Après 22 jours de massacres perpétrés dans la bande de Ghaza, le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, a annoncé, dans la nuit de samedi dernier, un cessez-le-feu unilatéral mais sans retrait complet des forces déployées dans plusieurs régions de l'étroite enclave palestinienne. Actuellement, les forces israéliennes renforcent leurs positions sur les sites des anciennes colonies juives évacuées également sur décision unilatérale en 2005. Le cessez-le-feu israélien est entré en vigueur dimanche à 2h (heure locale). En effet, après cette heure, les bombardements et les raids aériens au nord, au sud et à l'est de la ville de Ghaza se sont brusquement arrêtés, mais des dizaines d'avions israéliens espions (drones) continuaient à sillonner le ciel. Ces drones surveillent et espionnent les localités, les camps de réfugiés et les villes de la bande de Ghaza jour et nuit. Cette surveillance quasi permanente s'est accentuée de façon significative depuis le 27 décembre, date du début de l'agression israélienne particulièrement sanglante. Dimanche, dès le lever du soleil, des dizaines de milliers de citoyens ayant abandonné leurs maisons et leurs biens en raison des bombardements sont revenus. Quelques tirs à la mitrailleuse lourde et des détonations d'obus, entendus au loin, ne semblaient pas dissuader ces milliers de familles à revenir afin d'évaluer l'ampleur des dégâts occasionnés à leurs biens par la machine de guerre israélienne. J'ai décidé d'aller dans le même sens que ceux qui empruntaient la rue El Nasser, à l'ouest de la ville de Ghaza, pour se rendre au nord vers les localités de Salatine, d'El Aatatra et de Beït Lahia, des endroits particulièrement chauds tout au long de l'invasion israélienne. Plus le soleil montait, plus leur nombre croissait. Des femmes, des enfants, des jeunes ainsi que des personnes âgées marchaient vers le nord. Au bout de la rue El Nasser avant d'arriver au croisement de Touam, à l'entrée de la cité El Karama, au nord-ouest de Ghaza, une tour de 15 étages frappée par plusieurs missiles air-sol est presque complètement démolie ; il n'en reste qu'une carcasse calcinée. Plusieurs maisons voisines sont sérieusement endommagées au point de ne plus être habitables. Des immeubles d'El Karama ont été bombardés aussi. Des secouristes ont découvert, samedi, 3 cadavres calcinés, non identifiables, dans un appartement du 8e étage de l'immeuble n° 1, qui a reçu un obus au phosphore blanc. Sur la route du nord, juste après le croisement de Touam, on commence à voir apparaître les dommages. La route goudronnée que j'ai empruntée des centaines de fois est complètement défoncée et retournée comme une terre labourée. Pas de trace de goudron. Les poteaux électriques en métal et leurs bases en béton sont tordus et écrabouillés. Des carcasses de voitures sont visibles : les chars s'amusaient à monter dessus. Les conduites d'eau potable ainsi que les égouts sont défoncés. Au milieu de ce chaos, les gens avancent difficilement, surtout les plus âgés. La route est impraticable. Plus on va vers le nord, plus importantes sont les destructions. 80% au moins des maisons sont sinistrées, complètement ou partiellement détruites. Les bombardements de l'artillerie et des chars, avec l'aide des F16 n'ont presque rien épargné. « Je ne sais plus où est ma maison. Je ne la retrouve pas. Je ne reconnais plus la région, le paysage a complètement changé », crie un homme d'une quarantaine d'années, originaire de la localité de Salatine, au nord de la cité El Karama, à moins de 3 km du centre-ville de Ghaza. Il est entouré de citoyens qui tentent de le soutenir et de lui remonter le moral. L'un d'eux lui dit : « Al hamdoulillah, toi et ta famille vous êtes indemnes, Dieu te récompensera d'une autre maison meilleure. » Je continue à avancer, je veux voir El Aatatra, distante de moins d'un kilomètre, où les Israéliens ont rencontré une farouche résistance. Cette localité est au nord de Salatine. La région, à caractère agricole, est densément peuplée. Le paysage est le même que sur la route : des destructions et toujours des destructions. Là, les maisons ont subi encore plus de dommages. Mhamad Abou Nahel, un jeune de 25 ans, une cage avec un oiseau à la main, me dit : « Il ne reste plus rien. La maison a été démolie par un F16, pourquoi ? Personne ne le sait. Ils ont kidnappé deux de mes oncles, on n'a aucune nouvelle ». Un peu plus loin, je rencontre Nidhal Kadasse, un jeune secouriste du Croissant-Rouge palestinien, un brancard sur l'épaule. Il me confie : « Pas moins de 35 cadavres ont été retirés des décombres dans cette région. Les corps déchiquetés commençaient à dégager de mauvaises odeurs, mais ce qui m'a marqué le plus est cette petite fille dont le cadavre a été dévoré par les chiens errants, il n'en restait que la tête. » Alors que je l'écoute, des jeunes s'approchent de nous. L'un d'eux, Tarek Matar, 19 ans, est à la recherche de son cousin, un mongolien de 18 ans, disparu depuis plus de 48 heures. Nidhal l'a tout de suite reconnu. Il lui décrit ses vêtements et annonce qu'il a été retrouvé mort, tué par les soldats israéliens. Son cadavre se trouve à l'hôpital Kamal Aadouane, près de Beit Lahia. Plus de 100 cadavres ont été découverts dans la bande de Ghaza. Sur le chemin du retour, je suis étonné de voir que des familles entières se dirigent vers Ghaza-ville. Je leur demande où elles vont. Elles retournent à l'école de l'UNRWA où elles se sont réfugiées ; là au moins elles sont à l'abri du froid de ce mois de janvier. En démolissant leurs maisons, l'armée israélienne les a laissés sans abri. Ainsi, le drame palestinien né en 1948 se renouvelle plus de 60 ans après.