Kamel Chikhi, l'importateur de viande et promoteur immobilier, qui est tombé dans les filets de la justice suite à son inculpation dans une grave affaire de trafic de cocaïne, a rendu sans le vouloir un énorme service aux enquêteurs et aux magistrats qui se sont saisis de son dossier en les gratifiant d'un précieux cadeau : les vidéos et les enregistrements de ses nombreux visiteurs qui défilaient dans son bureau pour les arroser de privilèges contre de «loyaux et bons services». Des responsables de l'urbanisme et de la Conservation foncière, des élus locaux de plusieurs communes résidentielles de la capitale, où le magnat de l'immobilier détient des projets immobiliers (une vingtaine) apparaissent sur les supports audiovisuels, facilitant ainsi la tâche aux enquêteurs et aux juges pour confondre et inculper les fonctionnaires indélicats qui ont cédé à la tentation de savourer la viande fraîche de Kamel «le Boucher». Le principal inculpé qui avait pensé utiliser ce procédé illégal autant qu'immoral pour faire chanter ses acolytes en cas de besoin, était loin d'imaginer qu'en jouant avec le feu, il risquait de se brûler les ailes. Et c'est ce qui advient. Dans l'instruction et le procès de la collusion active entre le promoteur immobilier et l'administration de l'urbanisme et de la Conservation foncière – mais pas seulement, puisqu'on nous promet d'autres révélations – les enregistrements vidéo et audio qui se trouvent entre les mains des enquêteurs constituent des preuves à charge accablantes pour les personnes inculpées. Il sera difficile aux personnes mises en cause de nier l'évidence, même si la présomption d'innocence garantie par la loi doit prévaloir jusqu'au prononcé du verdict. Dans ce genre d'affaire, la défense – et elle est dans son rôle – va certainement exiger dans ses plaidoiries une expertise des images et enregistrements de leurs clients en doutant de leur authenticité, voire que la «boîte noire», un matériau capital pour la conduite de l'enquête, soit mise à la disposition des avocats pour savoir si des personnes influentes haut placées dans les sphères du pouvoir ne figurent pas sur les enregistrements et n'ont pas été scrupuleusement protégées et couvertes. Dans l'affaire Khalifa, un ministre ne s'est-il pas personnellement déplacé dans le bureau de l'ex-golden boy pour se voir remettre une master card bien garnie ? Il faudra donc s'attendre à ce que cette affaire de vidéos soit au centre d'une vive bataille de procédure judiciaire entre la défense et le parquet. Lors des différents procès des scandales qui ont défrayé la chronique judiciaire de ces dernières années – affaires Khalifa, Sonatrach, autoroute Est-Ouest –, les avocats n'ont pas manqué d'axer leurs plaidoiries sur l'exigence d'appeler à la barre les personnalités – ministres et autres – citées dans ces dossiers. C'est dire combien est grande l'attente de l'opinion qui jugera sur pièce l'engagement du ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Louh, qui a annoncé avec solennité qu'il n' y aurait pas d'impunité et d'intouchables. Même s'il ne s'agit pas d'une opération mains propres comme on l'a vu sous d'autres cieux, qui suppose que c'est l'action publique – ce qui n'est pas le cas – qui est le déclencheur de ce déballage qui tourne au psychodrame politique avec le limogeage de l'ex- patron de la police, le général-major Hamel, la célérité avec laquelle l'enquête est conduite et les premières inculpations prononcées, bien que circonscrites à des responsables subalternes, ont suscité un certain espoir au sein de l'opinion quant au renouveau du secteur de la Justice qui fonde l'Etat de droit. Mais il est évident que les véritables réformes profondes promises mais continuellement différées qui attendent ce secteur ne produiront leur plein effet que le jour où il n'y aura plus de justice à deux vitesses, où la loi s'appliquera sans discrimination à tous les justiciables, quels que soient leur rang social, leurs fonctions, du simple citoyen au président de la République.