Durant six jours, la nouvelle Cité de la culture à Tunis a accueilli, à l'occasion de son ouverture, 110 danseurs, une bonne partie des 40 spectacles programmés, les autres ayant eu lieu dans divers théâtres de la ville. D'une qualité remarquable, le festival mérite d'être connu et reconnu pour deux raisons au moins : il constitue une initiative originale et montre aussi l'excellence dans la pratique de la danse contemporaine, plus particulièrement dans le monde arabe et en Afrique. Une initiative féminine Les responsables de ce festival sont des universitaires qui ont travaillé sur le thème de la danse (que par ailleurs elles pratiquent), la directrice, Meriem Guellouz, et Kahena Sanaâ, conseillère artistique et programmatrice, ont conçu l'admirable programme de ces journées chorégraphiques. L'équipe est complétée par deux autres jeunes femmes et un homme, qui avaient pour tâches la coordination, les relations avec le public et la communication. Leur investissement a été total, comme leur professionnalisme. La politique culturelle de la Tunisie en a bénéficié d'un double point de vue : non seulement le festival a donné de la visibilité aux chorégraphes et aux danseurs tunisiens, mais il renforce le rayonnement international du pays grâce à un festival de haut niveau et en même temps populaire. La conception de l'événement comportait trois volets : la programmation, la formation, la transmission. La formation a été à la fois celle du public, qui a pu découvrir la danse contemporaine arabe ou africaine, mais aussi celle des chorégraphes : outre les spectacles et les performances, le programme comportait des conférences qui ont engendré des discussions. Une sorte de continuum s'est installée ainsi entre les représentations artistiques, les contributions et les discussions qui apportaient leur éclairage. Autre trait remarquable : le mélange des générations. L'événement a été partagé par les jeunes comme par les plus âgés, tous appréciant la qualité des spectacles. La danse, pratique artistique en puissance L'abondance de l'offre rendait impossible pour une personne de voir tous les spectacles. Pour cette édition qu'elles veulent fondatrice, les organisatrices ont privilégié les rencontres Sud-Sud, en mettant en avant des créations venues du Maroc, de l'Afrique du Sud, du Rwanda, de la Côte d'Ivoire, du Liban, de la Syrie, de l'Egypte et du Mali. Autour de cette scène, se sont tenus de nombreux débats portant sur les contraintes qui pèsent sur les corps et les exclusions encore subies par les femmes, les réfugiés et les minorités. L'esprit de la manifestation est de concevoir le corps dansant «comme espace de réflexion et de lutte pour les libertés et la dignité ». Est-ce parce qu'il y a un rapport complexe au corps qu'il suscite des explorations dans des directions très différentes? Qu'il s'agisse de l'Haal, de Khalid Benghrib, qui, dans un spectacle enthousiasmant, entraîne aussi bien les danseurs que la salle au rythme des musiques gnawa, de Näss, de Fouad Boussouf, où les musiques urbaines imposent un tempo rapide à des danseurs au corps de virtuose, ou, sous un registre plus distancié, du spectacle Dresse-le pour moi, de Nancy Naous, confrontant pour les déconstruire deux images du corps masculin, de la performance plus politique Sacré Printemps ! Outdour, ou sur un autre registre, plus intimiste, la performance du Palestinien Maher Shawamra, et, qu'il s'agisse d'une manière générale de tous les spectacles et de toutes les performances présentées, la danse constitue un moyen d'expression et de libération des émotions et de la réflexion sur les corps. Bien au-delà de la manifestation, les images des chorégraphies restent en tête, tout comme le plaisir et les débats que la manifestation a suscités.