui se sont vus débarrassés d'un rebelle d'élite à l'aura immense dans le monde entier. Ce brillant homme de théâtre était de toutes les batailles : contre les armes nucléaires, contre l'apartheid en Afrique du Sud, contre le blocus de Cuba, contre l'invasion de l'Irak, contre la guerre en Afghanistan… Jamais il ne s'était tu, poursuivant l'élan de ses convictions avec une constance aussi admirable que celle de son œuvre. Sur Israël, il avait affirmé : « L'objectif politique n'est rien moins que la liquidation de la nation palestinienne. C'est un devoir, à notre avis, que de lui résister et de la dénoncer sans cesse et toujours pour ce qu'elle est. » En 2006, il avait cosigné avec son compatriote John Berger, écrivain et peintre, Noam Chomsky, l'éminent linguiste américain, et José Saramango, l'écrivain portugais, également prix Nobel de littérature, un article qui avait fait grand bruit et s'intitulait « C'est Israël le vrai responsable ». Au moment où ces mots gardent toute leur vérité et se renforcent même au regard de l'actualité, Arts & Lettres a tenu à lui rendre hommage en publiant de larges extraits du discours qu'il avait prononcé à Stockholm en recevant son prix Nobel. Il y est question de son théâtre, mais aussi du théâtre du monde sur lequel il portait un regard incisif, se moquant de plaire ou de ne pas plaire, attaché seulement à sa libre conscience. La haine que lui vouait l'Etat d'Israël était d'autant plus grande qu'Harold Pinter était juif. A ce titre, on l'accusait d'être « atteint de la haine de soi », étrange maladie sans doute répertoriée dans l'inventaire sioniste des pathologies. Né en 1930 dans un faubourg de Londres, au sein d'une famille d'origine russe et de confession hébraïque, il avait enduré, dans son enfance et sa jeunesse, en plus des bombardements allemands, les affres de l'antisémitisme. Il affirma à plusieurs reprises que les humiliations subies en tant que juif avaient déterminé sa vocation future pour l'écriture théâtrale comme ses engagements. Et c'est sans doute cela qui explique la virulence de l'opprobre à son encontre. Car, selon l'idéologie de l'Etat d'Israël, nul ne peut compatir au génocide nazi des juifs en étant également solidaire du peuple palestinien, à plus forte raison s'il est juif. Avec d'autres, Harold Pinter a montré que l'on pouvait être contre la Shoah et pour l'Intifadha. Et même qu'on ne peut être fidèle à la mémoire de la première sans adhérer à la deuxième. Rideau.