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Les raisons d'un chaos urbain
Publié dans El Watan le 27 - 07 - 2018

La semaine dernière, l'effondrement d'un balcon dans la commune de Hussein Dey (Alger) a provoqué la mort d'un quadragénaire. Ce genre de drame étant de plus en plus courant, il est temps de définir les raisons du chaos urbain que connaît le pays. L'architecte et expert international Jamel Chorfi énumère les tares qui caractérisent le secteur.
Urgence
Une des premières raisons qui se cache le chaos urbain que connaît l'Algérie : l'urgence. En effet, selon Jamel Chorfi, architecte et expert international, la situation actuelle est le fruit de 60 ans de mauvaise gestion. Il explique : «Depuis l'indépendance, le maître mot est l'urgence.
Tous les programmes depuis 1962 ont été construits dans l'urgence. Et malheureusement, tous les programmes ont obéi à ce paramètre.» Selon lui, on n'a jamais pris en considération le droit du citoyen à habiter dans un environnement «décent» qui comprend autant de l'urbanisme pour l'adulte mais aussi pour l'enfant. «Dans nos cités, personne ne trouve sa place. Ni jeux pour les enfants, ni bancs pour les adultes.
Pis, les espaces verts sont presque inexistants», constate-t-il. Pour l'expert international, nous avons inventé un phénomène appelé «crise du logement», puis nous avons consacré du temps et de l'argent a essayer d'y mettre fin. «Dans l'urgence, tout ce que nous avons réussi à faire est caser les gens et non pas les loger.
Au lieu de réaliser des logements, on a construit des abris. Aussi, la pression de l'urgence nous a conduits à réaliser des équipements qui ne servent à rien. On a cherché à faire plaisir au chef au détriment du résultat. Nous avons alors privilégié la quantité au détriment de la qualité, et aujourd'hui, on paye le prix fort», conclut-il.
Non-respect du triptyque
Une autre raison du chaos urbain : le non respect du triptyque : bureau d'étude, maître d'ouvrage et entreprise. En effet, la règle fondamentale pour la réalisation d'un quelconque projet est le respect de cette règle, sans quoi le désordre est assuré.
Cependant, le souci du relogement et l'urgence de la réalisation du plan quinquennal de 1.6 million de logements, par exemple, a poussé les responsables à passer outre cette règle. En effet, urgence veut dire non-respect des règles d'urbanisme. «On a enlevé le maître d'œuvre qui est l'architecte et on a créé un dispositif afin de confier tous les projets dans un mode d'attribution étude-réalisation», explique Jamel Chorfi.
Autrement dit, c'est à l'entreprise de réalisation de tout prendre en charge, or, ce n'est absolument pas dans ses prérogatives. Pis encore, cela est contraire à la loi car dans ce cas de figure, on ne peut pas situer les responsabilités. «Nous sommes passés à côté de la phase étude.
On s'est également passés de l'expertise d'un réel bureau d'étude, qui est normalement la tête pensante de tout projet, et on a confié cette mission au maçon et au manœuvre», ajoute l'expert. Finalement, en mettant à l'écart l'architecte, censé être le pilote de toutes les opérations, on ne contrôle plus le paysage urbain et la situation ne peut que dégénérer.
La 08-15
Une autre raison, et non des moindres, qui a largement contribué a la dégradation du paysage urbain : la promulgation de la loi 08-15. Cette loi fixe les règles de mise en conformité des constructions et leur achèvement.
Le texte a spécifié quatre cas : le premier regroupe les constructions ayant un permis de construire mais non achevées ; Le deuxième est relatif aux constructions ayant un permis de construire et sont achevées, mais ne sont pas conformes au plan initial (en général, on trouve ce type de casa dans les lotissements) ; le troisième regroupe les constructions n'ayant pas de permis de construire et qui sont non achevées ; enfin, le dernier cas concerne toute construction n'ayant pas de permis de construire mais qui est achevée.
Ce sont les cas détaillés par la loi, mais par la suite, nous en avons découvert beaucoup d'autres. A titre d'exemple, les personnes qui ont construit sur des espaces de servitude. «Cette loi est la plus catastrophique en termes d'urbanisme car elle régularise l'irrégularité», explique Jamel Chorfi.
A en croire ce spécialiste, si on fait un bref comparatif entre l'ancien bâti et le nouveau, on se rend rapidement compte que ne serait-ce que l'espace piéton n'est pas respecté. «A l'époque, on avait des cités-jardins. Aujourd'hui, tout a été démoli. LDes gens ont squatté les trottoirs.
Le goudron atteint le mur de clôture. Il n'y a même plus de trottoir dans certains quartiers. Tout ces petits détails nous laissent dire que nous sommes passés du beau au moche. Evidemment, cela est un constat purement esthétique. On n'ose même plus parler des normes techniques, qui ne sont évidemment pas respectées», avoue-t-il. Cette situation a débuté durant les années 1990.
A l'époque, les gens ont construit n'importe comment, sans respecter les règles fondamentales de l'urbanisme. Beaucoup ont occupé des espaces verts et squatté des espaces publics. Malgré cela, les autorités ont fermé les yeux car, la priorité était la sécurité. Jamel Chorfi raconte : «Après cet épisode douloureux, l'Etat, dans l'incapacité de reloger plus d'un million de personnes, on s'est alors tourné vers la solution de facilité.
On a alors publié cette loi catastrophique qui régularise l'irrégularité. Ce choix politique, qui n'a pour but qu'acheter la paix sociale, a malheureusement pris en otage l'espace urbain». Le comble : le délai d'application de la loi relative à la mise en conformité des constructions inachevées été prolongé a de nombreuses reprises ! En effet, loi a été prévue pour 5 ans, soit jusqu'à 2013.
On a ensuite prolongé le délai de 3 ans. Soit, jusqu'à 2015. Et enfin dernièrement, fin 2017, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a ordonné une prolongation de trois années supplémentaires du délai pour la mise en conformité des constructions et leur achèvement. La date d'expiration des délais de la loi est ainsi prolongée jusqu'au 2 août 2019. La raison de cette prolongation ?
Les difficultés rencontrées par différents walis et élus quant aux interprétations faites de l'instruction. «On prolonge à mal. On construit des favelas qu'on régularise par la suite. En l'absence d'une rigueur dans l'application des lois, les gens n'ont plus peur et ne font que continuer sur leur lancée. Ils savent pertinemment qu'ils ne risquent rien, si ce n'est une régulation», se désole Jamel Chorfi.
Manque de contrôle
L'absence de contrôle est une raison supplémentaire responsable du chaos urbain que connaît l'Algérie. Quand bien même prévus par les textes juridiques, les outils de contrôle (la police d'urbanisme, les inspections…) sont insuffisants.
«Afin d'espérer mettre fin à ce chaos urbain, il faut que les textes de loi soient réellement appliqués. Et afin de s'assurer de leur application, il faut que la police de l'urbanisme fasse son travail. Or, cette dernière n'a pas les moyens humains ni matériels pour contrôler», confie Jamel Chorfi.
La surface à contrôler étant conséquente, de gros moyens doivent être déployés. A titre d'exemple, à Alger, qui compte près de 5 millions d'habitants, la brigade est constituée d'une dizaine de personnes et dispose d'un seul véhicule.
Dans cette situation, l'expert incombe la responsabilité aux collectivités locales : «Il est vrai que la question de l'urbanisme est le souci de tous. Cela commence bien évidement par l'autorité de l'Etat. Malheureusement, nous ne sommes pas armées en techniciens pour mettre un terme à ce drame architectural.
Le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme a lui-même déclaré que l'on ne maîtrise pas le contrôle. Finalement, nous n'avons pas les moyens de notre politique. Ce que beaucoup ignorent, c'est que notre pays est doté du corps de la police d'urbanisme. Cependant, il n'est pas suffisamment outillé.
Il faut donc lui donner les moyens humains et matériels nécessaires pour venir à bout de ce chaos.» Il est donc primordial d'inviter toutes parties concernées à débattre afin de revoir la question du chaos urbain et trouver des solutions concluantes.
Type de matériaux et aménagement des extérieurs
Au moment où l'on parle de smart city et de smart building, les experts en sont juste à l'étape de se demander si les constructions actuelles sont aux normes internationales. «Pas du tout. Nous sommes à la phase ou l'on se demande si ces bâtiments qu'on construit peuvent être classés en tant que bâtiments tout court», répond Jamel Chorfi.
Selon le spécialiste, étant donné qu'on a longtemps construit dans l'urgence, on a eu recours à la facilité. La plupart des constructions sont élaborées avec une technique appelée «coffrage tunnel». On fait un coffrage le long du mur et on coule tout le mur en béton armé car on n'a pas le temps.
Autrement dit, il s'agit de préfabriqué coulé sur place. Tout est en béton, hormis la façade qui est en brique. «C'est la chaleur ressentie en été et le froid en hiver qui nous renseigne sur la qualité de nos logements.
Dans l'urgence, on a assisté à un envahissement du béton», confie l'expert. Côté extérieurs, ils sont quasi-inexistants. Et, conséquence directe a ce chaos, le prix de l'immobilier : «En Algérie, en termes d'architecture, on ne fait plus de différence entre le haut standing et les bidonvilles.
Les deux ont le même extérieur. La seule promotion qui existe en Algérie est située dans la surface, pas dans les extérieurs ni les équipements. Finalement, on vend du social à une valeur excessive.»
Chevauchement des missions des responsables exécutifs
Il s'agit là d'un autre point important qui n'a fait qu'aggraver la situation de l'urbanisme en Algérie. Il faut savoir qu'au niveau des wilayas, le wali a toutes les autorités entre ses mains.
Le sort de toute une wilaya se retrouve entre les mains d'une seule personne qui est le wali. «Cette concentration de pouvoir est souvent nocive. Tout est géré politiquement et de manière populiste. Par ailleurs, Alger, à titre d'exemple, compte 57 communes. Mais rien n'est cohérent dans la capitale.
Chaque maire fait ce qu'il veut. Pourquoi n'avons-nous pas pensé à élire un ‘maire des maires' comme ceux de New York ou Paris», se demande Jamel Chorfi. Autre point noir qui n'a fait qu'accentuer le problème de l'urbanisme en Algérie : l'indépendance des missions. «Chez nous, chaque gouvernement se dit indépendant de l'autre.
Chaque nouveau ministre travaille indépendamment de son prédécesseur, et ce, malgré le fait que le secteur soit complémentaire. Nous n'avons donc pas l'impression d'avoir un gouvernement cohérent. Malheureusement, dans certains dossiers, l'intérêt personnel a pris le dessus sur l'intérêt public», se désole Jmale Chorfi.
Des lois «vétustes»
Autre raison responsable du chaos urbain : la politique d'urbanisme n'a pas été revue. A titre d'exemple, la loi 90-29 portant aménagement et urbanisme n'a pas été révisée depuis 1990.
Pourtant, cette loi fixe les règles générales visant à organiser la production du sol urbanisable, la formation et la transformation du bâti dans le cadre d'une gestion économe des sols, d'un équilibre entre la fonction d'habitat, d'agriculture et d'industrie ainsi que de préservation de l'environnement, des milieux naturels, des paysages et du patrimoine culturel et historique.
Ce texte doit être mis à jour étant donné que le population a évolué et les espaces constructibles réduits. Idem en ce qui concerne la loi 06-06 de 2006 portant orientation de la ville qui n'a pas été révisée. «Cela fait 28 ans qu'on avance avec une loi archaïque et obsolète», confie Jamel Chorfi. Selon lui, l'arsenal juridique et réglementaire qui gère l'espace urbain n'est pas fiable. «Il y a lieu de faire la refonte de tous les textes», conseille-t-il.
Absence de l'agence de rénovation urbaine
La rénovation et la réhabilitation n'est pas en reste de tout cela. Avec le nombre de balcons effondrés, de bâtiments tombés en ruine et de passerelles écroulées, il y a lieu de se demander si les travaux de réhabilitation, que connaît la capitale notamment, sont exécutés dans les règles de l'art. Pas sûr ! En effet, à en croire Jamel Chorfi, on n'est pas passé par le diagnostic : «La raison de ces effondrements est que les bâtiments ont subi un mal depuis près de 60 ans.»
Les constructions devaient donc être «soignées» de l'intérieur. On devrait donc d'abord traiter les problèmes de fissures, d'infiltrations, d'ascenseur ou même de canalisations. La priorité devrait être donnée à des opérations de restructuration et de rénovation de l'intérieur avant de passer un coup de pinceau embellisseur à l'extérieur. «Finalement, on a fait que maquiller le mal à l'aide d'opérations de camouflage», se désole-t-il.
Si autant de problèmes entourent ces opérations de réhabilitation c'est tout simplement dû au fait qu'il n'y a pas d'agence de réhabilitation à proprement parler. «La seule agence que nous ayons est celle de la rénovation urbaine du patrimoine classé.
Il y a donc un vide juridique en ce qui concerne le patrimoine non classé», explique le spécialiste. Jamel Chorfi confie qu'un texte a d'ailleurs été élaboré à l'époque où l'actuel ministre était directeur de l'urbanisme. Cependant, il n'a jamais été promulgué.


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