L'homme coltinant le riz pour les «pauvres» enfants de Somalie, a fait du chemin depuis cette image caricaturale de l'humanitaire. L'actuel chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, est cloué au pilori et ses pratiques mises à nu dans un réquisitoire sans concession du journaliste d'investigation français, Paul Péan, qui revient longuement sur la carrière controversée d'un homme qui a fait de l'humanitaire un métier fort rentable financièrement et avantageux politiquement. Du jeune étudiant communiste et soixante-huitard au ministre de la droite en passant par la gauche «soft» du Parti socialiste, que de chemin parcouru par celui qui se reconnaît aujourd'hui dans le «bushisme» et les «néocons» américains, qui se spécialise dans la médecine de l'«humanitaire» gagnant au passage l'étiquette de «French Doctor». Ce qu'il faut relever, outre la dérive opportuniste du personnage, est que l'humanitaire de M.Kouchner est invariablement induit par la guerre, par les violences et la pauvreté et/ou maladies. Ces pauvretés et maladies découlant dans la plupart des cas des situations de conflits, souvent entretenus, particulièrement sur le continent africain. Il y a donc cause à effet. Sans les guerres et leurs retombées négatives, il n'y aurait pas eu toute cette humanité à secourir, du moins sous l'acception du concept d'humanitaire traditionnel. Aussi, sans les guerres et sans les violences qu'elles induisent, il n'y aurait pas eu cet «humanitaire-business», c'est-à-dire cet environnement qui justifie l'existence de personnes qui se disent soucieuses des droits de l'homme et de l'aide humanitaire. Ce sont ces situations qui donnent sa raison d'être à un Bernard Kouchner tout en lui permettant d'afficher une rentable compassion pour les victimes de la guerre et de la violence aux quatre coins du monde. L'aide humanitaire a été ainsi détournée et transformée, singulièrement par M.Kouchner en appoint permettant de mettre pas mal de beurre dans les épinards. En fait, depuis la fin des années 60, Bernard Kouchner est omniprésent sur les champs de bataille médiatisant à outrance ses moindres faits et gestes «humanitaires». Cette médiatisation devenant même son image de marque. Ce qui explique un tant soit peu, un à-côté assez bizarre d'un personnage réputé pour sa propension à pousser à la guerre. Un «va-t-en-guerre» qui ne s'en cache pas en fait. Et pour cause. Il fallait la guerre et ses violences pour justifier l'existence d'un Bernard Kouchner. Qui d'autre que M.Kouchner pouvait animer un colloque - organisé au printemps de l'année dernière à Deauville (France) par le Women's Forum - centré sur le thème «Est-il possible de réconcilier les impératifs moraux et humanitaires avec la realpolitik et la défense des intérêts nationaux?». Cela ne s'invente pas! Il fallait le faire, Bernard Kouchner l'a fait. Le French Doctor est ainsi vu comme une icône dans son pays, une sorte d'abbé Pierre moderne. Bernard Kouchner est ainsi perçu par les Français non pas «comme un politicien ordinaire, mais comme un bon French Doctor», écrit Paul Péan, «Un héros contemporain qui brave tous les dangers pour aller soulager la misère des victimes à l'autre bout du monde. Une version laïque, postmoderne, de l'abbé Pierre». Or, le champ d'intervention, ou de «l'ingérence humanitaire», chère à M.Kouchner a été l'Afrique marquée par les conflits, où il a lié des liens étroits avec nombre de dirigeants africains, plus corrompus les uns que les autres, qui n'ont pas manqué, à l'occasion, de lui renvoyer l'ascenseur. Du Biafra (province sécessionniste nigériane dans les années 60) au Rwanda en passant par la Somalie, notamment, Kouchner a sillonné l'Afrique dans tous les sens, partout où le sang des Africains coulait. L'image qui reste de Kouchner dans le continent africain est encore cette parodie lors de laquelle il coltinait sur le dos un sac de riz destiné aux enfants somaliens. Cette scène du sac de riz a nécessité trois répétitions devant la caméra, rapporte l'auteur de «Le monde selon K.» qui avoue avoir ignoré ce détail et ne l'avoir appris qu'incidemment. Du cinéma! C'est tout dire d'un personnage qui sait soigner son image, pourtant de moins en moins crédible, auprès d'un public béat peu au fait des coulisses de ses exploits. Bernard Kouchner a soutenu en fait toutes les interventions militaires américaines, notamment en Somalie et surtout en Irak, en 1991 et en 2003. En 1991 il réussit à convaincre le président François Mitterrand d'engager la France dans la guerre de George Bush père contre l'Irak, qui n'était pas la sienne. En 2003, il prit à contre-pied le président français, Jacques Chirac, opposé à la guerre contre l'Irak décidée par George W.Bush fils. La guerre justifiait donc «l'action humanitaire» du French Doctor. Ce héraut de «l'ingérence humanitaire» n'a-t-il pas un jour, au début des années 90, poussé à l'ingérence en Algérie, pleurant sur le sort d'assassins qui égorgeaient les femmes et les enfants? En fait, l'ingérence tous azimuts des puissants du monde, que préconise Kouchner, est tout profit pour ses affaires et maintien, en filigrane, le fonctionnement du complexe militaro-industriel. En fait, seule la guerre permet aux uns et aux autres d'accomplir leur business. Les armes des premiers qui font des ravages, donnent aux seconds l'occasion de se mettre au service de la femme et de l'orphelin et justifier leur existence. Le cercle vicieux. Ainsi, Bernard Kouchner a dupé durant de longues années l'opinion publique française et partant mondiale, sur sa véritable nature de faiseur de guerre. Pas seulement. Outre d'appeler à la guerre pour qu'il puisse se nourrir des souffrances des peuples, il le fait aussi de manière sélective. Eh, oui! Sa disponibilité n'est pas pour tous, Kouchner choisit ceux qui méritent sa compassion, ne se préoccupant pas des autres qui peuvent crever dans leur pourriture, comme les enfants de Ghaza qui tombaient sous les bombes israéliennes, Kouchner demeurant honteusement silencieux sur ce génocide des enfants palestiniens. Bernard Kouchner? Cela a été une longue dérive opportuniste marquée par les reniements, notamment de Mai 68, la génération dont il se revendique. Paul Péan «Le monde selon K.», Editions Fayard, Paris, Janvier 2009