Au vu de la dégradation de l'environnement et des comportements irresponsables et inciviques, il est étonnant que l'épidémie de choléra se soit déclarée seulement en juillet 2018. Boumerdès, wilaya à vocation agricole, risque de connaître des cas de contamination par les eaux usées à cause d'une irrigation sauvage. En effet, les irrigations plus que douteuses sont signalées ici et là. El Watan avait déjà signalé, dans un article précédent, la pollution qui a frappé la plage de Corso et toute la région agricole en amont. La commission d'hygiène qui a été dépêchée sur les lieux récemment a confirmé l'existence de la pollution. Son origine est peu apparente en raison du niveau d'eau qui ne permet pas de voir les canalisations qui déversent les rejets domestiques provenant des quartiers d'habitations érigées par des promoteurs. Ces nouvelles constructions devraient être reliées au réseau d'assainissement. Selon certaines indiscrétions, ce ne serait pas le cas de toutes. Nous avons remonté le cours d'eau en compagnie du directeur du Centre d'enfouissement technique, Ammi Ali. Il est visible que le rejet s'effectue en aval et donc ne provient pas du centre, mais des riverains de la plage de Corso. Un membre de la commission (composée de représentants de plusieurs secteurs, dont la gendarmerie) fait état de l'assèchement de l'oued en amont, mais de sa pollution en aval. Une autre commission d'hygiène, qui s'est rendue à Sahel Brok où l'on avait signalé l'irrigation d'un champ d'oranger avec des eaux usées, a pu déterminer, selon la directrice des services agricoles (DSA), comme cause «l'irrigation d'un puits contaminé situé juste à côté de oued Gourari», non loin de oued Corso. Néanmoins, les hypothèses sur les causes de l'épidémie de choléra accréditant la thèse d'une contamination par les fruits et légumes due à l'irrigation douteuse est écartée par les pouvoirs publics, dont le communiqué de la DSA. Quant à la récolte de ce verger incriminé, «elle ne présente aucun risque de maladies puisqu'il n'y a pas encore de fruits. De plus, les arbres constituent un filtre biologique», dixit la DSA. Toutefois, c'est loin d'être le cas des crudités et des fruits et légumes de sol, comme la salade et la pastèque. L'article 171 de la loi de 2005, paru au Journal officiel n°60, prévoit la saisie du matériel utilisé pour l'irrigation et des poursuites judiciaires contre le contrevenant. Dilution des responsabilités La question est de savoir quel est le rôle des services agricoles, sanitaires, communaux et autres environnementaux. En un mot, qui doit intervenir dans de pareils cas ? En fait, les terres agricoles ne concernent la direction de l'agriculture que dans l'aspect productif. L'irrigation est du ressort de l'hydraulique pour les petites et moyennes exploitations, de l'Office national de l'irrigation (ONID) pour les bassins et autres retenues collinaires et de l'Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) pour les grands périmètres. A Boumerdès, il n'y a pas d'exploitation supérieure à 500 ha. Mais la première structure qui doit veiller à la qualité de l'eau d'irrigation, selon la réglementation, ce sont les bureaux d'hygiène communaux. Et c'est à ce niveau que se situe le talon d'Achille des procédures de suivi, de contrôle et de répression. Il s'avère que certaines APC refusent de jouer ce rôle, et ce, par ignorance, croyant qu'il relève des compétences de la DSA. D'autres maires ferment les yeux de crainte de perdre une manne financière appréciable. C'était le cas de l'ex-président de l'APC de Corso qui avait refusé la fermeture de la plage polluée par les rejets de l'oued. Il craignait de compromettre la saison estivale. Ainsi, les structures à la base de la protection de l'environnement, autrement dit les bureaux d'hygiène communaux, sont presque inefficaces. De plus, quand une infraction est constatée, il n'y a pas lieu d'attendre une sanction exemplaire. La loi est peu répressive : elle prévoit seulement la mise à la fourrière du matériel du contrevenant et une amende. Pourtant, les conséquences peuvent conduire à mort d'hommes. Le choléra a déjà fait deux victimes à Blida, selon les autorités sanitaires. Il y a donc lieu de restructurer le secteur et de définir avec précision les responsabilités avec un accompagnement matériel adéquat. Les foyers à risques se multiplient Il pourrait y avoir d'autres maladies s'il n'est pas mis fin à ce genre de comportement criminel qui consiste à utiliser des eaux usées dans l'irrigation des champs agricoles. Malheureusement, il en existe : la commune de Boudouaou El Bahri, située juste à côté, connaît un phénomène similaire à celui de l'oued Corso. L'oued Boudouaou, qui se déverse au niveau de la plage, propage un grand débit d'eau polluée. Cet oued traverse toutes les terres situées entre Boudouaou et Boudouaou El Bahri. Donc il n'y a pas que la mer qui en pâtit. A l'est de la wilaya, le mal est profond. Le manque d'eau en raison de la baisse du niveau des nappes a eu raison de la patience des agriculteurs, et certains n'hésitent pas se tourner vers l'irrigation sauvage. A Baghlia et à Beni Amrane, les cas d'un vigneron et d'un producteur de melon qui se sont retrouvés devant les tribunaux sont édifiants. A Dellys, plus particulièrement au niveau de la localité de Tagdemt, tous les dépassements sont permis ; même le pillage du sable. A Souk El Had, la gendarmerie enquête sur un cas suspect. A Zemmouri et Legata, mêmes préoccupations de citoyens qui n'hésitent plus à dénoncer. Au village agricole de Naciria, une exploitation est irriguée avec une eau noirâtre au su et au vu de tout le monde et une vidéo fait actuellement le tour de la Toile. Aux Issers et à Bordj Menaïel, les détritus s'amoncellent avec en prime des canalisations vétustes qui sont situées au-dessus du niveau de l'eau. Le projet de la rénovation du réseau et sa correction est pour l'instant gelé. Ce sont là quelques cas sur des foyers à risques épidémiologiques. Au vu de la dégradation de l'environnement et des comportements irresponsables et inciviques, il est étonnant est que l'épidémie de choléra se soit déclarée seulement en juillet 2018. Elle pourrait bien être le point de départ d'autres foyers plus importants si les responsables de tous les secteurs ne se départent pas de leur passivité toute aussi condamnable.