Et si une coalition de pays arabes attaquait militairement Israël ? Et si l'on envisageait – au nom de la « qawmiya arabiya » (nationalisme arabe), de la communauté de destin, de l'ingérence humanitaire (droits d'auteur Bernard Kouchner) façon Kosovo ou, tout simplement, de la « redjla », de la dignité, de l'humanisme – une riposte militaire contre l'Etat hébreu pour stopper sa machine de destruction massive qui s'acharne contre le peuple palestinien et les enfants de Ghaza depuis voilà presque vingt jours, multipliant les crimes de guerre dans l'impunité la plus totale ? Les opinions publiques arabes n'ont guère tort de penser que leurs dirigeants n'utilisent leur impressionnant arsenal militaire pour lequel ils déboursent des millions, voire des milliards de dollars chaque année, que pour mater leurs peuples. Il n'est pas une manifestation de rue sans que des jeunes et des moins jeunes, des révoltés de toutes conditions n'expriment le désir de partir combattre en Palestine. C'est même devenu un leitmotiv dans la bouche de l'homme de la rue arabe. Dans la foulée, les régimes respectifs sont affublés de tous les noms d'oiseaux, coupables qu'ils sont à leurs yeux de passivité poltronne et de silence complice. D'un point de vue politique et loin de l'aspect émotionnel, il faut convenir que la question de l'intervention militaire en Israël mérite au moins débat. Ce n'est évidemment pas une mince affaire et ce n'est pas de gaieté de cœur que les pacifistes arabes (et ils sont nombreux, comme ils sont nombreux en Israël), valideraient un tel scénario, eux qui se verraient mal troquer le rameau d'olivier contre un fusil. Une telle escalade belliqueuse n'est souhaitée par personne. Pourtant, devant le massacre à huis clos des Palestiniens à Ghaza et l'horreur des images insoutenables que l'ont subit tous les jours, tous les scrupules volent en éclats et une telle option devient pour le coup sinon inéluctable, à tout le moins légitime. A quand un référendum sur la Palestine ? Or, jusqu'au jour d'aujourd'hui, à aucun moment la question n'a été mise sur le tapis au niveau officiel dans aucun pays arabe. Pour autant que les infos qui filtrent des réunions secrètes des cabinets arabes permettent d'en juger, pas un seul Etat, à notre connaissance, n'a posé le problème à son état-major, encore moins à son opinion publique par voie parlementaire (quand les Parlements fonctionnent et font leur travail). Non. Aucun débat public n'a été engagé à ce propos. Aucun ministre de souveraineté n'a été interpellé à ce sujet, aucun responsable du renseignement, aucun décideur. Ne rêvons même pas d'une large consultation populaire, type référendum, sur la Palestine.Si l'on passait rapidement en revue les années 2000, on se rendrait compte que la « nation arabe » (si tant est que cette entité eût un sens) a passé toute la première décennie du XXIe siècle à cumuler les affronts sans oser lever la tête. Les attentats du 11 septembre ont servi de prétexte idéal aux Etats-Unis pour lancer une vaste offensive contre le monde arabe. Sous couvert de « guerre contre le terrorisme », les Arabes se sont retrouvés en plein dans la ligne de mire de la folie belliqueuse de George W. Bush, qui mènera une véritable campagne de domestication à leur encontre pour les faire rentrer dans un nouveau sigle au contenu douteux : GMO, le « Grand Moyen-Orient ». Petite rétrospective. Il y a eu tour à tour l'agression américaine contre l'Irak en 2003 suivie de l'arrestation de Saddam Hussein en décembre 2004 et sa froide exécution, deux ans plus tard, au terme d'un procès bâclé. Le Raïs sera exécuté par pendaison, un jour d'Aïd de surcroît, presque clandestinement, dans une cave dont ne témoigneront que des images volées par téléphone portable et sans que cela n'émeuve personne. Ensuite, il y a eu la campagne du Liban pour libérer trois soldats israéliens enlevés par le Hezbollah qui s'est soldée par le massacre de Cana et zéro gain. Et, au jour d'aujourd'hui, presque avec la même régularité barbare, nous voici assistant avec la même impuissance lâche à la boucherie de Ghaza. Maintenant, à qui le tour ? Où sera le prochain Sabra et Chatila ? Ghaza n'est pas un « casus belli » Bien sûr, les champions de la realpolitik vont nous servir les mêmes mélopées capitulardes. Ce ne sont évidemment pas les arguments qui manquent pour expliquer (justifier ?) l'inertie des états-majors arabes et le silence de leur arsenal militaire. On va brandir le rameau d'olivier en diabolisant la « moqawama » présentée comme une option suicidaire et sans issue. Sans citer l'incapacité structurelle des Arabes à composer entre eux, conformément au vieil adage « itafaqa el arabou an la yatafiqou » (Les Arabes se sont entendus pour ne pas s'entendre). Et puis, c'est connu, nos gouvernements préfèrent retourner leurs canons contre leurs voisins respectifs. Sauf bien entendu le voisin suprême : Israël. Dans le jargon juridique, aucun Etat arabe ne considère le carnage de Ghaza ou l'attaque de quelque autre partie de la Palestine comme une situation de « casus belli ». Les Occidentaux, eux, ne sont pas plus liés organiquement que le Yémen et la Mauritanie ou l'Algérie et la Bahrein. Pourtant, ils ne sont pas avares en arguments particulièrement « frappants » – comme dirait un responsable politique – quand il faut agir pour faire pencher le rapport de force en faveur de l'un ou l'autre de leurs alliés. On les a vus se mobiliser contre l'Irak, contre l'Afghanistan ou encore en Bosnie, sous la bannière de l'OTAN ou quelque autre commandement unifié, pour défendre leurs intérêts stratégiques. La démonstration de force russe L'Occident n'hésite pas à faire appel à la force pour faire sens. La Russie a fait, elle aussi, savoir qu'elle s'y entendait parfaitement en langage des chars. Qu'on se souvienne de son expédition estivale pour corriger la Géorgie. Et tout le monde s'est plié aux caprices du tandem Medvedev-Poutine. Quant à nous, on en est encore à compter nos morts et nos blessés, à pleurer sur notre sort en faisant circuler sur Youtube des photos épouvantables de mômes palestiniens défigurés. Et l'on attend passivement ce que le Conseil de Sécurité va décider comme on attendrait « Laylat El Qadr » (la nuit du Destin). Pourtant, toutes les résolutions de cessez-le-feu onusiennes sont restées lettre morte. De là à espérer quelque chose de ce « machin » dénommé Ligue arabe… Les régimes arabes savent évidemment tout cela. Nos dirigeants, nos politiques, nos généraux, nos stratèges ô combien « modérés », tout gargarisés de realpolitik qu'ils sont et autres sophismes à la sauce pragmatique, savent mieux que quiconque que seul le bruit de la canonnière saura réellement calmer la furie meurtrière de Sharon et ses clones et agir activement sur le destin du peuple palestinien. Bien sûr que la décision de la paix et de la guerre est toujours délicate en temps de troubles comme ceux que nous vivons actuellement. Ce n'est confortable pour personne d'entraîner un pays dans un conflit armé. Mais là où les responsables politiques israéliens sont épatants, c'est qu'ils prennent justement leurs responsabilités. Ils sont payés (précisément élus) pour faire la sale besogne et prendre les décisions qui fâchent et ils ne rechignent pas à le faire. Tzipi Livni n'y est pas allée par trente-six chemins pour annoncer depuis le Caire qu'Israël allait attaquer Hamas. Elle n'a pas dit : « Nous allons nous réunir pour voir dans quelle mesure il serait possible et faisable et moralement acceptable d'envisager un prolongement de la trêve avec le Hamas moyennant une médiation de la troïka européenne ou du planton de l'ONU. » Elle a déclaré, en présence d'Ahmed Abouel Ghaït, le ministre égyptien des AE – dont l'embarras consentant résumait toute la couardise arabe : « Nous allons frapper le Hamas. » Et ils ont frappé. Nous, on fait de la rhétorique. On se la joue pacifiste inconditionnel comme si la coquetterie sémantique et la langue de bois diplomatique suffisaient face à autant de sauvagerie. Non, il n'est confortable pour personne d'appuyer sur le bouton fatidique. Mais nous avons des chefs d'Etat qui sont payés (et plutôt grassement) pour faire le sale boulot. Ils se disent tous « chefs suprêmes des armées », alors qu'ils agissent en tant que tels. Quelqu'un a-t-il entendu Bouteflika depuis le début du massacre ? Le président de la République a-t-il réuni le Haut conseil de sécurité ? A-t-il rencontré Toufik ? S'est-il déplacé aux Tagarins ? Bien sûr, M. Belkhadem, que « le chef de l'Etat n'est pas tenu de rendre des comptes aux journalistes » (El Khabar d'hier) et que Son Excellence « yadjri moubahathate » avec ses homologues de la nekba arabe. Bien sûr que les réunions de l'état-major et autres conciliabules du DRS se tiennent à huis clos – comme le génocide de Ghaza –, ne soyons pas naïfs ! Mais s'il y avait quelque chose de décisif qui était sorti de ces conclaves, les Algériens en auraient pris acte. 1973, la dernière guerre israélo-arabe ? La constitution d'une force arabe de dissuasion (ou de persuasion, c'est selon) apparaît pour la majorité des observateurs comme une utopie. L'histoire retiendra que la dernière fois que les Etats arabes se mobilisèrent dans ce sens, ce fut lors de la guerre de 1973. Depuis, plus rien ! Comme si la poignée de mains entre Anouar Saddate et Menahim Begin à Camp David nous engageait tous. Nous savons bien que l'Egypte perçoit une aide directe de la part des Etats-Unis de 2,2 milliards de dollars annuels, que Khadafi tremble depuis la pendaison de Saddam, que le Maroc est empêtré dans sa guerre contre le Polisario, que l'Algérie surveille le Maroc, que l'Arabie Saoudite surveille l'Iran, que le Liban craint la Syrie, que la Syrie se demande encore s'il faut libérer le Golan ou le céder définitivement à Israël contre une paix à l'égyptienne… Après, qu'ils aillent empêcher Al Qaïda, le GSPC et autres filières islamistes d'aller recruter dans les masses insurgées les djihadistes et les kamikazes de demain qui vont alimenter « le terrorisme international ». Des contingents de révoltés qui, à défaut d'une riposte organisée au niveau des Etats et faute de casser du Tsahal, vont tourner leurs corps explosifs vers les premières cibles qui seront à leur portée. Et les radicaux de tout bord de récupérer la colère populaire arabe à des desseins inavoués. Qu'on songe aux filières afghanes, irakiennes et autres… Il est des moments où nous avons honte d'être journalistes réservistes et de n'avoir que sa plume impuissante pour répliquer à la barbarie israélienne et prêter timidement main-forte à la résistance palestinienne, solitaire et digne…