Le différend gazier opposant la Russie à l'Ukraine se radicalise. Le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, a ordonné hier à la compagnie Gazprom d'arrêter toutes les livraisons de gaz naturel transitant par le territoire ukrainien. A en croire les Russes, cette décision est de nature à empêcher le « vol » de gaz russe par Kiev. Gazprom avait, rappelons-le, accusé Kiev de « voler 35 millions de mètres cubes de gaz par jour ». Hier, le Premier ministre russe ne s'est en tout cas aucunement gêné pour couper le gaz. Au cours d'une entrevue regroupant M. Poutine et le patron de Gazprom, Alexeï Miller, ce dernier a suggéré « d'arrêter les livraisons de gaz à la frontière russo-ukrainienne dans la mesure où l'Ukraine vole du gaz russe ». Sans tarder, le prédécesseur de Dmitri Medvedev au Kremlin a répliqué : « Je suis d'accord avec votre proposition, mais cela doit être fait publiquement, en présence des observateurs internationaux. » L'ordre a été appliqué à la lettre. Le premier responsable de la compagnie russe Gazprom a fait savoir hier que « l'Ukraine a fermé tous les couloirs de transport vers l'Europe ». L'escalade a pris donc une couleur grisâtre et les pays européens craignent encore le pire, face à des Russes qui ne sont pas près de lâcher prise. Le Premier ministre tchèque Mirek Topolanek, dont le pays préside l'UE, a tenté tant bien que mal hier de rassurer les Européens, en affirmant que les livraisons de gaz russe à l'Europe reprendront une fois que des observateurs européens auront été déployés à la frontière pour vérifier le transit. A priori, l'Ukraine s'est montrée favorable à cette idée et a annoncé avoir trouvé un accord avec l'Union européenne sur l'envoi « d'urgence d'experts techniques de l'UE ». Les pays du vieux continent, qui se sont tenus jusqu'ici loin de ce qu'ils qualifient de « différend commercial », n'ont pas lésiné hier sur les mots pour dénoncer cette escalade. La coupure totale des livraisons de gaz russe via l'Ukraine n'a laissé aucune marge d'indifférence chez les Européens. Ceux-ci ont menacé pour la première fois depuis le début du conflit de réagir « plus fermement » jeudi faute d'un compromis entre les deux parties antagonistes. C'est la première fois que l'Europe se déclare prête à s'impliquer dans un conflit qu'elle considérait encore d'ordre purement commercial. L'Union européenne a demandé hier que « soit réglé en toute urgence le litige commercial sur les livraisons de gaz à l'Ukraine en provenance de la Fédération de Russie ». Dans un communiqué diffusé par la présidence tchèque de l'UE, il est mentionné que cette organisation demande « une reprise immédiate de l'intégralité des livraisons de gaz aux Etats membres ». De son côté, l'Agence internationale de l'énergie (AIE), une organisation qui défend les intérêts des pays les plus industrialisés, a considéré l'interruption des livraisons de gaz vers l'Europe de « totalement inacceptable » « (...) sachant que les clients européens ne font pas partie du différend, qu'ils ont des contrats à long terme assortis de prix justes et qu'ils ont payé en temps et en heure » leur gaz, lit-on dans un communiqué de l'AIE. Cette même agence a appelé « Gazprom et Naftogaz à reprendre les livraisons de gaz à l'Europe immédiatement et à trouver un accord rapide et durable pour solder leur différend ». Mais la surprise vient surtout de l'Administration américaine sortante du président George W. Bush. La Maison-Blanche a mis en garde Moscou contre « une manipulation de la ressource énergétique ». Le ton était loin d'être conciliant. « Une Russie qui continue à menacer ses voisins et à manipuler leur accès à l'énergie compromettra toute aspiration de sa part à davantage d'influence dans le monde », lit-on dans un discours diffusé par la Maison-Blanche, signé Stephen Hadley, conseiller de George W. Bush à la Sécurité nationale. Pour ainsi dire, la crise vient de franchir un seuil à haut risque, faut d'un accord capable d'apaiser les tensions.