L'OMS décrit une situation "catastrophique" à Ghaza, alerte sur les pénuries    La solidarité internationale avec le peuple palestinien doit obliger l'occupant sioniste à cesser ses crimes à Ghaza    La Fédération nationale des travailleurs de la santé appelle à accélérer la promulgation des statuts particuliers du secteur    Constantine : les nouvelles structures de santé renforceront notablement le système de santé    Le recteur de Djamaâ El-Djazaïr appelle à tirer des enseignements de la Révolution de libération pour relever les défis actuels    Rebiga souligne "l'intérêt particulier" accordé par l'Etat à la protection du patrimoine historique national    La "Science ouverte", thème d'un atelier à Alger    Fédération algérienne des sports mécaniques: l'AGO le 1 décembre, l'AGE le 8 décembre    Le président de la République reçoit le ministre saoudien de l'Intérieur    Clôture de la campagne nationale de sensibilisation au dépistage précoce du cancer de la prostate    CHAN-2025 : la Tunisie renonce à sa participation (FTF)    Cour constitutionnelle : 5e atelier de formation au profit des avocats stagiaires sur l'exception d'inconstitutionnalité    Ouverture de la nouvelle année judiciaire dans les Cours de justice de l'Est du pays    Sport/Jeux Africains militaires-2024: l'Algérie ajoute à sa moisson trois médailles d'or en judo et une en volleyball    Tenue de la 3e édition du salon Sinaa Expo et de la 6e édition de Secura North Africa du 3 au 5 décembre à Alger    Ghaza: 2.500 enfants palestiniens ont besoin d'une évacuation médicale    "Dar Essanâa", un nouvel espace culturel dédié aux arts et l'artisanat inauguré à Alger    Opep+: la prochaine réunion ministérielle reportée au 5 décembre    Le Général d'Armée Chanegriha se rend à l'exposition des hydrocarbures et du gaz et à la 15e Brigade blindée au Koweït    Le nouveau wali rencontre la presse nationale    Les prix du litre d'huile d'olive flambent    Un infatigable défenseur du droit international et de la cause palestinienne    Le wali inspecte les chantiers de logements    Attaf appelle à des actions « osées » pour sauver le multilatéralisme mondial    Place de l'Europe et de l'Algérie au sein de l'économie mondiale    Ce projet qui dérange tant le Maroc !    Trois membres d'une même famille sauvés d'une mort par asphyxie à Oued Rhiou    Journée d'étude organisée pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes    Ligue 1 Mobilis : un match à huis clos pour l'ES Mostaganem    ASMO-USMBA et WAM-RR, têtes d'affiches du dernier tour régional    Le MCA réussit sa sortie contrairement au CRB    Ouverture de la 4e édition en hommage à Noureddine Saoudi    Le MET numérise ses publications    Le 8e Festival international de l'art contemporain s'ouvre à Alger    Vers le renforcement des relations militaires entre l'Algérie et le Koweït    250 colons sionistes prennent d'assaut l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le trafic de biens culturels a existé et existe toujours en Algérie
Saïd Dahmani. Archéologue et historien
Publié dans El Watan le 03 - 02 - 2016

L'ancien conservateur du musée d'Hippone, le docteur Saïd Dahmani, qui a bien voulu nous recevoir chez lui, dénonce dans cet entretien la passivité mondiale complice à l'égard du phénomène de trafic illicite des biens culturels. Il dresse un sévère réquisitoire contre les puissances occidentales pour les graves défaillances dont elles se rendent coupables.
Des flèches acerbes, il en a décochées aussi et profusément à l'adresse des pays victimes de pillages, «stables» ou en conflit soient-ils. Leur «invalidité» intellectuelle viscérale semble insupporter au plus haut point le Dr Dahmani, qui a consacré près d'un demi-siècle à l'archéologie et à l'histoire. Il a côtoyé de grands noms dans le domaine, dont certains ont eu à occuper de prestigieux postes diplomatiques, d'autres propulsés au rang de ministre et même de chef d'Etat, notamment en Amérique latine.

Depuis une dizaine d'années, le pillage et le trafic de biens culturels et autres œuvres ont connu une rapide expansion, au point qu'ils occupent actuellement le 3e rang après le trafic de drogue et d'armes. Pourquoi avoir attendu les attentats de novembre dernier pour décider de s'en prendre avec autant de fermeté à ce fléau planétaire ?
Au Moyen-Orient, le pillage des sites archéologiques ne date pas d'aujourd'hui ni de l'apparition de Daech, car c'est là où vous voulez en arriver. Il avait commencé lors des attaques de Bush père contre l'Irak après l'invasion du Koweït. D'ailleurs, à l'époque, la question du trafic des biens culturels, objets d'art et antiquités avait suscité une mobilisation active de l'Unesco et de l'Arab League Educational, Cultural and Scientific Organization (Alecso) — Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les science — que dirige le Koweitien Abdullah Hamad Muhareb. Au moment de ces premières attaques contre l'Irak, les deux institutions ont commencé à bouger, car le patrimoine mésopotamien était particulièrement ciblé, donc exposé aux bombardements, malheureusement depuis, plus rien.
La priorité à l'époque était de préserver le patrimoine irakien, d'autant plus que durant les années 1980, l'Irak, grâce à son défunt Président, avait fait un travail monstre pour protéger les vestiges de Babylone. Aussi, l'Irak avait une intelligentsia mondialement connue et reconnue. Lors de la deuxième guerre contre l'Irak, en 2003, la question du trafic a pointé le nez. Lorsque les forces armées américaines ont investi Baghdad, un véritable massacre en règle du patrimoine matériel irakien se perpétrait dans l'impunité et l'indifférence les plus totales. Le pillage des sites archéologiques était systématique. C'est à partir de là que l'on s'est rendu compte de l'émergence, puis du développement, d'un marché de trafic de biens culturels irakiens. On peut dire que ceux, qui ont ouvert le bal de ce trafic clandestin des pièces du patrimoine matériel irakien, n'étaient autres que les militaires américains. Ils avaient montré le chemin aux filières de contrebande.
Ces Américains ont volé des antiquités et des objets d'art irakiens d'une valeur inestimable. En témoignent les 700 objets et fragments issus de trafics illégaux restitués l'été 2015 aux autorités irakiennes par les Etats-Unis. Ces trésors avaient été dérobés lors des expéditions de pillage de 2003 du Musée national de Baghdad. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait jamais eu de trafic illicite de biens culturels. Ce trafic est aujourd'hui au 3e rang après celui de drogue et d'armes à l'échelle mondiale. C'est justement dans le Croissant fertile (Al hilal al khisb), autrement dit le trio Irak-Syrie-Liban, qu'est né le sinistre Etat dit islamique.
En termes de pillage et de destruction des sites archéologiques, l'action des terroristes islamistes en Syrie et en Irak prend deux aspects : d'abord idéologique, en ce sens que les combattants de Daech pensent qu'il faut revenir à la pureté originelle de la religion musulmane. A leurs yeux, mettre en exergue l'histoire antérieure à l'islam est une atteinte à l'islam. Le second aspect : ces terroristes islamistes savent très bien que les objets et les antiquités qu'ils volent ont une valeur marchande.
Donc ils veillent à ne pas les détruire entièrement. Ils s'en prennent surtout à ce qui n'est pas transportable. Les objets et antiquités volés, il existe et existera toujours un marché international qui en est preneur. Nombreux sont les collectionneurs privés, dont ceux du Golfe ou ceux issus des nouvelles bourgeoisies russe et chinoise. Il y a les prestigieuses maisons d'art de Suisse (Genève), d'Allemagne (Munich), d'Italie et surtout d'Angleterre (Londres), à l'image des célèbres Christie's et Sotheby's, dont le chiffre d'affaires se compte en milliards d'euros par an. En d'autres termes, il existe des pôles spécialisés dans la vente de biens culturels. Les plus dominants sont Londres, Paris et New York, où, pourtant, ne résident ni les vendeurs ni les acheteurs. Tout ce beau monde est friand de ce type d'objets et pièces archéologiques, notamment irakiens.
Doit-on comprendre que les antiquités et œuvres d'art, bien qu'elles soient volées et illicitement exportées, sont susceptibles de se retrouver un jour dans ces maisons d'art et chez ces collectionneurs dont vous parlez ?
Oui, ces objets volés par les terroristes de Daech peuvent aboutir dans les grandes maisons d'art et même dans les musées d'Europe, d'Amérique, du Japon ou de Chine, mais sous de fausses identités. Ces maisons peuvent être intéressées par ces objets qui remontent soit à la civilisation mésopotamienne, c'est-à-dire à 5000 ans avant J.-C., soit aux civilisations grecque, persane, romaine et musulmane. Certaines peuvent établir des certificats d'authenticité et de conformité, c'est-à-dire que ces objets n'ont pas été illicitement exportés, donc ne figurant pas sur les fichiers d'Interpol. Dans ce domaine, les réseaux de contrebande sont très puissants et ont le bras très long.
La preuve : en 2004, les services de police américains ont retrouvé la tête de la statue de Marcus Orelius, empereur romain, au niveau d'une célèbre maison de vente aux enchères new-yorkaise, aux Etats-Unis. Elle fait partie des 9 têtes volées des années auparavant du musée de Skikda, en Algérie. S'agissant de l'organisation Daech, c'est énormément d'argent qu'elle tire de ce trafic. Rien qu'en Irak, on estime à plus de 250 millions d'euros les revenus du trafic illicite de biens culturels irakiens. En fait, l'aspect idéologique dont je parlais sert en réalité à donner une légitimité à ce marché illicite qui a émergé et rapidement prospéré.
Au lendemain des attentats de Paris ont retenti avec persistance des appels à l'instauration d'une charte internationale et de règles strictes de déontologie aux fins d'améliorer la protection du patrimoine à l'échelle mondiale, dans les pays en conflit armé surtout. La mise en place de nouveaux dispositifs a été exigée en vue d'une meilleure lutte contre le commerce illicite de biens culturels.
D'après vous, ce fléau peut-il être enrayé ?
J'en doute fort. La charte internationale existe et elle a été instaurée par les Nations unies à travers l'Unesco. Cela n'a pas, pour autant, empêché l'épanouissement du trafic. En achetant ces objets, les collectionneurs privés, les musées ou les maisons d'art participent indirectement à la destruction de pages, de pans entiers de l'histoire de l'Irak, de la Syrie, voire de toute l'humanité.
Ces objets et ces biens culturels sont en fait des documents : l'histoire c'est des documents écrits et des documents objets. Ces objets volés par Daech constituent des éléments fondamentaux pour l'étude de la civilisation d'un Etat. Cette charte internationale dont vous parlez doit établir les moyens et définir les garde-fous qui permettent de bloquer la destruction de ces documents. Il faut absolument protéger cette documentation de la destruction. Pour ce qui est de la déperdition, il faut une mobilisation réelle et une implication plus forte des institutions scientifiques et muséales. Il y a urgence à bloquer la destruction, c'est un crime contre l'humanité.
Et puis cette charte que revendique l'Europe doit mettre l'accent sur le contrôle des circuits de vente et d'achat souterrains de ces biens culturels et mettre en œuvre des mécanismes de suivi efficaces pour faire pression sur les pays défaillants.
Au-delà du trafic à grande échelle, les fouilles dites de subsistance ne sont pas moins délétères et destructrices. L'EI gère cette activité avec un système digne d'une grande entreprise…
Sur les fouilles clandestines, et on le sait, les terroristes islamistes, et j'insiste sur le mot «islamistes», de l'EI récupèrent des «dîmes». Mais, ce que semblent ignorer les paysans et villageois syriens et irakiens ou autres, y compris les fouilleurs de chez nous, c'est que par les fouilles clandestines, sauvages, non structurées et non organisées, c'est toute l'histoire qu'ils anéantissent. Et pour cause, les fouilles sauvages dérangent la scène, la sédimentation de l'histoire.
Ces fouilles sont doublement destructrices : d'une part, elles abîment l'agencement de la stratification et d'autre part, elles entraînent la perte de documents objets. La charte doit mettre l'accent sur cet aspect. Je le dis et le répète : l'idéologique sert à rendre licite la destruction qui, elle-même, donne la possibilité aux trafiquants de développer leur propre économie sur cette vente illicite d'antiquités du sang. Ils ne faut pas perdre de vue que les organisations criminelles se font aider par des militaires et des cols blancs locaux et étrangers qui organisent la sortie des biens culturels vers des pays du Golfe, d'Asie et même d'Europe.
D'autres font circuler ces biens et leur donnent de nouvelles identités. Il faut savoir que les objets les plus importants sont stockés pour une période allant de 10 à 15 ans avant d'être écoulés sous de nouvelles identités. C'est ce qu'on appelle le temps de latence.
Des archéologues et des historiens, autrement dit des hommes de la science, locaux ou étrangers, seraient donc impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans ce trafic ?
Bien évidemment, les trafiquants ou les terroristes ne vont jamais vendre les biens culturels qu'ils volent à vil prix. Primo, maintenant, tout le monde sait qu'en Irak les terroristes de l'EI s'appuient militairement sur l'ex-armée de Saddam Hussein, qui a été démobilisée par les Américains. Secundo : tous les scientifiques et chercheurs irakiens, tous domaines confondus, qui ont été pourchassés par les Américains et le nouveau pouvoir irakien, où sont-ils ? La réponse est dans cette question.
Tertio : dans les rangs des troupes armées américaines qui s'étaient déversées sur l'Irak en 2003, il y avait des archéologues et des historiens qui savent ce qui se cache sous terre, parlant des sites archéologiques irakiens. Je peux vous dire que ces militaires archéologues et historiens peuvent aujourd'hui servir les réseaux de trafiquants associés à Daech. Curieusement, on oublie complètement de dire qu'au sein des forces armées américaines et de leurs alliées, il n'y avait pas que le soldat qui porte l'arme. Il y a également celui qui vient se renseigner sur la culture du pays qu'il est venu détruire.
Au-delà de Daech, la question que d'aucuns se posent est : Pourquoi l'Alesco, qui compte en son sein les pays de la Ligue arabe n'a à aucun moment dénoncé, outre le massacre des sites archéologiques par Daech, la destruction d'éléments d'architectures inédits au Yémen ?
Aucun des Etats membres n'a eu le courage de le faire, ni n'a été à la hauteur des engagements qu'il a signés. C'est dire que la charte de déontologie internationale que l'on cherche à instaurer doit s'appliquer à tous les pays en guerre ou en conflit.
Parlons de l'Algérie : la série de vols dont avaient été victimes plusieurs musées et les pillages de sites archéologiques un peu partout à travers le pays, ayant particulièrement marqué les années 1990, avaient-ils un quelconque lien avec l'entreprise terroriste ?
Le trafic de biens culturels a existé et existe toujours en Algérie.
Mais durant la décennie noire, il a connu un essor prodigieux. Or, son rapport avec l'activité terroriste n'était pas aussi évident qu'il ne l'est aujourd'hui avec l'apparition de Daech. Autrement dit, il n'était pas une source de financement avérée pour les réseaux terroristes algériens.
Ces derniers avaient d'autres sources de revenus qui étaient essentiellement basées en Arabie Saoudite soit, des financements provenant de l'extérieur. Le trafic illicite de nos biens culturels reste tout de même une forme de criminalité qui s'apparente au terrorisme.
Durant les années 1970, à Alger, il y avait deux trafiquants d'objets archéologiques connus de la plus haute sphère du pays. Ils avaient des pièces archéologiques rares que même les musées les plus prestigieux ne pouvaient pas acquérir. Ils étaient intouchables, extrêmement puissants et solidement protégés.
Et n'insistez pas, car je ne peux pas divulguer leur identité. Ils avaient leurs relais au niveau des musées les plus exposés aux vols. A un certain moment, il y avait aussi des étrangers qui venaient en Algérie pour des prospections clandestines. D'autres qui se faisaient passer pour des touristes (les fameux touristes allemands pour ne citer que cet exemple).
Mais aussi des coopérants qui se baladaient librement sur nos sites archéologiques les plus riches, qui travaillaient pour le compte de filières internationales organisées, spécialisées dans le trafic illicite de biens culturels et objets d'art, basées à l'étranger, de l'espionnage en quelque sorte (l'affaire du couple allemand, entre autres). Il y avait également certains attachés culturels d'ambassades européennes qui achetaient des bijoux anciens de la Kabylie, des Aurès et des Touareg pour les revendre à des maisons d'art et des maisons de vente aux enchères d'Europe et d'Amérique.
Ces bijoux quittaient le pays dans les valises diplomatiques. La plupart des bijoux anciens de Beni Yenni ornent certains musées en Italie. Mais ce qui m'a le plus marqué et que je ne suis pas près d'oublier, c'est la disparition du trésor découvert en juillet 1988 à M'Daourouche (wilaya de Souk Ahras). Pas moins de 50 000 pièces de monnaie romaines. J'avais moi-même pesé l'urne métallique qui les contenait, 68 kg. Ce trésor avait été signalé au ministère de tutelle de l'époque ainsi qu'aux plus hautes autorités du pays. Sur instruction du ministre de la Culture d'alors, ce trésor est resté à la daïra de M'Daourouche, d'où il a disparu début 2000, de même que le chef de daïra qui fut assassiné par les terroristes, disait-on.
A ce jour, personne ne sait qui ou pour le compte de qui le trésor avait été volé. Les services de sécurité et la justice s'en étaient saisis. Entre les autorités judiciaires de Souk Ahras et d'Alger, l'affaire et l'enquête sont à ce jour en cours. Un grand point d'interrogation entoure toujours cette affaire dite «Trésor de M'Daourouche». Mon rapport sur ce scandale inédit, je l'ai toujours. Peu de temps après, toujours en l'an 2000, la tête de la statue d'Hadrien (empereur romain), une pièce très importante et rare, a été volée du musée de Timgad.
A ce jour, je ne sais pas si elle a été retrouvée et récupérée. A partir de 1990, les vols se sont multipliés d'une manière spectaculaire. Il y avait eu une sorte d'expédition de vols, notamment à l'est du pays où se trouvent les plus riches sites archéologiques (Tébessa, Guelma, Souk Ahras et Hippone). Tout le monde se souvient de l'affaire des 5 touristes allemands qui avaient disparu dans le désert algérien en 2004.
Mais en réalité, l'affaire était toute autre. Chez ces faux touristes, les services de sécurité avaient découvert un lot important de pièces archéologiques de grande valeur, dont des météorites (la valeur marchande du gramme de ces météorites pouvait dépasser les 15 000 euros). Des Espagnols ont été arrêtés entre le Tassili et le Hoggar en possession d'une dizaine de milliers de pièces archéologiques.
A Annaba, plusieurs dizaines de pièces mosaïques, poteries, statuettes de déesses et de monarques numides, puniques, romains ont disparu. Toujours au musée de Annaba, la Méduse, une pièce archéologique unique en son genre, datant de l'époque romaine, a été volée fin 1990. Le masque de Gorgone volé, malgré ses 300 kg, en 1996 à Annaba a été retrouvé en 2011 dans la résidence de la fille aînée du président déchu Ben Ali. Le musée de Djemila a été dépossédé de pièces rares, dont «Saturne», une statue de la divinité romaine de l'agriculture et de la fécondité. Un lot de pièces archéologiques, dont des fossiles remontant à plus d'un million d'années, dérobé à Adrar, a été retrouvé dans les bagages d'un ingénieur étranger exerçant en Algérie.
Une centaine de pièces archéologiques, dont des sculptures classées patrimoine mondial par l'Unesco ont été volées au musée Djibrine (Tassili). Il y a aussi la disparition du même musée de dizaines de pièces (hachereaux, pédoncules, lames, pointes de flèche). A Guelma, une dizaine de têtes représentant la famille de Septime Sévère ont d'ailleurs été signalées à Interpol. J'ai mené ma propre enquête parallèle. Je fus informé de la présence d'un important lot d'objets et pièces archéologiques, intercepté en Tunisie. C'était en avril 1997. J'ai saisi le ministère de la Culture de l'époque.
Rien n'a été fait. Et, c'est en marge d'une rencontre à Annaba que j'ai relancé l'affaire à Mihoub Mihoubi, le ministre de la Culture. Celui-ci semblait tout ignorer de mon écrit. A ce moment-là, le dossier a été pris en charge et deux têtes de statues ont, par la suite, pu être récupérées. Pour les 7 autres, je n'en sais rien.
D'après les informations que j'ai pu obtenir, les 9 têtes ont été volées pour être vendues en Libye. Elles devaient atterrir au musée de Tripoli, le joyau de feu Mouammar El Gueddafi. Pourquoi la Libye ? Parce que Septime Sévère, l'empereur romain, est né à Leptis Magna, actuelle Lebda en Libye. Avec la complicité des nôtres, qui n'ont d'autre valeur, d'autre idéal que l'argent, les Libyens projetaient de nous déposséder de ce patrimoine au profit du musée de Tripoli. Autant dire que la liste des vols est bien trop longue.
Et ce, sans parler des villas construites en Algérie à partir de vestiges romaines (colonnes et chapiteaux) par des dignitaires intouchables. Pour revenir à votre question, une chose est sûre, un réseau de trafiquants aux ramifications à l'étranger s'était confortablement installé dans notre pays durant les années 1990. Etait-ce pour financer le terrorisme ? Je ne pense pas. La finalité étant surtout le blanchiment d'argent et les montants alors en jeu se chiffraient en dizaines de millions de dollars. Malheureusement, le phénomène se poursuit toujours.
Il existe pourtant plusieurs instruments juridiques internationaux qui pouvaient permettre à l'Algérie de récupérer au moins une partie du patrimoine. Par exemple, la Convention de Rome Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés. Notre pays a attendu 20 ans pour y adhérer (9 avril 2015) et la mettre en application (1er octobre 2015)…
Il n'y a pas que la convention à laquelle vous faites référence. Les engagements sur la protection des biens culturels auxquels notre pays a souscrit sont nombreux. Les plus importants sont à mon sens : le 2e protocole de la Convention de La Haye, relatif à la protection des biens culturels en cas de conflit armé, adopté le 30 août 2009 ; la Convention de 1970 relative aux mesures visant à interdire et empêcher l'importation; l'exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels, ratifiée en 1974. Tous ces instruments internationaux ne semblent pas être d'un grand apport pour ne pas dire d'aucun apport. La raison ?
Chez nos dirigeants, est déplorée l'absence de volonté et surtout de tout intérêt à tout ce qui se rapporte au domaine de l'art, des biens culturels, des objets d'art, des musées, etc. Le patrimoine matériel ou immatériel, l'on ne s'en soucie pas trop. S'il y a des gens qui s'y intéressent, ils ne sont malheureusement jamais écoutés. Les dirigeants des pays voisins méditerranéens ou immédiats en sont des mordus.
En France, par exemple, pays dont s'inspirent nos gouvernants, l'ex- président Chirac n'a-t-il pas lancé le musée Quai Branly, dédié exclusivement aux arts primitifs d'Afrique, d'Amérique d'Asie et d'Océanie ? Avant lui, François Mitterrand, avec sa pyramide du Louvre, Giscard d'Estaing, avec son musée d'Orsay et George Pompidou avec le Beaubourg. Au Maroc, en Egypte ou en Tunisie, les arts et le patrimoine ont leur juste place.
Chez nous ? Je ne pense pas qu'on puisse avoir cette dimension. Dites-moi combien de chefs d'Etat, de ministres, de walis ou de maires ont visité ou visitent régulièrement les musées ? Donc j'estime que ce qui nous a été volé de précieux est irrécupérable, malgré les gros efforts, que je salue au passage, des services de sécurité, de la gendarmerie à travers sa brigade spécialisée dans la protection du patrimoine et la lutte contre le trafic des biens culturels, en particulier.
Quant à ce qui a été détruit et volé par Daech, il serait plus judicieux de traiter le mal à la racine. Je m'explique : l'Arabie Saoudite finance Daech pour détruire les patrimoines irakien et syrien. Les Saoudiens ont détruit le patrimoine architectural yéménite, unique au monde. Entre-temps, cette même Arabie Saoudite a mobilisé des fonds astronomiques pour les besoins de la recherche préhistorique d'avant l'islam. A cette fin, elle a fait appel à des stratèges, mondialement connus, dans le domaine. Au même titre que Bahreïn, qui, lui aussi, a mis le paquet, cette monarchie cherche à asseoir son existence avant l'islam.
Pour venir à bout des crimes perpétrés contre les patrimoines irakien, syrien, malien… il faudrait, à mon avis, mettre en branle la Convention de La Haye sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés et combattre les filières internationales de trafic des biens culturels et sanctionner de la manière la plus rigoureuse les musées, les maisons d'art et de ventes aux enchères d'Asie, d'Europe et d'Amérique, qui acceptent d'acquérir ou d'authentifier ces biens culturels volés ou illicitement exportés, pour qu'ils puissent entrer dans les circuits de vente légale. Forts d'un capital expérience indiscutable, les réseaux de trafiquants internationaux trouvent toujours le moyen de sous-traiter la production de faux certificats d'authenticité et de conformité pour liciter leur écoulement des objets volés.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.