« Lorsque ceux qui commandent ont perdu la honte, ceux qui obéissent perdent le respect. » Cardinal de Retz Le drame palestinien qui se joue actuellement à Ghaza nous rappelle encore une fois avec violence que la raison d'Etat ne s'encombre pas de sentiments. Pendant que les peuples arabes pleurent, comme trop souvent d'ailleurs, devant le malheur, la destruction et la mort des leurs, les puissances, mondiales ou régionales, affûtent leurs armes, avancent leurs pions sur l'échiquier et font froidement leurs calculs. D'abord les Etats-Unis d'Amérique. Engagés dans un défi de puissance planétaire, ils doivent absolument avoir sous contrôle les zones mondiales sensibles, dont les puits de pétrole du Moyen-Orient. Le conflit existentiel d'Israël au détriment du peuple palestinien se confond avec une décision stratégique fondamentale, quel qu'en soit le prix à payer… par les Arabes. La Russie ensuite. Se relevant lentement de son naufrage communiste, elle reprend peu à peu la main et s'impose de nouveau comme acteur mondial incontournable. Néanmoins, elle ne semble pas prête à s'opposer systématiquement aux USA. Elle doit faire face à une terrible crise financière et digérer le coup de poker géorgien, tout en restant à l'affût, guettant les faux-pas des USA, décidément bien nombreux ces dernières années. La Chine, pour des raisons assez similaires, adopte le même comportement. Quant à l'Europe, (tout comme le Japon ?) elle démontre encore une fois par l'absurde, combien sa place est importante pour le reste du monde… si elle voulait bien exister !Enfin, les puissances régionales tentent, tant bien que mal, de s'insérer dans le jeu, dans les espaces laissés libres. Deux pays musulmans émergent du lot : l'Iran et la Turquie. Le premier, classé pour l'instant dans l'axe du mal par les USA, a pratiquement gagné jusqu'ici, toutes les parties engagées dans la région depuis la première guerre du Golfe. La disparition de Saddam Hussein, l'effondrement de l'Irak sunnite, le renforcement du Hezbollah libanais et du Hamas palestinien sont autant de victoires stratégiques pour lui. La Turquie, de son côté, mal aimée de l'Europe pour sa religion et probablement rejetée par l'union, redore son blason d'ancien occupant ottoman de la région, recentre sa politique en promouvant un Islam d'ouverture, en prenant quelque peu ses distances avec l'Etat hébreux et en s'émancipant plus audacieusement de l'influence américaine. Face à toutes ces puissances, les Etats arabes semblent tellement fragiles que chacun attend à tout moment qu'une bourrasque se lève ici ou là, emportant, sans retour, tel ou tel régime apeuré.Ne parlons pas ici des micro Etats du Golfe, dont l'existence reste incertaine sans la protection de la première puissance mondiale. En l'absence de l'Irak détruit et de la Syrie neutralisée, l'Egypte ou l'Arabie Saoudite avaient les atouts nécessaires, l'une la masse démographique, l'autre la masse financière, pour s'imposer en tant que puissance régionale. Malgré les ambitions de leurs dirigeants, ces deux pays, à l'image des vingt autres formant la Ligue arabe, sont encore aujourd'hui dans l'incapacité d'influencer sérieusement, même le cours de leur propre histoire. Ce ne sont malheureusement ni les incantations populaires ni les bravades de certains régimes qui feront évoluer les choses. Les sentiments de révolte que nous partageons fondamentalement et qui nous animent face à la profonde injustice et à la tragédie que subissent les Palestiniens, ne pourront rien changer, tant que les Arabes ne saisissent pas la source de leur faiblesse et ne s'attellent pas à la dépasser. Durant toute leur histoire, qui se confond depuis 14 siècles avec celle de l'Islam, les arabes n'ont réussi à ériger des Etats solides et fiables que durant les premiers siècles de la prophétie, tant que le souffle coranique était en action. Puis, peu à peu, l'esprit premier de ces peuples remonta en puissance, les entraînant dans une fragmentation multiple, avec un cycle « khaldounien » de naissance et de déclin de dynasties faisant office d'Etats, lorsqu'ils ne sont pas tout simplement assujettis par des puissances non arabes, musulmanes ou non.Depuis lors et encore aujourd'hui, les Arabes sont comme incapables de construire des Etats forts et pérennes, peinant à ériger des structures bureaucratiques tatillonnes et des armées s'occupant plus à mâter le peuple qu'à organiser leur défense.C'est cette faiblesse quasi congénitale à bâtir des institutions légitimes, soudant des citoyens dans une cohésion générale et donnant la sécurité à leur peuple qui, telle une treizième plaie d'Egypte, colle aux Arabes. La faillite des Etats arabes à être l'émanation de leur nation et de ce fait forts et respectés, les condamne, pour survivre, à être autoritaristes et laxistes à la fois. C'est-à-dire à être l'antithèse de l'Etat de droit. L'origine de cette défaillance est enfouie dans la mentalité de nos peuples. C'est la conception de base des relations humaines qui est en cause. Ce sont les valeurs premières, inconscientes, celles qui dictent à l'être social ses modalités de vie et de réalisation qui ne correspondent pas au système du monde actuel. D'essence tribale et clanique, le pouvoir s'acquiert, selon des modalités excluant les critères de mérite, de compétence et de savoir. Partout dans le monde arabe, monarchies ou Républiques, ce sont des familles régnantes qui incarnent le pouvoir. Quelle que soit son idéologie, laïc ou islamiste, aucun Etat ne déroge à la règle. Et au-delà des agissements des entités « tribus » et « clans » dans les jeux de pouvoir, c'est l'esprit qui leur a donné naissance qui est en action, celui qui provient des valeurs intériorisées de la famille endogame. Les nouvelles générations arabes, et en particulier leurs élites, doivent s'affranchir des mœurs traditionnelles, des pesanteurs psychosociologiques, en prenant conscience des fausses valeurs qui y règnent, des multiples inhibitions qui s'y développent, des trop nombreuses défaites qu'elles nous promettent.En attendant de réaliser ce vrai « jihad » libérateur, soyons au moins solidaires avec cet héroïque peuple palestinien, victime expiatoire, sacrifié sur l'autel de nos faiblesses.