Né à Damas, Farouk Mardam-Bey a travaillé comme conseiller culturel à l'Institut du monde arabe. Il dirige la collection Sindbad chez Actes Sud, où il s'occupait de l'édition En tant qu'éditeur, aujourd'hui que pensez-vous qu'il reste de Mahmoud Darwich ? Il est très lu. Plus que ça. Dans la vie quotidienne, les gens le citent, sans nécessairement savoir qu'ils citent Darwich. Il y avait sur les murs lors du Printemps arabe des vers de Darwich sous forme de graffitis. Quelqu'un qui veut dire un mot gentil à sa bien-aimée, il dit un vers de Mahmoud Darwich sans dire que cela vient de lui. Il est devenu comme un bien commun. C'est unique. Est-ce un phénomène d'édition ? Dans le monde arabe, il y avait un poète dont les œuvres se vendaient beaucoup, il s'agit de Nizar Kabani et le deuxième, c'est Darwich. Ses recueils ont été vendus en dizaines de milliers d'exemplaires. Même en France, on a vendu de ses traductions plus que beaucoup de poètes français contemporains. Des recueils ont dépassé les 5 à 6000 exemplaires, ce qui est rare. Quant à l'anthologie bilingue parue aux éditions Babel Actes Sud, on a dépassé les 14 000 exemplaires. Les ouvrages continuent-ils d'être imprimés ? Il est traduit en une quarantaine de langues. C'est en français qu'il est le plus lu. Il y a eu aussi une belle anthologie qui a eu beaucoup de succès en Italie, il y a deux ans. On a réuni trois textes en prose en Espagne avec répercussion en Amérique latine hispanisante. Dans les langues européennes en général, il est lu, mais aussi en arabe, en persan, en turc... Est-il lu aussi en hébreu ? Oui. Il avait un public en Israël. On a parlé de lui jusqu'au parlement de la Knesset. Il y avait sous un gouvernement de gauche un ministre de l'Education qui avait mis dans un livre scolaire un passage d'un poème de Darwich. Cela a causé un boucan pas possible contre lui. Cela prouve que Darwich a marqué cet autre public. Pourquoi y a-t-il cette attirance pour Darwich dans le monde entier ? Au tout début, sa popularité était très liée à la cause palestinienne. Tous les gens émus par ce qui se passe en Palestine allaient vers lui, parce qu'il était un porte-parole. Sa popularité s'est accrue parce que c'est aussi une grande voix poétique. Celle d'un poète exigeant, inquiet. Il n'a pas cessé de se renouveler et le public l'a suivi, même le grand public populaire, alors que sa poésie devenait plus difficile, pas directement sur le traitement de la cause palestinienne et de l'exil. Je me souviens d'une anecdote à la fin des années 1990. Au palais de l'Unesco à Beyrouth, où la salle peut contenir jusqu'à 3000 personnes. Il a fallu mettre un écran dans la rue pour ceux qui n'avaient pu rentrer. Il a lu durant une heure un long poème sur la mort. Il venait de subir une opération du cœur, – il est d'ailleurs décédé lors d'une deuxième opération – les gens étaient dans un grand silence, malgré le fond de ce que clamait Darwich. Je crois qu'il y a une équation personnelle. C'était un personnage flamboyant, émouvant. Il était d'une grande intelligence des choses, un politique très fin. Il avait compris dès 1993 que les Accords d'Oslo étaient pipés d'avance. Cela l'a poussé à démissionner de ses responsabilités au sein de l'Autorité palestinienne. Aujourd'hui, ce qui reste de Darwich, c'est le poète, plus que le militant politique ? Sans doute. Il est devenu une icône. Parlez-nous des derniers moments de Darwich ? Il se fait qu'après Arles le 14 juillet 2008, je suis rentré avec lui sur Paris en train. Il parlait peu. Il était ravi de la soirée arlésienne, où le public qui ne parlait pas arabe était resté à l'écouter avec une si grand attention. Mais il était inquiet, préoccupé, car il savait qu'il allait subir une nouvelle intervention. Il hésitait même encore à la faire. Le médecin lui avait dit que sans opération, il avait peu d'espoir de vivre longtemps. Il a fini par se décider. Il me disait qu'il avait comme une bombe dans le cœur, qui risquait d'exploser à n'importe quel moment. Se sentait-il prêt à partir pour ce grand voyage s'il advenait ? Je crois que oui. Sa dernière poésie, je pense, en témoigne. Et même dans son grand poème Murale, il est sorti de la mort une première fois, il voit dans l'avenir sa disparition : «Mais moi, désormais plein De toutes les raisons du départ Je ne m'appartiens pas, je ne m'appartiens pas, je ne m'appartiens pas...» Il avait récité un passage ici à Arles pour sa dernière déclamation sur scène et on sentait cela.