Après l'envoi de commissions rogatoires en Espagne et au Brésil, des experts sont en train de travailler sur la localisation des laboratoires où la cocaïne aurait été produite, avec l'aide d'instances internationales spécialisées. En attendant les résultats, qui peuvent prendre beaucoup de temps, le juge s'intéresse de très près à la liste de toutes les transactions immobilières et foncières effectuées par Kamel Chikhi, mais aussi aux bénéficiaires de ses «largesses», parmi lesquels de nombreux fonctionnaires de l'Etat, leurs enfants ou proches. Certains risquent de devoir s'expliquer devant le magistrat, comme l'ont fait les douze cadres de l'administration foncière et de l'urbanisme, placés sous mandat de dépôt, il y a quelques jours, pour «perception d'indus avantages», «abus de fonction» et «corruption» et dont les demandes de mise en liberté ont été toutes rejetées, mercredi dernier, par la chambre d'accusation près la cour d'Alger. Il s'agit des chefs des services de l'urbanisme de Kouba, Aïn Benian, Draria, Chéraga et Hydra ; des conservateurs fonciers de Hussein Dey et Bouzaréah, de deux contrôleurs de la conservation foncière de Hussein Dey, d'un fonctionnaire de la conservation foncière de Bouzaréah ainsi que d'un architecte de la direction de l'urbanisme d'Alger. Le piège des enregistrements vidéo Les mis en cause sont compromis par les enregistrements vidéo des caméras de surveillance que Kamel Chikhi a installé dans ses bureaux et même dans l'arrière-bureau où se trouvent ses coffres-forts. Il faut dire que de nombreuses personnalités, des patrons d'importantes institutions, mais aussi de hauts responsables de l'Etat, ainsi que des officiers supérieurs de l'armée, de la police et de la Gendarmerie nationale ou leurs enfants semblent avoir été piégés par ce puissant promoteur immobilier. Et les noms de certains d'entre eux pèsent très lourd. C'est le cas de deux généraux-majors poussés à une retraite forcée, Boudouaour Boudjemaa, directeur des finances au ministère de la Défense nationale, qui aurait réservé à son fils un appartement dans une des promotions immobilières haut de gamme de Kamel Chikhi, ainsi que Mokdad Benziane, directeur du personnel, ami de Kamel Chikhi, apparu sur les enregistrements vidéo et présenté comme celui qui a introduit Kamel «Le boucher» dans le cercle fermé de la «muette». Quelle contrepartie ont-ils offert en échange des largesses de ce magnat de l'immobilier ? On n'en sait rien, ni même si leur proximité avec Chikhi pourrait susciter l'intérêt du juge. Tout comme d'ailleurs le désormais ex-chef de la gendarmerie, le général-major Menad Nouba, dont le fils est sur la liste des bénéficiaires de logements de haut standing de Kamel Chikhi. Trafic d'influence de père en fils En lançant cette lourde phrase : «Celui qui veut enquêter sur la corruption doit être propre», l'ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, savait à qui son message était adressé. Il avait promis de «remettre des dossiers à la justice» sur cette affaire de cocaïne pour laquelle son chauffeur personnel a été placé en détention. De par sa position et surtout sa relation avec l'ancien patron de la gendarmerie, qui était son subordonné dans un passé lointain, Hamel doit être certainement informé de tout. De ce qui se passe à Oran, où son fils et celui de Nouba se connaissent, mais surtout à Annaba, où son frère, responsable des services des Douanes, connaissait parfaitement les dessous des «affaires» de certains hommes politiques et des enfants de «grosses pointures» militaires qui ont la mainmise sur le port. Hamel savait qu'il allait se retrouver embarqué dans cette affaire Chikhi, surtout que ce dernier est un client du port sec de son fils dans l'Oranie, puisque tous les containers de viande qu'il ramène y sont entreposés en attendant les formalités douanières. Le limogeage de Hamel devenait inévitable et celui de ses hommes de confiance l'est encore plus. Installé en tant que nouveau patron de la police, Mustapha Lahbiri a déjà sur son bureau une liste de partants, dont les noms ont déjà circulé au sein de l'institution. Parmi eux, le chef de sûreté de la wilaya d'Alger, Noureddine Berrachdi, auquel une mise de fin de fonction en tant que responsable a été notifiée, alors que son collègue d'Oran, le contrôleur Salah Nouasri, a été tout simplement sommé à une retraite d'office après avoir été privé de ses prérogatives. D'autres responsables sont dans le collimateur et pourraient connaître le même sort dans les jours à venir. Il s'agit du directeur du service des Renseignements généraux, du divisionnaire de l'aéroport d'Alger, mais aussi du chef de la sûreté de wilaya de Tipasa, pour ne citer que ceux-là. Visiblement, l'affaire de Kamel «Le boucher» risque d'entraîner dans son sillage de nombreux fonctionnaires mais aussi des personnalités puissantes. Les services de sécurité s'intéressent déjà aux magnats de l'immobilier à Alger. L'un d'eux, qui connaît assez bien Kamel Chikhi pour être de la même région, a failli ruiner une banque publique en raison du non-remboursement des crédits qu'il a obtenus ; il s'en est sorti grâce à ses connaissances bien placées auxquelles il a offert des biens immobiliers de haut standing et construit gratuitement de somptueuses villas à Alger. L'enquête concerne aussi deux autres promoteurs dans l'Oranie, qui sont également dans l'importation de viande du Brésil, qu'ils achètent chez le fournisseur de Kamel Chikhi. Ils détiennent un empire financier tellement important, qu'ils ont leurs entrées dans toutes les administrations et institutions du pays, mais aussi en Espagne où ils ont leurs réseaux biens implantés à Valence, là où les autorités portuaires ont cassé les scellés du conteneur transportant la cocaïne avant de les remettre et de donner le OK pour continuer sa traversée vers l'Algérie. Il y a là des connivences assez troublantes dans cette affaire qui retiennent l'attention particulière des services de sécurité. Il est donc certain que les prochaines révélations seront fracassantes....