«L'Europe qui freine des quatre fers à la frontière turque envisage allègrement l'intégration de l'Ukraine et de la Moldavie...En termes diplomatiques, il est dit aux pays de l'UMA, vous ne serez jamais que des voisins, une banlieue difficile d'une métropole prospère.» Habib Boularès S.G. de l'UMA Une Union méditerranéenne? Qui n'en rêve pas? Qui n'en a pas rêvé? Edgard Pisani, Albert Jacquart dans plusieurs de ses ouvrages, en ont démontré la nécessité. Dialogue Nord-Sud à partir du Conseil de l'Europe, Centre méditerranéen et, bien sûr, Euromed, MEDA, PEV...Processus de Barcelone! autant de tentatives avortées. Si les contours en sont encore flous, écrit Daniel Vernet, les prémices en sont claires. Le processus de Barcelone a échoué parce qu'il est un avatar du dialogue Nord-Sud qui place les pays du sud de la Méditerranée dans une position de dépendance vis-à-vis de leurs voisins plus prospères du Nord. Il crée des relations inégales entre le centre et la périphérie. Il a misé sur le développement du commerce et du libre-échange, ce qui revient à confondre la fin et les moyens. Avec l'Union méditerranéenne, il faut inverser l'ordre des facteurs, traiter le mal à la racine, en mettant l'accent sur la base du développement économique et social, la santé, l'éducation, les transports, l'urbanisme, la politique industrielle.(1) «Projet-pilote» «Cette Union méditerranéenne» serait dotée d'un conseil sur le modèle du Conseil de l'Europe, accompagné de rencontres régulières entre chefs d'Etat et de gouvernement, du type G8. Elle serait appelée à traiter de la lutte contre le terrorisme, de la gestion des migrations, du développement économique et commercial et de la promotion de l'Etat de droit et des droits de l'homme. Elle aurait à terme des institutions communes avec l'Union européenne. Qui en ferait partie? Du côté Nord, les pays d'un «bloc latin» qui reste à définir. Pour ses concepteurs, il ne s'agirait pas, en tout cas, des vingt-sept membres de l'UE, qui n'ont pas tous le même attachement -c'est un euphémisme -à la Méditerranée. Du côté Sud, même incertitude: les pays du Maghreb certainement, l'Egypte, la Jordanie sans doute, la Turquie bien sûr- puisqu'il s'agit implicitement de lui offrir une solution de rechange à l'entrée dans l'Europe communautaire-, Israël, peut-être, au risque d'importer le conflit avec les Arabes dans le nouvel ensemble...(1) Las! Le lac méditerranéen reste un fossé. Avec des inégalités qui s'accroissent entre les peuples riverains et des relations souvent conflictuelles, ne serait-ce qu'en raison de ce «passé qui ne passe pas» entre la France et le Maghreb, de l'ampleur des aspirations migratoires, du choc des cultures, des heurts d'intérêts. Un constat fait l'unanimité, ou presque. Le «processus de Barcelone», inauguré en 1995 par les quinze pays membres de l'Union européenne, qui devait rapprocher les deux rives de la Méditerranée, est un «échec». «Les dirigeants européens, écrit Daniel Riot, qui parlent du «plan Marshall» à tout propos et à propos de tout, notamment des relations euro-méditerranéennes, oublient que ce plan a d'abord réussi en raison de quatre facteurs: une volonté réelle des Etats-Unis, l'effet de masse des crédits débloqués, une vision globale de l'aide plus structurelle que conjoncturelle et la volonté d'unité des pays qui l'ont accepté. Or, que voit-on? Pas de vraie volonté de l'Union...Même le «bloc latin» que Sarkozy espère réunir reste mal défini. La France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, Chypre et Malte, mais les «autres»? Pas d'effet de masse dans les investissements européens sur la rive Sud: les Américains ont dépensé l'équivalent de 125 milliards d'euros entre 1947 et 1951, à comparer avec les 20 milliards que Bruxelles a consacrés au programme Euromed de 1995 à 2005...Pas de vrai dessein d'unification des partenaires du Sud. L'unité du Maghreb reste un mirage: frontière fermée entre l'Algérie et le Maroc. Qui plus est, Sarkozy doit faire des efforts pour échapper à des procès d'arrière-pensées qu'il a lui-même favorisés par son langage parfois peu diplomatique: ne cherche-t-il pas d'abord, cyniquement, à alléger la question des flux migratoires? Ne voit-il pas surtout dans cette «Union méditerranéenne» un terrain de solution au «problème de la Turquie»? N'est-il pas surtout animé par des préoccupations d'ordre, sinon affairiste, du moins économique? Et ne cherche-t-il pas, dans ce qui est aussi une partie de billard, à creuser les différences entre l'Afrique du Nord et le continent subsaharien? Le codéveloppement doit se substituer au commerce, «afin que les pays du sud de la Méditerranée ne soient pas de simples sous-traitants de l'Europe».(2). Or, que constate-t-on? Déjà cette initiative en solitaire de Nicolas Sarkozy fait grincer des dents. Désormais à la tête du Conseil de l'UE, le Portugal compte mettre l'accent sur les relations extérieures de l'Union. En plus de l'adoption du nouveau traité, la poursuite des négociations avec la Turquie seront également au coeur de l'action de la nouvelle présidence. Sur ce dossier, des désaccords apparaissent déjà entre la France et le Portugal. «Il est fondamental que la Turquie rejoigne l'Union européenne une fois qu'elle aura rempli tous les critères», a déclaré Manuel Lobo Autunes, le ministre portugais des Affaires étrangères. «La Turquie a été candidate bien avant le Portugal! Je ne vois aucune raison pour transformer ou stopper le contrat (...) Toutes les négociations d'adhésion ont un but: l'adhésion, une fois que les critères sont remplis (...) Les accords souscrits par les Etats membres doivent être respectés», a-t-il ajouté. Revenons à l'histoire pour comprendre les étapes de la politique méditerranéenne de l'UE. L'étude suivante qui date de 1998 trace sans complaisance les axes d'une politique européenne sans état d'âme. Ecoutons Christine Parsdorfer: L'Union européenne prend des contours étatiques. La politique étrangère commune renforce la structure interne de l'UE. Vers l'extérieur, l'Union se «protège» sur les plans militaire et économique contre de nouvelles menaces présumées: migration, drogue et islamisme. La région méditerranéenne constitue à cet égard une «sorte de projet pilote» pour les futures politiques étrangère et de développement de l'Europe. La nouvelle stratégie méditerranéenne de l'Union européenne a été présentée au sommet du Conseil de l'UE à Essen, en décembre 1994. La région méditerranéenne y a été déclarée une «région stratégique importante», dont la paix et la stabilité revêtent la «plus haute priorité» pour l'Europe. La paix et la stabilité dans la région méditerranéenne doivent donc être sauvegardées avec «tous les moyens disponibles de l'Union, y compris la politique étrangère de sécurité commune».(3). Depuis le printemps 1995, l'OTAN, sur l'initiative de la France, de l'Espagne et de l'Italie, conduit en concertation avec l'UE une nouvelle politique à l'égard des pays riverains de la Méditerranée, dirigée contre «l'lslam» et contre la menace d'une prolifération des armes modernes, en particulier des armes atomiques...Or, la «menace du Sud» nouvellement mise en scène, a une structure tout à fait différente de la «menace de l'Est» de l'époque de la guerre froide: alors que jusqu'à 1989, on supposait l'existence d'un adversaire de force égale, possédant un arsenal militaire dont il fallait se protéger, les dangers «en provenance du Sud» sont plutôt présentés de façon diffuse. A l'instar de «Clash of Civilizations» de Samuel Huntington, la région méditerranéenne est interprétée comme une région de conflits entre différentes «civilisations». La «Méditerranée» et ses pays riverains du Sud doivent, selon cette conception, faire fonction de «cordon sanitaire» et protéger l'Europe «civilisée» du fanatisme religieux, du trafic de drogues et de l'immigration...La politique méditerranéenne nouvellement élaborée par l'UE, met également l'accent sur les aspects sociaux et économiques de la sécurité, c'est-à-dire qu'elle essaye de combattre les causes présumées des nouvelles menaces identifiées au Sud...Les objectifs formulés lors de la conférence de Barcelone en 1995 sont, outre le freinage des migrations, l'extension du marché pour l'industrie européenne et un meilleur approvisionnement de l'Europe avec certains produits. Pour cela, l'UE prévoit de créer une zone de libre-échange en l'an 2010. Celle-ci englobera une population de 600 à 800 millions d'habitants dans 30 à 40 pays. Ceci favorisera le développement des relations commerciales aussi bien entre les pays méditerranéens non membres de l'UE qu'entre ces pays et l'UE. Pour les produits agricoles, il est prévu de conclure des conventions spéciales. «Cependant les problèmes du futur partenariat euro-méditerranéen» se dessinent dès à présent: ainsi, on encourage dans les pays méditerranéens une spécialisation entièrement orientée vers les besoins de l'UE pour des produits ou des branches économiques spécifiques (pêche, tourisme, fruits, etc.). Enfin, le transfert de systèmes de production industrielle nocifs et polluants dans les pays du Sud (raffineries de pétrole, installations d'incinération des ordures, centrales électriques) favorise la subordination des aspects environnementaux à la politique d'investissement économique. Ce processus va dans le sens des intérêts des entreprises et institutions financières européennes. Les programmes sociaux proposés sont une sorte de reconnaissance des coûts sociaux à attendre de l'intégration sélective des économies méditerranéennes au profit des ambitions commerciales de l'Europe. «Les problèmes liés à la voie de développement dictée par le Nord sont évidents. En même temps, la politique actuelle de l'UE rend difficile l'accès du marché européen pour certains produits, en particulier agricoles...La réorientation de la politique de l'UE à l'égard du Sud est non seulement un assujettissement de la politique de développement à des critères commerciaux et de politique étrangère, mais encore l'orientation néolibérale aggrave en fin de compte la situation sociale dans les pays en développement et conduit à une polarisation entre le Nord et le Sud.»(3) Ce texte a le mérite d'être clair: ce qui est permis comme développement au Sud ne doit pas gêner les industries et l'agriculture du Nord. On l'a bien vu avec les accords de partenariat signés avec les pays maghrébins. Par la suite et après Barcelone, l'Union européenne a mis au point un cadre politique cohérent pour ses nouveaux voisins. Les trois principaux objectifs consistent à intensifier la coopération dans les domaines politique, de sécurité et de développement socio-économique sans pour autant que cette coopération s'apparente à une adhésion à l'UE. En mai 2004, la Commission a présenté sa politique européenne de voisinage (PEV). En décembre 2004, la Commission a dévoilé des plans d'action visant à établir des relations plus étroites avec sept nouveaux voisins: l'Ukraine, la Moldavie, Israël, la Jordanie, le Maroc, la Tunisie et l'Autorité palestinienne. Le second cycle de la PEV a été exposé en mars 2005. Au Sud, la politique couvre les pays déjà compris dans le programme européen Euromed: l'Algérie, l'Egypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Syrie, la Tunisie ainsi que l'Autorité palestinienne. La PEV, dit-on, vise à renforcer les relations bilatérales et la stabilité et la sécurité dans ces régions. Elle offre la perspective d'un niveau élevé d'intégration, dont un intérêt pour les pays partenaires sur le marché intérieur européen. Sur le plus long terme, la Commission prévoit d'ouvrir certains programmes communautaires aux partenaires de la PEV. Dans le cadre de la PEV, l'UE souhaite également encourager le respect des droits de l'homme, la démocratie et la bonne gouvernance, ainsi que la coopération dans la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité transfrontalière, comme le trafic de drogues et d'êtres humains.(4) On voit et pour paraphraser les Evangiles: «Il n'y a rien de nouveau sous le soleil». Cette Union méditerranéenne aura, à terme, le destin des utopies précédentes. Tant que les voisins du Nord n'attendent de ceux du Sud que la stabilisation sécuritaire et la chasse à leurs propres ressortissants dans le cadre d'une politique de garde-chiourme -par l'acceptation de centre de rétention sur leur propre sol- en participant, suprême injure, à la chasse aux harragas, dans le cadre du Frontex, bras armé de la forteresse Europe, il n'y aura pas une réelle Union méditerranéenne des peuples. Cette union voulue par le le président Sarkozy rejoindra les différentes initiatives telles que le processus de Barcelone sur lequel les pays de la rive Sud avaient fondé beaucoup d'espoirs. On comprend l'agacement de la Commission européenne présidée par le Portugal qui y voit une interférence avec ce qui a été laborieusement voté par les 25 dans le cadre de la PEV. Trop s'appuyer sur le côté matériel ferait apparaître cette Union méditerranéenne comme une nouvelle colonisation à distance. Les voisins du Nord ne s'intéressant qu'aux matières premières de ceux du Sud et accessoirement au réservoir de main-d'oeuvre à très bas prix, sans compter naturellement une villégiature pour les «nordistes du troisième âge» qui peuvent reconstituer le «bon temps des colonies» avec leurs retraites en euros. Une union maghrébine d'abord Non, le Maghreb n'a pas besoin de cette Union, il a besoin qu'on l'aide à, d'abord, réaliser l'Union dans ses rangs d'une façon apaisée sans interférence néfaste. Imaginons l'utopie suivante: une union maghrébine avec un territoire de plus de 5 millions de km² fort d'une population actuelle de 80 millions d'habitants avec une jeunesse exubérante dont l'horizon ne sera pas la fuite du pays. Une intelligentsia avec plusieurs centaines de milliers de diplômés par an, un territoire riche en énergie fossile et avec le plus grand gisement solaire, à telle enseigne qu'une étude allemande affirme très sérieusement que le Sahara peut alimenter l'Europe d'une façon permanente en énergie électrique à partir du solaire et enfin une agronomie multiforme avec, par-dessus tout, une identité culturelle et cultuelle commune forgée par l'histoire. Malgré tous ces atouts, le Maghreb peine à se déployer. Cherchez l'erreur! Elle est autant en nous que par suite des manoeuvres de cette Europe qui, après en avoir tiré le meilleur de nos pays respectifs, de notre sang, de nos bras pour sa reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, ne nous fait même pas crédit d'une quelconque reconnaissance sans aller, on l'aura compris, à la repentance. Au contraire, elle veut choisir ceux d'entre nous qui ont de bons neurones... Pour nous, cette Union européenne est vouée à l'échec. Dernièrement, l'Algérie a été félicitée à Bruxelles pour avoir rassuré l'Europe sur son intention de maintenir ses engagements en termes de ravitaillement en énergie. A-t-on parlé une seule fois de l'aide de l'Europe pour la mise en place d'une politique énergétique algérienne sur le long terme grâce notamment à l'électronucléaire? A-t-on parlé d'un Plan Marchall pour les universités algériennes? Il nous faut en toute transparence adosser chaque calorie exportée à un investissement du partenaire Europe dans le domaine de la science et de la recherche. Il y va de l'intérêt de l'Europe d'avoir un Maghreb développé qui sera producteur de richesse et qui frappera à la porte du supermarché européen en tant que partenaire à part entière. Si, réellement, c'est le souhait de l'Europe dans son ensemble, on comprendrait sans peine la phrase du président Sarkozy pour qui «l'avenir de l'Europe se joue en Méditerranée» et la phrase de Fernand Braudel: «La Méditerranée n'est pas une frontière, mais un pont», prendrait, alors, sa pleine signification. 1.Daniel Vernet: L'Union méditerranéenne, cette chimère, Le Monde 11 juillet 2007 2.Daniel Riot: Agoravox, mercredi 11 juillet 2007 3.Christine Parsdorfer. La politique méditerranéenne de l'UE D+C Développement et Coopération n°3, mai-juin 1998 4.Les nouveaux voisins de l'UE. Site Euractiv. mercredi 18 avril 2007