«Sakata el kina'e»: «Les masques sont tombés». Célèbre poème de Mahmud Darwich. Une fois de plus, le peuple palestinien, comme tout peuple arabe, est victime de l'incurie de ses dirigeants. Au moment où en Occident, les pays évacuent tout ce qui peut paraître comme dissension au profit d'une construction d'ensembles cohérents apaisés qui vont à la conquête toujours renouvelée d'un mieux-être Dans le monde, c'est une descente aux enfers, nous pensons chaque fois avoir atteint le fond et rebondir! Et bien, non! on creuse comme le dit à sa façon, Fellag. Quand l'Europe a décidé de se déclarer la paix, il y eut l'Union européenne où il n'est plus concevable qu'il y ait la guerre. La seule guerre permise, c'est celle de l'intelligence pour la conquête de marchés à l'échelle planétaire. «Une guerre sans mort» comme le dit si bien François Mitterrand. Qu'avons-nous en face? Des peuples arabes en errance qui ne manquent pas de génie et qui n'arrivent pas à décoller. Certes, l'Occident, en créant Israël au coeur de la nation arabe, a cloué au sol toute velléité d'émancipation des masses arabes maintenues soigneusement à la lisière du progrès par cet Occident meilleur allié des potentats arabes. Ainsi un nouvel épisode du feuilleton «Palestine» est en train de se jouer. On ne comprendra rien au problème actuel si nous n'avons pas une vision globale des dynamiques souterraines catalysées à des degrés divers par les Occidentaux et Israël. Les ennemis d'hier sont les alliés de demain. On apprend que le bantoustan palestinien est divisé en deux Etats. Naturellement, cela fait le jeu des Israéliens qui voient là une occasion unique de briser le Hamas pourtant élu démocratiquement. Ecoutons ce qu'en pense le journal israélien Yediot Ahoronot: «Dans la Bande de Ghaza, le Fatah vient de s'effondrer. Ghaza est devenue une jungle. Les Ghazaoui se combattent les uns les autres. Le conflit politique entre le Fatah et le Hamas a viré à la guerre des clans, une guerre fratricide...Les Palestiniens sont en train de saccager leur avenir de leurs propres mains. C'est dans ce chaos, sur les ruines de l'entité palestinienne, que naît le Hamastan. Il est désormais évident que la nouvelle réalité de Ghaza sous le pouvoir du Hamas a atteint un point de non-retour. Personne n'arrêtera plus le «mouvement de résistance islamiste».(1) Triste époque «Les Etats-Unis, poursuit Ronny Shaked, comme Israël, se bercent d'illusions s'ils croient que Mahmoud Abbas et son gouvernement peuvent encore être sauvés. Le cauchemar des Palestiniens a pris corps sous leurs propres yeux: la séparation entre Ghaza et la Cisjordanie, deux Etats pour un seul peuple. Cette situation n'a rien de positif pour Israël. Elle est même épouvantable. Les bains de sang fratricides dans la Bande de Ghaza ne sont pas dans notre intérêt. Israël n'a pas et n'a jamais eu de politique à long terme à Ghaza. Ce vide, c'est le Hamas qui l'a comblé: le mouvement islamiste a gagné en force parce qu'il n'y avait en face aucun pouvoir capable d'entraver sa conquête de la Bande de Ghaza...Ghaza est désormais aux mains du Hamas, un pouvoir avec lequel l'Etat hébreu ne peut coopérer mais dont il ne pourra ignorer les nécessités, car il lui faudra continuer à prendre en compte la population et en satisfaire les besoins. La solution temporaire pourrait venir d'une force internationale à dominante arabe».(1) Voilà qui est dit: la diabolisation continue. Le Fatah apparaît comme étant civilisé, voire même, fait l'objet de sollicitudes de l'Occident. On dit qu'il recevrait des armes d'Israël N'est-ce pas, aussi, les Américains qui ont voté 80 millions de dollars pour doter la garde prétorienne du président Abbas en armement, pas au point naturellement de constituer un danger pour Israël. Triste époque où c'est l'adversaire héréditaire qui -bon prince: il veut le bien des Palestiniens - propose une force d'interposition arabe. Justement, cette Ligue arabe évanescente dont on continue à y voir une force de proposition doublée d'une force morale. Une fois de plus, cette Ligue s'est liguée contre les Arabes. Que peut-on demander à un appendice de la diplomatie égyptienne elle-même inféodée, aux Etats-Unis? Nous avons vu comment l'Algérie a été sèchement rabrouée quand elle a osé dire, qu'après 60 ans de règne sans partage des diplomates égyptiens, il était temps d'aller vers l'alternance. Même là, les dirigeants arabes ne veulent pas d'aggiornamento. Il y eut naturellement des appels au calme et des condamnations sans lendemain de ce qui se passe à Ghaza. La Ligue arabe soutient Mahmoud Abbas sans condamner le Hamas. Dans un communiqué, ils affirment la nécessité de respecter la légitimité nationale palestinienne présidée par Mahmoud Abbas et de respecter les institutions élues, y compris le Conseil législatif où le Hamas détient la majorité.(2). Le prince Saoud al-Fayçal a accusé les Palestiniens de réaliser le rêve d'Israël qui rêvait d'allumer le feu de la discorde et de la guerre entre les Palestiniens. Aujourd'hui, les Palestiniens enfoncent le dernier clou dans le cercueil de la cause palestinienne. Naturellement, il exonère tous les pays arabes de leur compromission qui ont amené les Américains et Israël à considérer les Arabes comme quantité négligeable. Souvenons-nous l'un des derniers sommets arabes, l'Arabie saoudite a imposé la reconnaissance d'Israël en échange des territoires. La réponse a été donnée par Sharon à l'époque: Niet. Cette reddition honteuse ne fut pas payée de retour par les Américains On est en droit de se demander pourquoi le Hamas a-t-il décidé de prendre Ghaza. Les propos d'Ismaël Haniyeh publiés, samedi 16 juin, dans Le Figaro, sont éloquents: A une question du Figaro: Certains accusent le Hamas d'avoir mené un coup d'Etat dans la Bande de Ghaza. Que leur répondez-vous? Je leur réponds par une question: un coup d'Etat contre quoi? Contre nous-mêmes? Nous sommes la légitimité. Nous sommes le gouvernement légitime, qui émane du Parlement élu démocratiquement. Après la signature des accords interpalestiniens de La Mecque, qui ont permis la formation du gouvernement d'union nationale, une guerre de propagande a été lancée contre le Hamas. Le Fatah s'est comporté avec certains services de sécurité comme s'il s'agissait d'une milice lui étant affiliée. Désormais, il y aura une seule arme légitime. Nous ferons régner discipline et loi à Ghaza...Mon gouvernement va poursuivre son travail. Quant à notre programme, il est clair. Nous souhaitons la création d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967, c'est-à-dire à Ghaza, en Cisjordanie avec Jérusalem-Est pour capitale. L'OLP reste en charge des négociations sur ce point. Nous nous engageons à respecter tous les accords passés, signés par l'Autorité palestinienne. Nous souhaitons la mise en oeuvre d'une trêve réciproque, globale et simultanée avec Israël. Ghaza appartient à tout le peuple palestinien et pas seulement au Hamas. Nous refusons toute idée de séparation entre les Territoires palestiniens, entre Jérusalem-Est, la Bande de Ghaza et la Cisjordanie, qui sont indissociables. La séparation n'est pas à l'ordre du jour et ne le sera jamais. Nous espérons surtout que l'Europe aidera les Palestiniens à atteindre leurs légitimes aspirations nationales: la création d'un Etat indépendant.(3). Si la prise de pouvoir de Ghaza et la destruction des symboles de l'Autorité, est blâmable sans appel, il nous paraît que ces propos, sont, on ne peut plus mesurés. Il faut revenir à la genèse du conflit, c'est celle du vote de février 2006. Comme un seul homme, les Palestiniens -peuple très politisé, cultivé et avancé- ont voté démocratiquement [L'ancien président Carter a supervisé les élections] pour le Hamas, mouvement qui n'a pas jailli du néant, mais de la première intifadha. Dès le départ, les Occidentaux (Européens et surtout Américains) et Israël ont rejeté ces élections. Il n'y eut de cesse d'étouffer économiquement l'autorité palestinienne la rendant exsangue. Israël ne veut pas rembourser les 600 millions de dollars de droits de douane, les Européens et les Américains coupent, les vivres. Le gouvernement du Premier ministre malgré tous ses efforts, est décrédibilisé et la fitna s'installe entre les deux mouvements, le Hamas et le Fatah [qui a les faveurs des Occidentaux parce que...laïc]. L'accord de la Mecque de février n'a fait que reculer l'échéance de la confrontation. Il fallait pour les Occidentaux créer les conditions du clash définitif en poussant à bout le Hamas. Le faux pas de la prise de Ghaza est vu comme du pain béni par les Occidentaux qui «encouragent» Mahmoud Abbas à nommer rapidement un nouveau Premier ministre contre toute légalité des urnes, de dissoudre le conseil de sécurité bref, de rentrer, lui aussi, dans l'illégalité. Le remodelage est en marche Pourtant, le Hamas n'arrête pas de clamer qu'il est pour l'unité. Le chef du Hamas, Khaled Mechaâl a fait assumer, vendredi 15 juin, à la communauté internationale la responsabilité essentielle de la crise palestinienne actuelle. Une communauté internationale qui s'est tue sur les crimes (commis par Israël), et qui porte la responsabilité essentielle dans notre crise interne, bien que nous assumions, nous aussi, une part de responsabilité en soulignant que le problème n'était pas avec le mouvement Fatah D'ores et déjà, rapporte le Monde, les autorités israéliennes, satisfaites d'être débarrassées des islamistes au gouvernement, se déclarent prêtes à collaborer sans restriction avec la nouvelle équipe. La précédente refusait de se plier aux trois conditions fixées par le Quartet (Etats-Unis, UE, Russie et ONU). Cet exécutif ne devrait pas faire de difficulté pour reconnaître l'existence de l'Etat juif, adhérer aux accords passés et ne pas utiliser la violence pour parvenir à ses fins. Le Fatah, qui devrait constituer la principale ossature du nouveau pouvoir, a, depuis longtemps, fait siennes ces conditions. Le gouvernement d'Ehoud Olmert serait même prêt à lui restituer les 600 millions de dollars...En dépit de son coup de force, le Hamas continue de tendre la main à son rival du Fatah afin d'éviter d'être isolé. Depuis Damas, Khaled Mechaâl, chef du bureau politique de l'organisation islamiste, a reconnu la légitimité de Mahmoud Abbas. Il a expliqué que ce qui s'était passé dans la Bande de Ghaza était une mesure d'urgence que nous avons été contraints de prendre et qu'elle n'était en rien dirigée contre nos frères du Fatah. Le Hamas ne veut pas s'emparer du pouvoir. Il ne veut pas deux gouvernements. Il ne veut pas la division de la patrie, a-t-il ajouté.(4). Beaucoup d'analystes font remonter la crise à la compromission des services tenus par Dahlan. «Depuis quelques temps, la démarche paraissait, en effet, inéluctable. Il fallait en finir avec un pseudo appareil sécuritaire qui datait de l'époque des accords d'Olso. Il fallait trancher dans le vif. Car M Dahlan à qui l'Autorité autonome avait concédé la charge d'assurer la sûreté des Palestiniens faisait le contraire de ce que lui exigeaient les devoirs de sa fonction. Héritier d'une structure sécuritaire palestino-israélienne née à la suite de l'accord de 1993 d'Ariha-Ghaza, Dahlan prenait sous ses ailes des éléments à l'allégeance suspecte. Les Palestiniens en sont venus à s'entredéchirer. Car au fond, la suprême question est là: A qui profiterait une guerre fratricide entre le Fatah et le Hamas? A la population opprimée de la Palestine dont les malheurs ne se comptent plus ou à Israël et aux Etats-Unis qui cherchent à éviter à tout prix une victoire à la Hezbollah du Hamas? La réponse est claire; ce qui, par contre, ne l'est pas, c'est l'attitude des dirigeants du Fatah qui, frappés d'une tragique cécité, ne voient pas à quel point ils servent les intérêts de leurs propres ennemis.(5). La collusion d'Israël avec le Fatah est, semble-t-il, avérée: Ces derniers jours, écrit le rédacteur d'un site dédié à la Palestine, les brutalités incessantes et meurtrières de l'occupation israélienne ont été éclipsées par le carnage de Ghaza où des dizaines de Palestiniens ont été tués. Depuis octobre, huit cargaisons de fusils AK-47, de mitrailleuses et de plusieurs millions de cartouches sont entrées à Ghaza, venant d'Israël, par les passages de Nahal Oz et Kerem Shalom, aux dires d'un officier de haut rang de la Force 17, une milice du Fatah»(5). Pour Angela Pascuci, enfin, c'est le remodelage du Moyen-Orient qui est à l'oeuvre. Ecoutons-la: Dans cette boucherie de champ de bataille qu'est devenu le «Grand Moyen-Orient» rêvé par les Etats-Unis, et désormais amas de ruines, on en arrive à ne plus rien distinguer de projets, avenir, espoir, horizon partagé. Ce qui se déploie est un domaine barbare, un Grand Jeu de contrôle du territoire et de négation de l'autre. Un châtiment grotesque de l'histoire est en cours dans cette réplique à l'infini du conflit originel, israélo-palestinien, plaie infectée qui ne pouvait générer que des mutilations irrécupérables à une capacité de cohabitation...S'affronter avec un ennemi qui, de jour en jour, érode la terre où tu vis, menace ta survie, vit de ta peur, ne se sent rassuré que par ta faiblesse, ne peut qu'induire un bouleversement intérieur, une paralysie de l'âme. A la fin, n'importe quelle altercation, n'importe quel conflit, même celui avec ton frère, se transformera en défi mortel pour le contrôle de cette terre sur laquelle tu crois vouloir vivre et pour laquelle tu es prêt à tuer. Aux chefs palestiniens ce qui leur échoit, quant aux responsabilités de cette guerre intestine, dernier clou au cercueil de l'état palestinien. Mais que personne ne se sente soulagé, parce que ce cercueil était prêt depuis longtemps.(7). Que peut-on dire en définitive? S'agit-il, comme le fait le journaliste israélien en faisant de l'humour noir, de «deux Etats pour un même peuple?» parodiant la fameuse phrase; «Deux peuples pour une même terre»? Pour nous, il serait plus indiqué de dire «Deux Nations pour ce qui reste de la Palestine originelle». Les nations occidentales qui promettent actuellement monts et merveilles à Mahmoud Abbas [un véritable mini-plan Marshall] pendant qu'ils étouffent Ghaza au désespoir des humanitaires, devaient regarder à deux fois. On ne peut rien faire contre la volonté d'un peuple. L'histoire nous a appris que les redditions sur le dos des peuples ne sont pas pérennes. Seule une restitution définitive des territoires de juin 1967 permettra enfin, à ce peuple harassé, de montrer la pleine mesure de son talent. 1.Ronny Shaked: Deux Etats pour un seul peuple: Yediot Ahoronot. 15.06.2007. 2.Le monde avec Reuters 16.06.2007 3.Ismaël Haniyeh: Nous sommes le gouvernement légitime: Le Figaro 16.06.2007 4.Mahmoud Abbas tente de gérer la crise après le coup de force du Hamas. Le Monde 16.06.07 5.Qui est derrière les troubles de Ghaza? Ria Novosti, Vendredi 15 Juin 2007 6.www.info-palestine.net 7.Angela Pascuci: Palestine-Ghaza: une feuille de route vers l'enfer, Il manifesto, 13.06.2007.