Bien que beaucoup d'efforts au plan législatif, en moyens humains, matériels et technologiques aient été déployés et que la vigilance se soit accentuée, les services de sécurité, tous corps confondus, peinent à enrayer le trafic et la contrebande de biens culturels. En témoigne : rien qu'au premier semestre de l'année en cours, ont été arrêtés et traduits en justice pas moins de 43 trafiquants de pièces archéologiques et d'œuvres d'art. Aussi, des saisies totalisant 4427 pièces, ont fait ressortir un récent communiqué du ministère de la Culture. Ainsi, après une bien longue accalmie, les vols ciblant les musées et les pillages de sites archéologiques, un peu partout à travers le pays, semblent avoir repris de plus belle. A cela une explication : si durant les années 1990, l'essor prodigieux qu'il connut fut étroitement lié au financement de l'entreprise terroriste, le marché souterrain des biens culturels a, aujourd'hui, tendance à prendre une dimension industrielle aux fins de recyclage de capitaux d'origine douteuse. D'où la réapparition sur le marché des vieilles filières et l'émergence d'autres activant pour le compte de puissants lobbys et de prestigieuses maisons d'art basés de l'autre côté de nos frontières. Surtout que les enjeux sont loin d'être négligeables : Avec des revenus annuels estimés à 6 et 15 milliards d'euros, selon l'Office onusien contre la drogue et le crime (ONUDC), ce trafic se serait actuellement propulsé au 3e rang des commerces illicites dans le monde, après les armes et la drogue. Très prisés en Europe et ailleurs, les biens culturels dont regorgent les sites archéologiques les plus exposés aux vols, notamment à Annaba, au Tassili, Hoggar, Guelma, Batna, Sétif, Souk Ahras, Tébessa.., ne cessent d'aiguiser les appétits des lobbys internationaux et de leurs relais en Algérie. Les plus sollicités d'entre ces derniers, deux trafiquants établis à Alger, extrêmement puissants et solidement protégés. Exerçant voilà bien des décennies, ils ont réussi à s'offrir des pièces archéologiques rares que même les musées les plus prestigieux ne pouvaient pas acquérir, nous confiait dans une précédente interview l'historien et archéologue Saïd Dahmani. Et ce, outre des diplomates, des attachées culturels d'ambassades européennes, qui achetaient des bijoux anciens de la Kabylie, Beni Yenni surtout, des Aurès et des Touareg pour les revendre à des maisons d'art et des maisons de vente aux enchères d'Europe et d'Amérique. La plupart de ces bijoux, qui s'exportaient via les valises diplomatiques, font aujourd'hui le bonheur de musées dans le vieux continent. Mais le vol le plus spectaculaire et énigmatique remonte aux débuts 2000 et dont l'affaire n'a pas, jusqu'à l'heure, été élucidée, toujours pendante au niveau des instances judiciaires, porte sur un véritable trésor datant de l'époque romaine. Découverte en juillet 1988 par des habitants de M'Daourouch (wilaya de Souk Ahras), la jarre qui contenait plus de 50 000 pièces de monnaies disparut dans de curieuses conditions du bureau du chef de daïra de l'époque qui fut assassiné la même année (2000) par des ‘'terroristes''. «Entre les autorités judiciaires de Souk Ahras et d'Alger, l'affaire et l'enquête sur ce scandale inédit sont à ce jour en cours. Un grand point d'interrogation entoure cette affaire dite ‘‘Trésor de M'Daourouch», soulignait Dr Dahmani, ancien conservateur du musée d'Hippone (Annaba). Peu de temps après, toujours durant l'an 2000, la tête d'Adrian (empereur romain), une pièce très importante et rare sera volée du musée de Timgad. A-t-elle été retrouvée ou récupérée, nul ne le sait. C'est dire qu'avec les prises, version 2018, à l'actif des services de sécurité, à leur tête la Gendarmerie nationale (brigade chargée de la protection du patrimoine et de la lutte contre le trafic des biens culturels), les sites archéologiques, à l'Est comme au Sud, parmi les plus riches du pays, demeurent la cible d'une sorte d'''expéditions punitives''. D'autres affaires, non moins rocambolesques et que nombre d'Algériens ne sont pas près d'oublier, celle des 5 touristes allemands ayant prétendument disparu dans le désert algérien en 2004. «Prétendument», car l'affaire se révélera de nature toute autre, puisque dans les bagages de ces faux touristes, les services de sécurité avaient mis la main sur un lot important de pièces archéologiques d'une inestimable valeur marchande et historique, de grandes meules et des météorites (le gramme de ces météorites pouvait se vendre jusqu'à 20 000 euros). Ou encore l'affaire des Espagnols arrêtés entre le Tassili et le Hoggar en possession de pièces de monnaie anciennes et d'objets archéologiques. Et pas que : des dizaines de pièces mosaïques, poteries, statuettes de déesses et monarques numides, puniques, romains disparus du musée de Annaba, également dépossédé de «la Méduse», pièce archéologique unique en son genre, ainsi que du masque de Gorgone (300 kg), retrouvé en 2011, dans la foulée de la «révolution du jasmin», dans la résidence de la fille aînée du président déchu, Ben Ali. Ce qui, semble-t-il, n'a pas laissé indifférents les élus et autorités locaux de Annaba, qui ont ouvert depuis des semaines des chantiers pour une meilleure protection et sécurisation des site et musée d'Hippone. Cible de récurrents vols, le musée de Djemila (Sétif) a, lui aussi, été dépouillé de plusieurs pièces rares, dont «Saturne», statue de la divinité romaine de l'agriculture et de la fécondité. Un lot de pièces archéologiques, dont des fossiles remontant à plus d'un million d'années, disparu à Adrar et retrouvé dans les bagages d'un ingénieur chinois exerçant en Algérie. Outre des dizaines de pièces (bifaces, hachereaux, nucléus, pédoncules, lames, pointes de flèches), plus d'une centaine de pièces archéologiques, dont des sculptures classées patrimoine mondial de l'Unesco s'étaient envolées du musée Djibrine (Tassili). A Guelma, une dizaine de têtes représentant la famille de Septime sévère, l'empereur romain, né à Leptis Magna, actuelle Lebda en Libye. ‘'Commandées'' par des proches de feu Mouammar Kadhafi, les 9 têtes volées devaient être revendues en Libye au profit du musée de Tripoli. Et qu'en est-il des découvertes archéologiques réalisées il y a quelques années à Annaba ? Auraient-elles subi le même sort ? Pour mémoire, avait été mis au jour lors de fouilles fortuites deux sarcophages en marbre avec des reliquaires datant du IIe siècle avant J-C et contenant des ossements. En plus de plusieurs urnes et tufs brûlés, avait également été découvert un buste représentant un agneau porté par un enfant habillé d'une toge et tenant un cep. Des investigations alors effectuées, il ressortira que le site abritant l'un des sarcophages date de l'époque antique, voire de bien avant. Ce qui confortera dans leurs conclusions préliminaires les deux archéologues français ayant prospecté le même site bien des décennies auparavant. En effet, les résultats des débuts de fouilles qu'ils entreprirent entre 1930 et 1940 attestèrent de la présence de traces d'une palissade remontant au IIe siècle avant J-C, ainsi que d'un pan de mur en blocs taillés. Et, au terme d'investigations plus poussées, les deux scientifiques conclurent à l'existence d'un pomérium, sorte de nécropole dédiée à des saints, des rois et des seigneurs. Parmi les plus rares au monde, d'autres pièces archéologiques avaient, par ailleurs, été découvertes lors de fouilles clandestines au niveau du site dit «Ksar Fatma», dans la localité d'El Ayoun (wilaya d'El Tarf) et à Machrouha (wilaya de Souk Ahras). Ils feront aussitôt l'objet de transactions en Tunisie, puis en Italie, avant d'atterrir en Allemagne, à Munich, cette plaque tournante du trafic international de biens culturels, d'antiquités et d'objets d'art, où se côtoient de redoutables cartels turcs, italiens et libanais. Considérant la reprise, ces derniers temps, de ce qui s'apparente à une mise à sac de nos sites, la communauté des historiens et archéologues appréhendent la progression encore plus dangereuse du phénomène. D'autant qu'au lieu de la combattre, par leur législation trop libérale et la passivité de leurs musées, très peu scrupuleux sur l'origine des ‘‘marchandises'' leur parvenant, nombre de pays d'accueil de biens volés ne font qu'encourager, de manière indirecte, cette grande délinquance transnationale. Alors que, «Le pillage et le trafic de biens culturels sont l'affaire de tous. Ces fléaux ne touchent pas seulement la communauté archéologique, mais également les populations locales, en laissant exsangues des régions, voire des pays, de leur potentiel d'attractivité pour le tourisme. Ces activités illégales entraînent une chute de l'économie et un appauvrissement qui, cumulés aux autres difficultés, aggravent les situations économiques locales en plus de contribuer à la destruction de l'histoire humaine», ne cessent de sensibiliser, depuis plus d'une tribune, les dirigeants du célèbre musée du Louvre (France). Mise en garde qui, apparemment, commence à être prise très au sérieux. Sont, en effet, à l'étude et en discussions à de hauts niveaux, depuis février 2017, les mécanismes devant permettre le déploiement, à court terme, de nouveaux outils et dispositifs en vue de meilleurs contrôle et suivi du marché international des antiquités et biens culturels, avec l'instauration d'une charte déontologique internationale exclusivement consacrée à ce marché. Ont, à cette fin, été mises à contribution de grandes maisons d'art de Suisse (Genève), Allemagne (Munich), d'Italie et surtout d'Angleterre (Londres) à l'image des célèbres Christie's et Sotheby's, ainsi que les pôles et places spécialisés dans le négoce des biens culturels à Londres, Paris et New York.