"Ce n´est pas cher payé, si c´est le prix pour faire partir Saddam Hussein" Madeleine Albright (A propos des 500.000 enfants irakiens morts des suites de l´embargo). Depuis quelque temps, on s´agite en Occident pour une cause qualifiée par les Occidentaux "d´humanitaire" au point de mettre en branle dans une pièce bien orchestrée les médias, certains zélés et des intellectuels ou acteurs qui passent en boucle. En toute objectivité, on est en droit de se demander où est la morale dans ce type de comportement? Pour avoir été maintes fois échaudés, nous en venons à douter de tout et particulièrement de tout ce qui nous vient de l´Occident, tant il est vrai que ce dernier continue à vouloir dicter la norme de ce qu´il faut croire ou ne pas croire, de diaboliser ou au contraire porter aux nues. En l´occurrence, le Darfour constitue, à n´en point douter, la nouvelle croisade pseudo-humanitaire qui est assurément une néocolonisation. En réalité, on ne s´est jamais posé la question: "Pourquoi a-t-on besoin d´humanitaires?" A la base de toute catastrophe et partant, intervention, voire ingérence, il y a une cause, l´intérêt. En règle générale, les pays vulnérables le sont devenus encore plus du fait d´une ingérence coloniale ou d´une décolonisation bâclée laissant les pays colonisés exsangues avec souvent une économie extravertie en direction des métropoles. L´une des catastrophes humanitaires au quotidien et qui perdure depuis février 1991 est celle du peuple et des enfants irakiens. Que font les humanitaires en Irak? Rien! Que font les humanitaires en Afghanistan? Rien ou si peu, ils colmatent des plaies béantes. Que font les humanitaires à Ghaza, ce mouroir à ciel ouvert? Tragiquement rien! Le politologue Louis Gautier fait remonter le concept d´ingérence à la nouvelle doctrine occidentale en matière de défense. Ecoutons-le "..Depuis la fin de la guerre froide, les droites et les gauches européennes ont été amenées à rompre avec leurs substrats idéologiques traditionnels en matière de défense... À partir de 1990, les Européens ont réinventé " la guerre sans la guerre" avec une profonde adaptation de leur politique militaire. (..) C´est François Mitterrand qui décide de déployer le plus grand détachement français depuis 1962 dans la guerre du Golfe en 1990; c´est Gerhard Schröder qui, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, engage des soldats allemands dans un conflit en 1999 au Kosovo; c´est Tony Blair qui aventure des troupes britanniques en Irak dans l´expédition militaire la plus controversée d´après-guerre froide.(1) Les alibis pour l´intervention "La rupture idéologique est précisément consommée sur deux points essentiels: l´usage légitime de la force n´est plus réservé à la défense de la patrie ou de ses intérêts vitaux, mais à la défense de valeurs et d´un modèle démocratique projeté sur la société internationale; l´emploi des armes n´est plus une réponse ultime à une agression mais le plus souvent une réponse préventive délivrée dans l´urgence.(...) En effet, sous l´impulsion d´un fort courant intellectuel, associatif et militant, la gauche française a été pionnière en matière d´ingérence humanitaire, notamment autour de la figure et des combats menés par Bernard Kouchner (2). (..) La guerre est, en quelque sorte, "euphémisée". Au Parlement, on préfère parler d´"actions humanitaires", de "missions au service de la paix". Contraste saisissant entre cette terminologie, affadissant la réalité, et le souci de vérité historique qui, parallèlement, pousse une Assemblée nationale de gauche à voter des lois pour requalifier en guerre les "opérations de pacification en Algérie" (1) C´est à l´occasion de l´intervention militaire de plusieurs Etats occidentaux au Kurdistan irakien, en avril 1991, que l´on a, pour la première fois, évoqué l´émergence d´un véritable "droit d´ingérence". L´action a été présentée comme destinée à protéger les Kurdes alors sévèrement réprimés par les autorités irakiennes. Pas un mot humanitaire pour les 500.000 enfants irakiens morts des suites de l´embargo inhumain. Le respect des droits de la personne, nous dit-on, devait dorénavant être assuré par des actions menées par la "communauté internationale". Le Conseil de sécurité, invoquait une "menace contre la paix et la sécurité internationales". Ce même motif justifia l´autorisation explicite donnée par le Conseil à l´opération "Restore Hope" ("Restaurer l´espoir"), menée en Somalie à partir de la fin 1992. En 1994, c´est la France qui conduisait au Rwanda l´"Opération turquoise", destinée à protéger les populations de la guerre génocidaire qui déchirait le pays. Puis ce fut le canular du Kosovo que nous allons détailler. L´affaire du Kosovo fut montée de toutes pièces pour diaboliser Belgrade. Comme le pensent Serge Halimi et Dominique Vidal: "Le Kosovo était victime, depuis plus de dix ans, de la politique d´apartheid menée par Belgrade. Et la répression contre l´Armée de libération (UCK) y avait pris, en 1998, un tour massif et sanglant. S´agissait-il pour autant d´un génocide que seule l´intervention occidentale pouvait stopper? Un an après, cette justification de la guerre menée par l´Otan a perdu beaucoup de sa crédibilité - et avec elle, la couverture médiatique soi-disant "exemplaire" de l´opération ".(3). "Le 17 juin, le Foreign Office britannique déclare que" 10.000 personnes ont été tuées dans plus de 100 massacres"; le 25, le président Clinton confirme le chiffre de 10.000 Kosovars tués par les Serbes (cité par The Nation, 8 novembre). Nommé représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M.Bernard Kouchner parlera, le 2 août, de 11.000 Kosovars exhumés des fosses communes - le Tribunal de La Haye démentira dans la journée. Dès le 23 septembre, le quotidien espagnol El País publie un article intitulé "Les policiers et juristes espagnols ne trouvent pas de preuves de génocide au nord du Kosovo". Il révèle: "Crimes de guerre oui, génocide non. " On nous disait que nous nous rendions vers la pire zone du Kosovo, que nous devions nous préparer à pratiquer plus de 2000 autopsies, que nous aurions à travailler jusqu´à la fin du mois de novembre; le résultat est bien différent: nous avons découvert 187 cadavres et nous sommes déjà de retour", a expliqué, graphiques à l´appui, l´inspecteur chef, Juan Lopez Palafox, responsable de la section anthropologique de la police scientifique.(3) Ils démontent, références à l´appui, la thèse médiatique qui fut servie et qui servit principalement à: démanteler l´état socialiste multiethnique et multiculturel yougoslave. Légitimer le droit du plus fort à faire et défaire les gouvernements: l´idée chère à Bernard Kouchner de l´ingérence humanitaire. Celui-là, d´ailleurs, soutiendra la guerre en Irak. Permettre aux USA de construire leur plus grande base militaire à l´étranger: le camp Bondsteel nécessaire pour veiller à l´oléoduc mer Noire-Albanie. Il est vrai qu´il y eut de très nombreux déplacements de populations (serbes, musulmans, croates..), de nombreux camps des différentes nationalités où la population était sûrement maltraitée, des charniers, des règlements de compte, il y en a. Mais il n´y eut pas une volonté politique serbe de génocide, comme a voulu l´imposer le Tpiy. Pour Michel Collon: Bernard Kouchner ": Le coauteur d´un des plus gros médiamensonges des années 90 vient d´avouer: "Flash-back. Eté 92, guerre en Bosnie. Bernard Kouchner et ses" Médecins du monde "diffusent dans la presse et sur les murs de Paris une pub, frappante et coûteuse. La photo - montage présente des" prisonniers "d´un camp serbe en Bosnie. Derrière des barbelés. Kouchner y accole l´image d´un mirador d´Auschwitz. Son texte accuse les Serbes d´"exécutions en masse". Info ou intox? Intox, reconnaît Kouchner, douze ans plus tard, dans son récent livre autopublicitaire, Les guerriers de la paix, relate une entrevue avec Izetbegovic (le dirigeant nationaliste musulman au pouvoir à l´époque à Sarajevo), sur son lit de mort: -Kouchner: C´étaient d´horribles lieux, mais on n´y exterminait pas systématiquement. Le saviez-vous? -Izetbegovic: Oui. L´affirmation était fausse. Il n´y avait pas de camp d´extermination quelle que fût l´horreur des lieux. Je pensais que mes révélations pourraient précipiter les bombardements. Ce média, mensonge a effectivement fait basculer l´opinion vers le soutien aux bombardements. Toute la presse occidentale l´avait diffusé massivement. Mais le récent démenti a été passé sous silence. Le public ne peut savoir qu´il a été roulé. Le demi-aveu de Kouchner et ce silence médiatique posent des questions cruciales".(4) On sait à présent que l´Otan a accéléré le film des images du train s´engageant sur le pont pour pouvoir prétexter la "bavure". Et on sait aussi comment l´organisation atlantique manipulait la presse: "Pour les bavures, nous avions une tactique assez efficace, explique un général de l´Otan. Le plus souvent, nous connaissions les causes et les conséquences exactes de ces erreurs. Mais pour anesthésier les opinions, nous disions que nous menions une enquête, que les hypothèses étaient multiples. Nous ne révélions la vérité que quinze jours plus tard, quand elle n´intéressait plus personne. L´opinion, ça se travaille comme le reste".(5) Pour l´histoire, comme le rapporte la Ligue des droits de l´homme, l´invocation de l´argument humanitaire pour justifier des actions militaires d´Etats occidentaux, n´est pas sans rappeler la justification des conquêtes coloniales au nom de la "civilisation". Depuis près de 30 ans, Médecins sans frontières et M.Kouchner se sont opposés sur leur vision de l´action humanitaire ", souligne l´organisation humanitaire. "M.Kouchner est favorable à un humanitaire d´Etat qui trouve notamment sa traduction dans le droit d´ingérence humanitaire; au contraire, MSF défend et met en oeuvre une action humanitaire impartiale et indépendante de tout pouvoir politique, économique et religieux", explique-t-elle.(6). Pourtant, à l´époque, une mise au point a été faite par MSF suite à l´attribution du prix Nobel de la Paix. Le président Philippe Biberson et son ancien président Rony Brauman avaient publié, dans Le Monde du 23 octobre 1999, un article intitulé " Le "droit d´ingérence" est un slogan trompeur ". En voici quelques extraits: " Le "droit d´ingérence" est un slogan qui doit son succès à son ambiguïté.(..) D´un côté, l´action humanitaire indépendante; de l´autre, l´intervention politique et militaire de grandes puissances ou de coalitions internationales dans des situations de crimes et de terreurs de masse. " " Le slogan du "droit d´ingérence" [...] jette sur [les ONG] le soupçon légitime qui pèse sur [les Etats] en cas d´intervention. Les volontaires de l´humanitaire ne sont pas plus désireux que les journalistes d´être confondus avec des soldats, ce qui arrive immanquablement lorsque les uns et les autres avancent sous la même bannière. " (...) Capable tour à tour, ou simultanément, de tuer et de protéger, à sa guise et selon ses propres intérêts, notre Occident laïque tend à se prendre pour la divine Providence."(7) Au lendemain de sa prise de fonction, Bernard Kouchner a tenu une réunion sur la situation au Darfour, cette province soudanaise en proie à une guerre civile qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts depuis quatre ans. Médecins sans frontières a exprimé son désaccord avec les positions d´Urgence Darfour: " Comment rester légitimes si nous ne sommes pas neutres? Comment rester neutres quand on appelle à faire la guerre?, s´interroge Jean-Hervé Bradol, président de MSF, en estimant qu´une telle intervention sans l´accord de Khartoum risquerait de fragiliser les opérations d´assistance aux populations locales (8). Au nom d´un même mot, l´humanitaire, les uns appellent à une intervention armée au Darfour, les autres prennent soin de se démarquer de cette position et le " monde humanitaire " semble coupé en deux. (..) Si personne ne peut prétendre au monopole du " label humanitaire ". (..) Quand l´humanitaire est manipulé pour servir les intérêts d´acteurs politiques et religieux, la confusion des genres peut avoir, nous l´avons vu maintes fois, comme conséquence, un échec des secours sur le terrain. Rappelons qu´il existe en ce moment une opération d´aide humanitaire qui nourrit, approvisionne en eau potable et soigne 2 millions de personnes déplacées à l´intérieur du Darfour et réfugiées au Tchad.(..) Dans ce contexte de guerre et d´insécurité, et depuis mi-2004, les organisations présentes sur place mènent des opérations de secours. Plus de 10.000 travailleurs humanitaires sont déployés au Darfour et apportent une assistance vitale (nourriture, eau, soins médicaux) à environ deux millions de personnes déplacées. (..) La proposition de M.Kouchner, qui fait l´amalgame entre militaire et humanitaire, est dangereuse. Les corridors humanitaires sécurisés proposés par M.Kouchner ne seraient plus des espaces de travail neutres. Le Darfour: nouveau Kosovo? Au lieu de renforcer l´assistance humanitaire, c´est l´effet inverse qui risque de se produire. Sans vouloir préjuger d´une répétition de l´histoire, les expériences passées " d´ingérence humanitaire " légitiment notre inquiétude.(9). Pour le président de Première urgence, Thierry Mauricet, " cette supposée neutralité des ONG n´a peut-être jamais été qu´un leurre né dans l´esprit des Occidentaux. " La notion d´organisation non gouvernementale est quelque chose qui a du mal à exister pour la population de certaines régions où nous travaillons. Résultat, on nous considère, avant tout, comme des ressortissants de nos pays d´origine, agissant quasiment en leurs noms. " D´où l´opposition de Thierry Mauricet, à l´organisation de " Ponts aériens humanitaires ", actuellement mis en place par les militaires français vers les populations déplacées dans l´est du Tchad "(10). L´Occident repu, technologiquement invincible, décide de nouveaux concepts pour ses intérêts. Ce n´est sûrement pas la misère du monde qui l´émeut. Ce qui se passe au Soudan est une question qui sent le pétrole. Tant que les Chinois y trouvent leur compte, il n´y aura pas de résolution du Conseil de sécurité. Les membres l´ont bien compris en se réunissant à Paris sans le Soudan, pour décider de l´avenir du Soudan, à moins que ce dernier accepte de partager. Nous pourrons parier alors que nous n´entendrons plus parler des Djindjaouis arabes, El Bachir redeviendra fréquentable et les agitateurs médiatiques chercheront une autre cause humanitaire à défendre...Le néocolonialisme a de beaux jours devant lui. 1.Louis Gautier: Le consensus sur la défense entre totem et tabou. La Table Ronde, Paris, 2006. 2. M.Bettati et B. Kouchner: Le devoir d´ingérence; Denoël, Paris, 1987. 3.Serge Halimi et Dominique Vidal. Chronique d´un génocide annoncé. Le Monde Diplomatique. Mars 2000. 4.Michel Collon: "Poker menteur". 1998. http://www.michelcollon.info/display.php? youg 5. Interview à propos des médias: Le Nouvel Observateur, 1er juillet 1999. 6.Ligue des Droits de l´Homme de Toulon. Site web: le 26 mai 2007. 7.Philippe Biberson et Rony Brauman. Le Monde du 23 octobre 1999 8.Interview de Jean-Hervé Bradol: http://www.msf.fr/site/actu.nsf/act.... 9."Corridors sécurisés" au Darfour: un amalgame dangereux. Site MSF 31 mai 2007. 10.C.Rebuffel: Dans l´humanitaire, les risques sont mieux gérés. La Croix 21/06/2007