Le blogueur Merzoug Touati a été condamné, jeudi, par le tribunal criminel de Béjaïa, à sept ans de prison ferme, réduisant de trois ans sa peine initiale. Cette fois-ci, les magistrats et les jurés ont trouvé à l'accusé des circonstances atténuantes dans les chefs d'inculpation qu'ils ont maintenu avec leur gravité, dont celui qui insiste sur l'«entretien, avec des agents d'un pays étranger, d'intelligence de nature à nuire à l'Algérie». Le verdict reste lourd aux yeux des juristes et défenseurs des droits humains, mais ce n'est pas tant cette condamnation qui est le fait saillant de ce procès éminemment politique mais plutôt les conditions exceptionnelles qui ont entouré son déroulement. A commencer par le dispositif policier disproportionné. Tôt dans la matinée, les alentours du tribunal sont infestés de policiers, en tenue et en civil. Des talkies grésillent. La rue est interdite, dans toute sa longueur, à tout rassemblement. «Ce sont les instructions», explique un officier de police à un responsable de la Laddh. Le rassemblement que s'apprêtait à tenir le comité pour la libération de Merzoug Touati a mobilisé les services de sécurité, policiers et gendarmes. BRI y compris. A 8h, les premiers arrivés pour le sit-in, des parents et des avocats du détenu et des journalistes, sont priés de s'éloigner du portail du palais de justice. A l'intérieur du tribunal, l'atmosphère n'est pas différente : interdiction formelle de traîner dans le hall de la salle d'audience. Deux jours plus tôt, tous les sièges sur lesquels les justiciables ont pris l'habitude, depuis des années, de se reposer ou de patienter ont été déboulonnés. Ils gisent dans un coin. «Des gens oisifs viennent s'y installer», nous répond un gardien, qui invite tout le monde à prendre place dans la salle d'audience. La mesure est exceptionnelle. Dans la cour du palais de justice le mouvement des personnes est également limité. Parmi les présents, une délégation d'une demi-quinzaine de magistrats français, qui arrive escortée sur les lieux, observe le mouvement. Elle n'est pas là pour Merzoug Touati, mais pour instruire, dans le cadre d'une commission rogatoire, le dossier de Farid Ikken, dans l'affaire de l'attaque au marteau de Notre-Dame de Paris. Au moment où la salle d'audience se remplit, dehors, dans la rue, arrivent les premiers manifestants pacifiques. Sous les arcades, la foule se constitue, les premières banderoles sont déployées, des pancartes sont dépliées, dont celles qui portent des caricatures grossissant les traits d'une affaire qui a mobilisé des hommes et des femmes venus même du dehors de la wilaya (Tizi Ouzou, Boumerdès, Bouira, Sétif). La scène est caricaturale par le face-à-face que convoque le procès d'un blogueur chômeur. Les policiers sont sur le pied de guerre, prêts à charger au premier ordre de «nettoyer» la rue, avant même que le procès ne débute. On se regarde en chiens de faïence. La tension est plus que perceptible. Il faudra remonter à la manifestation d'une partie de la population de Barbacha en 2013, dans le sillage des municipales d'octobre 2012 et du blocage de l'APC, pour trouver une atmosphère aussi tendue devant le tribunal. La BRI entre en scène Cette fois-ci, la brigade de recherche et d'intervention a été appelée en renfort. Bras armé de la police judiciaire, la BRI est entrée en scène aux côtés des forces antiémeute au moment où une partie de la foule a avancé pour occuper la rue. Coups de matraque, arrestations de militants. Une quarantaine de manifestants, dont des femmes, ont été embarqués. Des élus APW du RCD et le maire de Chemini sont pris dans la rafle. Sur la chaussée gît une pancarte orpheline qui crie sourdement «Non à l'injustice». En quelques minutes la police a réprimé la manifestation pacifique. Quelques instants plus tard, comme une régénération, des groupes de personnes se sont reconstitués dans les recoins des rues, sans les banderoles. Des militants d'horizons divers sont là : Djamel Zenati, Arezki Aït Larbi, Aït Chebib (URK), Kamira Nait Sid (Congrès mondial amazigh)... Dans la salle d'audience, le procès est à peine à la lecture de l'arrêt de renvoi, long de six pages, et à la seule charge de l'accusé. Devant le prétoire, six avocats de la défense cette fois-ci. Le collectif s'est élargi avec l'arrivée de Mes Aït Larbi, Benyoub, Mellah et Saheb, qui se sont joints à Mes Dabouz et Hemaïli. Le grand absent du procès demeure le juif de Tlemcen, Ariel Taboune, ami virtuel de l'accusé, que la justice a refusé de convoquer. «Quel intérêt à le ramener ?» a demandé le juge, dont les accès de bonne humeur ont fortement contrasté avec les excès de matraque du dehors. L'énigme Ariel Taboune demeure totale. «Je savais que j'allais être arrêté parce que tous les blogueurs sont ciblés», répond Touati Merzoug, accusé d'avoir interviewé sur son blog (hogra) un diplomate israélien. «El Watan, qui est un journal très respectable, a interviewé Shimon Peres», se défend l'accusé, qui devait aussi répondre, même s'il n'est pas détenteur d'un passeport, sur son intention de visiter Israël : «Khalida Toumi a été en Israël pendant 45 jours, elle l'a écrit dans son livre (Une Algérienne debout, entretien avec Elisabeth Schemla, ndlr). Et elle est devenue ministre.» «Des journalistes algériens ont été autorisés à aller en Israël», rappelle, dans sa plaidoirie, Me Mokrane Aït Larbi, qui considère que «le seul tort de Merzoug Touati est de s'opposer au pouvoir algérien. Il est emprisonné pour ses opinions et ses écrits». «Depuis quand a-t-on besoin d'une autorisation pour écrire ? A moins qu'on soit encore sous le parti unique», questionne l'avocat, qui s'interroge aussi comment est-ce qu'on accuse le blogueur d'incitation à la désobéissance civile pour avoir appelé à manifester contre la loi de finances 2017 et qu'en 1991 face à la désobéissance civile du FIS «personne n'a bougé le petit doigt». La même chose est dite à propos du dernier appel lancé impunément sur les réseaux sociaux pour agresser les femmes «mal vêtues». «Même nous, nous étions contre cette loi de finances», ajoute Me Dabouz. «Que ça vienne du président de la République on l'accepte, mais de la part d'un citoyen non !» s'exclame-t-il en faisant allusion à la récente annulation par Bouteflika des taxes instaurées par le gouvernement pour les documents administratifs dans la LF complémentaire 2018. Me Hemaïli rappelle au tribunal qu'un ex-député FLN de Tlemcen vient d'être condamné à 5 ans de prison pour «conspiration avec un Etat étranger», à savoir l'Espagne. «Mais Merzoug Touati, condamné à 10 ans, n'appartient pas aux partis au pouvoir, il est un opposant. C'est pourtant la Constitution qui lui donne le droit d'exprimer son opinion», dit Me Hemaïli, exhibant le livre sur le Mossad, dont on a saisi un exemplaire chez l'accusé, pour dire qu'il «se vend dans toutes les libraires». Ce livre de Ronen Bergman est, pour la précision, un réquisitoire contre les crimes des services israéliens. L'avocat brandit aussi une photo de la fameuse rencontre entre Bouteflika et le Premier ministre israélien, Ehud Barack, aux obsèques du roi marocain Hassan II. Génération Aït Ahmed Le réquisitoire du procureur, qui a réitéré sa demande pour l'application de la perpétuité, a rappelé à Me Saheb un lointain procès, en 1985, où des militants des droits humains, dont Mokrane Aït Larbi, ont comparu devant la Cour de sûreté de l'Etat à Médéa pour avoir créé la première Ligue algérienne des droits de l'homme. «Le ministère public, qui avait lu le réquisitoire, avait précisé qu'il n'était pas le sien et qu'il n'était donc pas issu de ses convictions», raconte Me Saheb qui évoque, à la même occasion, le titre d'un article publié plus tard, à la suite du décès du même procureur : «La mort d'un procureur ou l'agonie d'un système». L'article était de Saïd Sadi. «Le combat de la génération de Mokrane Aït Larbi n'a finalement pas totalement fleuri», constate, avec regret, Me Mellah. «Avant lui, il y a eu le combat de la génération de Hocine Aït Ahmed qui disait que nous avons libéré la terre mais pas encore les hommes», ajoute Me Mellah, qui invite à un choix : «On ne peut pas sauver la République et le régime, il faut choisir.» Il faut aussi choisir entre «la carrière et la conscience». «Si ce qu'a écrit Merzoug Touati touche aux intérêts diplomatiques du pays, c'est que nous n'avons ni services diplomatiques, ni Etat. Si le Mossad a besoin de Merzouk Touati, un chômeur qui a une page Facebook, pour l'informer de ce qui se passe, alors je dis aux Palestiniens que dès demain vous aurez votre indépendance, puisqu'Israël n'a rien», ajoute, ironique, Me Aït Larbi, qui fait remarquer qu'«à chaque fois qu'un Algérien bouge, on brandit la menace de la main étrangère». Que l'on considère les écrits du blogueur comme une menace sur la stabilité du pays est, pour Me Saheb, «une insulte au peuple algérien, à un million et demi de martyrs». «S'opposer au pouvoir est un droit reconnu par la loi, c'est un acte civilisé. Par son courage et sa sincérité, Merzoug Touati est un bon citoyen», plaide Me Benyoub, qui ne pouvait pas ne pas inaugurer sa plaidoirie par regretter la répression du rassemblement pacifique et «l'empêchement des citoyens d'assister au procès». Il a fallu à Me Aït Larbi de demander et d'obtenir la suspension de l'audience pour réclamer qu'on permette aux personnes qui étaient dehors d'assister au procès public. Le dispositif sécuritaire a été tel qu'à la mise sous délibéré du procès, tout le tribunal a été vidé de son monde. Encore une mesure exceptionnelle. Aucune présence n'est tolérée dans la cour, encore moins dans le hall. On a refermé le portail derrière la foule. Une heure plus tard, le verdict est tombé, tranchant, alors que l'on n'a pas fini de laisser passer au compte-gouttes les citoyens devant le poste de police. La foule a quitté la salle d'audience dans un silence lourd, sous le choc du verdict et de la désillusion. «C'est sept ans», murmurent à peine des voix éteintes. La mère de Touati Merzoug quitte le tribunal, effondrée, sans l'espoir d'un heureux dénouement qui avait accompagné tout le monde depuis des jours. Les animateurs du comité pour la libération de Merzoug Touati se donnent déjà rendez-vous autour de la table de la Ligue des droits de l'homme. Une cassation du verdict est envisagée. En attendant, les sièges déboulonnés du hall du tribunal peuvent reprendre leur place.