Après avoir gardé le silence, Me Saïd Younesi, avocat de Kamel Chikhi, le principal prévenu dans l'affaire des 701 kg de cocaïne, confirme avoir déposé, sur le bureau du juge de la 9e chambre du tribunal pénal spécialisé d'Alger, une demande d'audition de l'ex-Directeur général de la Sûreté nationale, Abdelghani Hamel. «Dans l'intérêt de l'instruction et pour l'éclatement de la vérité et rien que la vérité, nous avons effectivement déposé cette demande auprès du magistrat chargé du dossier. Les déclarations de M. Hamel sont très importantes et peuvent aider la justice à élucider un certain nombre d'énigmes qui entourent l'affaire», a déclaré Me Younesi. Très serein et surtout confiant, l'avocat explique sa décision : «Nous pensons que l'ex-Directeur général de la Sûreté nationale n'a pas tout dit. Ses propos sont très lourds et méritent d'être explicités. Nous avons jugé utile de demander au juge d'auditionner l'ex-patron de la police sur quatre points précis et liés à sa déclaration publique, d'autant qu'il venait de rentrer d'une mission officielle d'une semaine en Espagne, pays par où a transité le navire transportant la marchandise, et où aussi le container où se trouvait la drogue avait été ouvert. Nous avons bien étudié sa déclaration sur les chaînes de télévision. Il a dit qu'il détenait des informations sur le dossier. La justice est en droit de l'entendre sur ce qu'il sait, pour avancer dans l'enquête. Le deuxième point sur lequel nous voulons qu'il soit interrogé concerne sa relation avec Kamel Chikhi. Si celle-ci est avérée, il doit nous expliquer sa nature. Le troisième point que nous jugeons important est lié aux dépassements qu'il a évoqués. Rappelez-vous, M. Hamel a fait un constat très grave. Il a dit qu'il y a eu des dépassements graves lors de l'enquête préliminaire menée par les gendarmes. S'il a fait cette révélation, c'est qu'il détient des preuves que nous sommes en droit de connaître. Le juge doit l'entendre sur ces questions que nous estimons importantes pour l'éclatement de la vérité.» Notre interlocuteur refuse totalement d'aller sur le terrain politique, en précisant : «Notre démarche ne répond à aucune manœuvre politique. Elle obéit à des considérations plutôt liées à la vérité. Pas plus. Nous nous sommes limités uniquement aux questions qui intéressent de près la procédure liée à l'enquête sur la cocaïne.» Cette demande d'audition de l'ex-premier policier du pays était prévisible. Ses déclarations du 27 juin dernier avaient fait l'effet d'une bombe et suscité son limogeage, annoncé, quelques heures après, par un laconique communiqué de la Présidence. Ses propos et sa chute ont surpris plus d'un. Sa déclaration était nette et précise : tout en parlant de «graves dépassements» lors de l'enquête préliminaire menée par les gendarmes, il lance d'un ton colérique cette lourde phrase : «Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre.» Il défie ses détracteurs et les menace de remettre «des dossiers que nous détenons nous aussi sur cette affaire», aux juges qui, selon lui, ont été «très vigilants». Le cri de colère de l'ex-patron de la police n'est pas fortuit, c'est le résultat d'une longue guerre de tranchées entre lui et le patron de la gendarmerie, le général-major Menad Nouba, et le chef de l'état-major de l'Anp, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, qui voyait mal, à tort ou à raison, son ambition politique et son empiétement du terrain des affaires, où surfent les enfants de la nomenklatura militaire et civile. Hamel se savait dans le viseur du patron de l'armée et l'arrestation de son chauffeur ainsi que les pressions exercées sur lui (par les gendarmes) pour élucider la relation entre son fils et Kamel «le boucher» ont provoqué l'irréparable. Lâché et isolé, Hamel s'adresse à ses détracteurs, en les identifiant et les accuse publiquement. Sa déclaration fait l'effet d'un séisme et suscite son limogeage quelques heures après. Pour l'avocat de Kamel Chikhi, cette sortie est une aubaine pour la défense de ce dernier. «L'ex-patron de la police a certainement des informations qui peuvent aider les juges à comprendre cette affaire de cocaïne. De par son poste, il ne peut pas dire des choses aussi importantes s'il n'avait pas des éléments en sa possession. Il était en Espagne, quelques jours seulement avant que le navire qui transportait la cocaïne n'accoste à Oran. Il a certainement été informé de faits qui n'apparaissent pas dans le dossier. Le juge doit l'entendre sur les propos qu'il a tenus», conclut Me Saïd Younesi.