Sur les 1400 constructions érigées illicitement dans la commune de Oued Koreïch, 90% reposent sur du remblai, apprend-on auprès du premier magistrat de la commune. Un chiffre qui donne des frissons dans le dos, dans la mesure où ces maisons de fortune agglutinées sur les versants sont exposées à un réel danger. Sans faire dans la numérologie ou l'oiseau de mauvais augure en cette saison des pluies hivernales, ces bâtisses anarchiques, posées sur du sol « flottant », nous édifient sur des signes avant-coureurs d'une catastrophe potentielle lorsque Dame Nature décide de gronder. La fatidique date du 10 novembre 2001, qui a emporté plus d'un millier de vies humaines et causé d'énormes dégâts matériels, est toujours gravée dans nos mémoires. L'image de la furie des eaux, qui a charrié des centaines de tonnes de gadoue, habite, elle aussi, notre tréfonds. Il est vrai que ces favelas ont existé depuis l'indépendance. Il n'est pas faux également qu'elles ont pullulé par la suite, notamment lors de la décennie noire où les pouvoirs publics avaient d'autres chats à fouetter, d'autres priorités auxquelles il fallait répondre. Mais cette propension à vouloir élever sa « maison » là « où je veux » — même sur les lits d'oueds — est loin d'être éradiquée. Ce type de réflexe individualiste semble même faire des émules, au point de prendre des proportions inquiétantes dans un cadre bâti qui en pâtit... Ainsi, on prend plaisir à jouer au chat et à la souris. Les voleurs de lopins de terre bénéficient très souvent des accointances polluées par la corruption, sinon tentent de déjouer la vigilance de certains services publics qui font dans la tâche consciencieuse. On construit le soir et les week-ends sur des assiettes de « beylik » pour échapper à l'inspection de la police de l'environnement. Celle-là même dont la mission est, faut-il le souligner, est confinée dans l'établissement de procès-verbaux de constat. Ni plus ni moins. La décision de démolir les habitations qui se mettent en porte-à-faux avec la réglementation en vigueur, échoit aux édiles de la cité et au wali délégué qui doivent composer, à leur corps défendant, avec les conditions sociales dans lesquelles vit la maisonnée. Parfois, on réagit vite pour raser la concrétion installée dans un corridor séparant deux pâtés de maisons ; d'autres fois, on fait montre de laxisme en fermant l'œil devant le fait accompli. Le mal est fait, se dit-on, et on conforte cette image dédaigneuse du parpaing et de feuilles de tôle par l'argument simplet : « On n'a pas où reloger les infortunés. » Ainsi va la cité urbaine amochée et gagnée par une ruralisation galopante.