Ils sont blogueurs, journalistes-citoyens, lanceurs d'alerte, militants ou défenseurs des droits humains et ils sont poursuivis ou même condamnés pour «s'être exprimés sur les réseaux sociaux». Retour sur ce nouveau mode de «répression» de la liberté d'expression que condamnent les défenseurs des droits de l'homme en Algérie. «Le pouvoir et les personnes influentes utilisent la justice pour persécuter les blogueurs et les lanceurs d'alerte qui s'expriment contre eux ou les dénoncent sur facebook», accuse maître Ahmine Noureddine, défenseur des droits humains, en parlant des cyberactivistes condamnés pour leurs publications sur les réseaux sociaux, notamment sur facebook. Ils sont blogueurs, journalistes-citoyens (appellation qui désigne les activistes sur les réseaux sociaux, ndlr), lanceurs d'alerte, militants ou défenseurs des droits humains et ils sont poursuivis ou même condamnés pour «s'être exprimés sur les réseaux sociaux». Les jugements tombent l'un derrière l'autre et les condamnations se suivent depuis quelques années. Ces dernières deviennent même banales vu le nombre grandissant de cyberactivistes qui subissent ce type de «châtiment». Mais les accusations, elles, sont parfois gravissimes et même effrayantes notamment pour les proches des accusés. «Certaines de ces accusations sont même passibles d'une condamnation à la peine de mort, c'est le cas des six militants FFS de Ghardaïa dont l'affaire relève du criminel. Accusés de 'constitution d'association de malfaiteurs dans le but de renverser le régime', d''incitation des citoyens à prendre les armes contre l'autorité de l'Etat' et d''atteinte à l'intégrité territoriale du pays', ils ont été mis en détention provisoire pendant 14 mois pour une discussion privée sur facebook. Ils ont fini par être acquittés par la justice de Ghardaïa en janvier dernier», indique maître Abdelghani Badi, l'un des avocats des prévenus et président du bureau de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (Laddh) d'Alger, joint par téléphone. Les six militants FFS ne sont pas les seuls. Selon le responsable de la Laddh, le journaliste et le défenseur des droits humains d'El Bayadh, Hassan Bourass, poursuivi et emprisonné à maintes reprises pour ses écrits et ses activités, risque lui aussi la même peine dans sa dernière affaire, dont les avocats attendent encore la programmation. Répressions La prison ferme à sept ans est le jugement qu'a infligé la justice de Béjaïa en juin dernier au blogueur Merzouk Touati. Un procès en appel qui en rappelle d'autres, notamment celui de Slimane Bouhafs qui a purgé sa peine de près de deux ans après avoir été condamné d'abord à cinq ans de prison ferme puis à trois ans en appel à Sétif. Et puis d'autres et d'autres, dont «Kameledine Fekhar, Kacem Soufghalem, Nacereddine Hadjaj, Youcef Ould Dadda, Zoulikha Belarbi, Madjid Tanezrouft», des cas cités par maître Salah Dabouz, avocat et défenseur des droits humains, interviewé par téléphone. «A défaut d'apporter des solutions aux problèmes posés, les autorités tentent, à travers ces entraves aux droits de l'homme et au droit à l'expression, d'empêcher les citoyens d'exprimer leur désarroi», dénonce-t-il. Que faire, que dire quand il ne reste plus d'espace d'expression libre aux Algériens et aux activistes ? «Il y a, certes, des personnes condamnées pour insulte ou diffamation qui relèvent du pénal et dont on ne peut nier les faits mais la plupart, notamment les activistes qui ont été jugés ou condamnés, l'étaient injustement car ils ont tout simplement exprimé leurs opinions politiques ou dénoncé des injustices qu'ils ont constatées ou subies. C'est ce qui est inquiétant dans ce dossier. Leur nombre ne cesse d'augmenter. Leurs peines aussi», déplore Me Badi. Les témoignages sont parfois frappants car les méthodes de répression deviennent de plus en plus radicales. Dans les régions du Sud, le risque d'être poursuivi pour un écrit sur les réseaux sociaux existe bien évidemment, mais il y a pire. Selon les témoignages recueillis auprès des membres du mouvement des chômeurs de Ouargla, Laghouat, Tamanrasset et Adrar, «les militants, asphyxiés par le harcèlement des éléments des services, reçoivent aussi les menaces de ces derniers les obligeant à arrêter leurs activités militantes, sinon leurs commentaires et publications sur les réseaux sociaux pourraient être utilisés contre eux pour les poursuivre en justice et les mettre en prison». Poésie En mars 2015, l'ex-douanier et ancien leader du mouvement des chômeurs, Rachid Aouine, originaire d'El Oued, a été condamné à quatre mois de prison ferme pour avoir appelé, sur facebook, «les éléments de la police à se solidariser avec leur collègues en grève à l'époque au lieu de passer leur temps à réprimer les militants sur le terrain». Pis, si l'auteur de ce statut sur facebook a été mis en prison pour un simple écrit, un autre du même mouvement a été, lui, placé en garde à vue pour avoir «commenté la publication de Aouine». De plus, ces derniers n'étaient pas les seuls à être poursuivis ou condamnés dans cette wilaya. Les défenseurs et observateurs de la situation des droits humains en Algérie avaient même eu l'impression qu'El Oued était régie par des lois différentes des autres régions du pays. Dans cette localité et durant cette période, beaucoup de personnes ont subi le même sort que Aouine, dont le caricaturiste indépendant Tahar Djehiche qui a été traîné à maintes reprises en justice pour des publications sur facebook, notamment pour sa caricature sur Bouteflika qui lui a valu tous les maux du monde. Djehiche, en compagnie de sa famille, a fini par quitter la ville pour s'installer à l'Ouest. Quant à Rachid Aouine, il a plié bagages dès sa sortie de prison pour s'installer avec sa famille à Londres, où il a obtenu l'asile politique. En Kabylie, un poète du nom de Samir Mokrani, qui a enflammé la Toile avec sa poésie engagée, a été interpellé en septembre 2017 et condamné à six mois de prison ferme pour «un poème diffusé sur les réseaux sociaux». Et puis d'autres et d'autres qui sont parfois poursuivis pour avoir tout simplement partagé une photo dont ils n'étaient ni les concepteurs ni les seuls à l'avoir partager sur les réseaux sociaux, comme ce fut le cas de l'activiste Zoulikha Belarbi de Tlemcen. Belkacem Khencha, leader des chômeurs originaire de Laghouat, a été poursuivi pour la énième fois pour avoir diffusé, à sa sortie de prison, une vidéo sur facebook où il exprimait sa solidarité avec un ami, chômeur, condamné à six mois de plus que lui. Et la liste est longue. «Le pouvoir cherche à modeler la société comme il l'imagine en détruisant toute les formes de résistance qui s'opposent à lui», analyse Me Dabouz. Eveil Comme beaucoup l'expliquent, les raisons peuvent être la rétention d'information, le contrôle de militants qui s'expriment sur les réseaux sociaux ou la fermeture du dernier espace d'expression possible aux Algériens, après l'interdiction de manifestation et la fermeture des espaces publics et culturels d'éveil dans la majeure partie du pays. Mais les faits sont là. Beaucoup souffrent aujourd'hui de ce nouveau dispositif répressif qui ne cesse de faire des dégâts et qui sert d'alibi pour régler des comptes avec ceux qui osent continuer à s'exprimer librement. Après une plainte déposée par le patron d'Ennahar, un jeune étudiant de l'université d'Alger a été condamné à quatre mois de prison ferme pour s'être demandé sur facebook, selon ses avocats, «s'il y avait un lien entre un journaliste d'Ennahar et l'accusé principal dans l'affaire de la cocaïne, Kamel Chikhi» ! Tout cela ressemble à une justice à deux vitesses car le contraire aurait peu de chance d'arriver. Si ce n'est aucune, comme l'a été le cas de Me Dabouz qui a poursuivi ce groupe média en justice mais dont la plainte «a été bloquée par le procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad Raïs», assure l'avocat. Hormis les cas liés au droit à la liberté d'expression, personne ne peut nier, aujourd'hui, que d'autres cas ont pu être pris en charge par les mêmes mécanismes et dispositifs utilisés contre les activistes. L'on se souvient tous du cas de l'enfant martyrisé par un chien lâché sur lui par un adulte à Oran. Selon plusieurs sites, les auteurs de cet acte ont été interpellés grâce à la vidéo partagée sur la Toile. L'adulte qui a frappé un enfant subsaharien à Annaba l'a été aussi. Il y a aussi d'autres cas liés au harcèlement de femmes sur les réseaux sociaux. Mais entre temps, le blogueur Merzouk Touati, qui observe depuis 34 jours une grève de la faim pour dénoncer sa condamnation, est, selon son avocat et sa mère, dans un état de santé inquiétant. Me Dabouz a même affirmé que «c'est lui-même qui achète son propre sucre et son eau». Sept ans de prison ferme pour une interview réalisée par skype et diffusée sur son blog (Alhogra.com) alors que la personne interviewée n'a pas été inquiétée et même Merzouk Touati n'a pas reçu de mise au point comme cela se fait dans le monde entier.